Chaque bagarre était de trop, dit cet ancien de la LHJMQ paralysé à la suite d'un combat
Dean Bergeron salue l'abolition des bagarres dans le circuit.
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Il y a près de 36 ans, Dean Bergeron s’est réveillé dans une chambre d’hôpital, incapable de bouger ses jambes. Bien des idées se bousculaient alors dans sa tête, mais le principal sentiment qui habitait l’ancien hockeyeur, explique-t-il aujourd’hui, c’était «une honte immense».
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«Je me demandais ce que j’allais dire à ma mère, comment j’allais lui dire que c’était à la suite d’une bagarre. Elle partait du Saguenay à toute vitesse à Trois-Rivières, à l’hôpital Sainte-Marie», raconte l’homme de Saint-Augustin-de-Desmaures au Journal.
«Je ne savais pas comment lui dire que son gars était devenu paraplégique à la suite d’une bataille, poursuit M. Bergeron. J’ai camouflé ça pendant des années...»
Le 25 août 1987, le camp d’entraînement des Cataractes de Shawinigan bat son plein. L’année précédente, Dean Bergeron a connu une belle première saison avec l’équipe. Il a 17 ans, c’est un ailier droit de 6 pi 2 po. Doté d’un bon gabarit pour cette position, souligne-t-il.
Mais l’attaquant n’est pas un bagarreur. Sauf que dans le hockey junior, à l’époque, les combats, même au sein d’une équipe, sont la norme.
«Les recrues voulaient faire leur place, les vétérans voulaient garder la leur. Ça se réglait à coups de poing, malheureusement. On prenait tous les moyens à notre disposition pour atteindre notre rêve de jouer dans la Ligue nationale», regrette-t-il.
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Deux coups de poing fatidiques
Lors du combat, Dean Bergeron reçoit un premier coup au visage, qui lui a fait perdre son casque. Un deuxième coup le fait chuter au sol et son coéquipier tombe avec lui.
C’est alors que deux de ses vertèbres cervicales se brisent. Sa moelle épinière est aussi sectionnée. À partir de ce moment tragique, M. Bergeron ne marchera plus jamais. Il sera pour toujours confiné à un fauteuil roulant.
Son rêve d’atteindre la LNH s’est évanoui en deux coups de poing, mais l’athlète s’est retroussé les manches. Il a étudié en actuariat. Dean Bergeron occupe aujourd’hui un poste de vice-président chez Beneva.
Et il a connu une carrière exceptionnelle en course en fauteuil roulant, récoltant un impressionnant total de 11 médailles aux Jeux paralympiques d’Atlanta, de Sydney, d’Athènes et de Pékin.
Mais malgré ce changement de cap réussi, M. Bergeron avait au fond de lui ce profond désir de faire changer les mentalités au hockey. La honte qui l’a habité durant des années avait muté en espèce de devoir «de protection et d’éducation auprès des jeunes».
«Chaque fois que j’ai assisté à un match de hockey junior dans lequel il y avait des bagarres, j’ai revécu mon accident, souligne-t-il. Je n’étais pas capable de m’imaginer qu’un autre accident de la sorte puisse se produire.»
«C’est certain que le mien est gravissime. Mais on peut aussi parler de commotions cérébrales, de traumatismes physiques ou mentaux», soulève Dean Bergeron.
Affranchi de la culpabilité
Pendant des années, M. Bergeron a multiplié les conférences. Il s’est adressé aux gouverneurs, aux propriétaires et aux entraîneurs de la LHJMQ il y a quelques années à Moncton, lors d’une séance de repêchage.
«C’est drôle, parce qu’à ma sortie, Patrick Roy est venu me voir et m’a dit qu’on lui avait raconté que je m’étais blessé quand mon patin s’était pris dans la glace et que j’étais tombé», se souvient-il.
«C’est un peu de ma faute, parce que j’avais cette culpabilité de m’être battu. Mais en racontant mon histoire, je m’en suis affranchi.»
