Pierre Fitzgibbon: attaques frontales contre les médias
Un expert le met en garde contre les dangers liés à la décrédibilisation des médias d’information
Vous voyez cet article car vous êtes connecté.
Article réservé aux utilisateurs connectés. Se connecter
Coup d'oeil sur cet article
Pierre Fitzgibbon voit peut-être un avantage politique à se braquer contre Le Journal et d’autres médias, croit un expert, prévenant au passage le ministre qu’il y a un danger à attaquer un engrenage essentiel de la démocratie.
• À lire aussi: Faut-il craindre le superministre Fitzgibbon?
• À lire aussi: Pierre Fitzgibbon: un ministre à l’éthique élastique
• À lire aussi: Pierre Fitzgibbon: des succès et des échecs
En qualifiant à répétition Le Journal de Montréal de « publication bas de gamme » et en prenant à partie les journalistes qui y travaillent, Pierre Fitzgibbon se tient sur la ligne étroite entre la défense de sa réputation et l’atteinte à un pilier de la démocratie, estime le politologue Philippe Dubois.
« Il a le droit de défendre ses actions, et ça peut être payant politiquement de se mettre en opposition à certains critiques, explique-t-il. Mais ce faisant, il s’aventure sur un terrain délicat, et le boomerang pourrait lui revenir dans la face. »
C’est que les médias jouent un « rôle de contrôle et de critique du gouvernement ». « En un sens, c’est de bonne guerre pour les politiciens de répondre aux journalistes pour essayer d’avoir le dessus et d’imposer leur message », poursuit M. Dubois.
Une ligne à ne pas franchir
Sauf qu’il y a une ligne à ne pas franchir entre se défendre face aux critiques d’un contre-pouvoir et s’attaquer à sa légitimité, surtout dans un contexte où la confiance envers les élus et les journalistes est fragile. « Décrédibiliser les médias, c’est s’attaquer à un des engrenages essentiels de la démocratie », souligne-t-il.
Cette ligne a-t-elle été franchie par Pierre Fitzgibbon ? Y a-t-il un danger de glissement à la Donald Trump ? Le politologue a préféré ne pas répondre. « Être conseiller du ministre, je lui rappellerais qu’il a le haut du bâton. Il est un superministre dans un gouvernement avec un mandat confortable, il n’est pas un diable dans l’eau bénite. Il doit donc faire attention de ne pas réagir de façon démesurée. »
Louis Simard, qui est professeur de science politique à l’Université d’Ottawa, partage ce constat. « Si on n’a pas suffisamment de respect pour les médias [...], on se tire une balle dans le pied en 2023 », a-t-il expliqué en entrevue.
À la longue, des attaques répétées contre un journal pourraient être perçues comme de l’arrogance, au bénéfice futur des autres partis.
« On voit que ça peut donner des munitions à ses adversaires pour plus tard, d’autant plus qu’on a déjà reproché à ce gouvernement de faire preuve d’arrogance », explique Philippe Dubois.
Du jamais-vu depuis Duplessis
On trouve peu de cas d’élus qui prennent ainsi à partie certains médias dans l’histoire récente du Québec, remarque l’historien Pierre Berthelot.
Il faut remonter aux années 1950 et à la relation conflictuelle entre Maurice Duplessis et Le Devoir, pour trouver une situation à peu près analogue.
« En chambre, Duplessis dénonçait ouvertement Le Devoir, qu’il traitait de “torchon” et de “papier fielleux” », dit-il.
Un journaliste avait même été expulsé du bureau du premier ministre.
« En entrant dans le bureau de Duplessis, le journaliste Guy Lamarche se présente comme un représentant du Devoir et tend la main au premier ministre. Duplessis retire sa main et demande à son garde du corps de sortir “le gars du Devoir” », relate l’historien.
- Écoutez la chronique économique avec Yves Daoust, directeur de la section Argent du journal de Montréal et du Journal de Québec, entres autres, au sujet de Fitzgibbon sur QUB radio :
FITZGIBBON HAUSSE LE TON
« Ça ne vous regarde pas. C’est privé. On va attendre le rapport de la commissaire. Et on va vous envoyer les codes pour comprendre c’est quoi un conflit d’intérêts [...] Ça ne vous regarde pas. C’tu clair ? Ça ne vous regarde pas. »
Réponse à un journaliste du Journal de Québec dans une mêlée de presse le 23 février 2023, en réaction au rapport sur la cinquième enquête de la commissaire à l’éthique, qui l’a blanchi.
« Arrêtez de fouiller dans les poubelles. C’est-tu clair ? C’est-tu clair ?! [...] C’est-tu clair ?! Ou ?... Vous, vous... vous êtes désagréable. Vous n’arrêtez pas de fouiller dans les poubelles des gens, là. Soyez constructif... Autre question. »
Réponse à un journaliste du Journal de Montréal, qui l’interrogeait le 7 juin 2022 à propos d’un souper avec le lobbyiste Luc Laperrière
« Je ne sais pas pourquoi vous êtes encore sur ça. Il n’y avait pas d’enjeu là. Polycor, c’est une très belle transaction. Vos articles ont été négatifs pour l’entreprise. »
Réponse à un journaliste du Devoir le 10 mai 2022, à propos du dossier Polycor
« TABLOÏD BAS DE GAMME »
Trois fois plutôt qu’une depuis décembre 2022, le ministre Fitzgibbon a qualifié Le Journal de tabloïd bas de gamme, lorsque des reportages ne faisaient pas son affaire.
INTIMIDATION SUR FACEBOOK
En novembre 2022, le ministre a annoncé qu’il fera un don testamentaire de 5 M$ à HEC Montréal. Plutôt que de répondre aux questions d’un journaliste du Journal au sujet de ce don qu’il avait lui-même dévoilé, le ministre publie ces questions sur sa page Facebook, en laissant entendre qu’elles sont agressives et de « mauvaise foi ». La Fédération professionnelle des journalistes du Québec s’indigne de cette manœuvre, qu’elle associe à de l’intimidation.
– Avec la collaboration de Marie Christine Trottier et Nicolas Brasseur