Dean Bergeron s’est aussi allié à Enrico Ciccone quand le député libéral de Marquette a présenté son projet de loi visant à interdire les batailles dans les activités sportives auxquelles participent des personnes de moins de 18 ans.
Et quand il a entendu, lundi, que les bagarres seraient bientôt chose du passé dans la LHJMQ, M. Bergeron était heureux de l’initiative de la ligue. Il a rapidement envoyé un message texte à son complice.
«Quand je vois des initiatives pour resserrer ce cadre règlementaire-là, c’est sûr que j’applaudis, explique-t-il. Je me dis que c’est un pas de plus vers l’abolition.»
«On peut se satisfaire de se dire que le nombre de bagarres a diminué. Mais une bagarre, c’est une bagarre de trop, dit-il. Ce n’est pas de cette façon que l’on veut que la société d’aujourd’hui règle ses comptes.»
Plus de victimes qu’on le croit
Quand même, plus de 35 années se sont écoulées depuis la bagarre qui l’a privé à jamais de l’usage de ses jambes. Dean Bergeron trouve-t-il que la ligue a mis trop de temps à agir?
«Oui. Car c’est chez moi que l’impact des bagarres est le plus visible, mais parmi tous les joueurs qui ont eu à se battre, combien sont encore sur les deux jambes, mais qui sont assurément traumatisés d’avoir dû risquer leur vie et d’avoir été intimidé par des jeunes qui étaient deux fois plus gros qu’eux ou qui étaient quatre ans plus vieux qu’eux.»
«Pour moi, il y a eu beaucoup plus de victimes que Dean Bergeron.»
Un psychologue du sport plaide pour des règles encore plus strictes
Il était plus que temps que la LHJMQ légifère afin d’abolir les combats, affirme le docteur en psychologie sportive Dany Bernard, qui qualifie les bagarres au hockey de « sous-culture néandertalienne » et qui déplore les nombreuses conséquences avec lesquelles doivent vivre les hockeyeurs qui ont à se battre.
Mais le circuit junior devrait être encore plus sévère, ajoute le Dr Bernard, qui est également fondateur du programme de sports-étude hockey à Québec et qui plaide depuis longtemps en faveur de l’abolition des bagarres.
Pour l’instant, comme le rapportait mardi notre collègue Kevin Dubé, les gouverneurs du circuit ont accepté qu’un belligérant soit expulsé du match, mais ils se gardent un droit de réserve et de nuance sur l’application de la sanction, notamment dans les cas où un joueur agit comme instigateur.
La ministre du Sport, Isabelle Charest, demande pour sa part à la ligue d’imposer à compter de la saison prochaine une expulsion ainsi qu’une suspension chaque fois que deux joueurs jettent les gants.
« Il faut que la réglementation soit très dissuasive, insiste Dany Bernard. Si on dit que l’on ne permet pas la bagarre, mais que les punitions ne sont pas assez dissuasives, ça va continuer. »
« Le comportement humain, c’est coût versus bénéfices, ajoute-t-il. Plus un comportement me coûte cher, moins je vais avoir tendance à le répliquer. Si je suis suspendu un, deux ou trois matchs à la suite du combat, là, c’est dissuasif. »
Dépressions et suicides
S’il prône depuis aussi longtemps l’abolition des combats, c’est que leur impact se fait ressentir à long terme chez les bagarreurs, souligne le Dr Bernard.
« [Parmi les bagarreurs], plusieurs ont eu des problèmes au cerveau. Il y a eu des cas de dépressions, de suicides, énumère-t-il. Les impacts perdurent. L’être humain devient de la chair à canon. »
« Il faut protéger les participants, insiste-t-il. Après tout, à la base, on fait de l’activité physique pour être en santé. »
Dany Bernard rappelle aussi que les ligues juniors canadiennes, ainsi que la Ligue nationale, sont parmi les rares au monde à permettre les combats.
Ils sont interdits en Europe et aussi dans la NCAA, où les joueurs doivent en plus porter un protecteur facial complet.
« Quand on regarde du hockey, on veut voir les habiletés physiques et techniques des joueurs, dit-il. Si vous voulez voir des combats, il existe la boxe. »