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Le sel de déglaçage ronge nos ponts en acier et en béton

L’hiver québécois met à mal ces structures, peu importe leurs matériaux

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Le nouveau pont Champlain par temps glacial, le mois dernier. Photo Agence QMI, Joël Lemay


En plus de son impact néfaste sur l’environnement, le sel de déglaçage cause des dommages importants aux ponts de la province, selon des experts, qui en expliquent les effets destructifs.

Chimiste spécialisé en environnement et en gestion des matières dangereuses, le chercheur Marc Olivier souligne que le sel de déglaçage a contribué à la mise au rancart du pont Champlain au bout de 57 ans, beaucoup moins que sa période utile prévue.

«Pourquoi pensez-vous qu’il a fallu mettre 5 G$ pour remplacer le pont Champlain?» questionne celui qui oeuvre notamment au Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTÉI) de Sorel-Tracy. «C’est à cause des fondants qui étaient des chlorures qui ont complètement attaqué la structure en béton en pénétrant jusqu’à l’acier d’armature», répond-il.

«On a le même problème avec le métal non protégé, poursuit-il. La dernière fois que je suis passé sur le pont de Québec, j’ai réalisé que sur les côtés à la hauteur des voitures, il y avait un tuyau tout le long du pont dont des bouts n’existaient plus tellement c’était corrodé. La corrosion est immense à partir des chlorures utilisés en grande quantité. Tous les métaux se font ravager.»

Le sel demeure le produit utilisé pour l’entretien de la chaussée des ponts de la province, comme le pont de Québec et le pont Pierre-Laporte (voir ci-bas).

Une fin prématurée

La société d’État fédérale qui gère notamment le pont Jacques-Cartier ainsi que l’ancien pont Champlain confirme que le sel de déglaçage a un impact «très important» et est une des «principales causes de détérioration» du pont Jacques-Cartier, dont il attaque aussi les piles.

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L’ancien pont Champlain en 2013. Photo d'archives, Agence QMI

 «Le sel a aussi contribué énormément à la dégradation de l’ancien pont Champlain», précise Nathalie Lessard, directrice des communications des Ponts Jacques-Cartier et Champlain Incorporée (PJCCI).

Il existe des solutions de remplacement au sel de déglaçage, mais elles sont très dispendieuses (voir ci-bas).

Plus exposés

Rien pour aider leur sort, les ponts nécessitent l’utilisation de plus de fondants.

«Les ponts sont des points froids, le verglas y apparaît plus rapidement. Sur la route, le verglas est moindre en raison de l’énergie géothermique», raconte David Conciatori, professeur au département de génie civil de l’Université Laval et membre du CRIB, le Centre de recherche sur les infrastructures en béton.

Et contrairement à nos automobiles où l’effet du sel se fait surtout sentir lorsque le mercure passe au-dessus de zéro, «l’effet sur nos structures se fait sentir à l’année. Ce n’est pas à l’endroit où il y a le plus de sel ou le plus d’humidité que c’est le pire. Le processus de transport dans le béton est particulier, il se fait par succion capillaire», précise M. Conciatori.

Fragile quand sec

Pour avoir une idée du phénomène, il s’agit de mettre une petite paille dans un récipient. L’eau dans la paille atteindra un niveau supérieur à celle du récipient.

«La porosité du béton étant très petite, le phénomène de paille est amplifié. On a une aspiration très rapide de l’eau quand le béton est très sec. L’aspiration entraîne les particules dans l’eau, dont le sel. En laboratoire, on est capable de faire pénétrer du chlore à plus de deux centimètres dans le béton en moins d’une journée», fait remarquer le professeur.

Le sel finit donc par atteindre l’armature métallique qui se corrode, prend de l’expansion et fait craquer le béton.

«Il n’y a pas que du chlore qui entre. D’autres choses peuvent s’infiltrer et causer de la dégradation», insiste David Conciatori.

DÉGLAÇAGE DES ROUTES AU QUÉBEC

  • Sel (tout le Québec): 1 500 000 tonnes
  • Sel (routes du MTQ): + 800 000 tonnes
  • Abrasifs* (routes du MTQ): + de 1 000 000 tonnes
  • Commandes de sel**: 46 M$

*Sable tamisé, pierre ou gravier concassé
**MTQ en 2021-2022

Source : MTQ 2020-2021

Ce sel qui pollue

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Le lac Clément, au nord de Québec, est petit à petit détruit par les eaux de ruissellement contenant des sels de voiries. Photo fournie par AGIRO, Mélanie Deslongchamps

Si le sel de déglaçage est corrosif au point de détruire les ponts en acier ou en béton et les voitures, il ne faut pas se surprendre de son impact environnemental et sur la santé humaine. Une initiative est en cours à Québec pour sauvegarder la principale source d’eau potable de la ville menacée par le sel de voirie.

Certains plans d’eau du Québec encaissent un véritable choc lors de la fonte des neiges au printemps ou lors des redoux en hiver en recevant une forte quantité de sel de déglaçage par les eaux de ruissellement.

Au nord de Québec, c’est notamment le cas du lac Clément, qui se déverse dans la rivière Saint-Charles, une des sources d’eau potable de la ville. 

L’organisme Agiro, anciennement l’APEL, qui se dévoue à la protection du bassin versant de la rivière Saint-Charles, tire la sonnette d’alarme depuis longtemps.

Le professeur Patrick Drogui de l’INRS-ETE a proposé ses services à la Ville de Québec pour chercher une solution au problème.

La Ville a donc lancé un projet de trois ans en collaboration avec Agiro, le MTQ et la compagnie Éconeau, qui fabrique des systèmes de récupération d’eau de pluie.

En trois étapes

«L’objectif est de traiter les eaux de ruissellement routier chargées en sels de déglaçage. Après le traitement, nous voulons récupérer les sels et en faire un produit à valeur ajoutée», explique le professeur Drogui.

Le projet comporte trois grandes parties.

«Il y a d’abord la récupération de ces eaux. Agiro nous a aidés à avoir un point d’échantillonnage. On procède ensuite à une première étape de prétraitement. Ces eaux routières sont chargées en hydrocarbures, en métaux, en matières en suspension. Avant d’aller chercher les sels, il faut clarifier ces eaux», précise le chercheur.

«Finalement, il faut aller chercher les sels dans l’eau, poursuit-il. On a appliqué un traitement par électrodialyse pour concentrer ces sels. Ensuite, il faut récupérer ce concentrat pour le valoriser sous forme de chlore actif qu’on peut utiliser pour la désinfection du sol, pour le nettoyage et autre. Une thèse de doctorat en cours va faire le bilan de tous ces travaux préliminaires.»

Applicable ailleurs

Les résultats en laboratoire sont plus qu’encourageants, même si les travaux ont pris du retard en raison de la COVID.

«Ça va très bien. La preuve du concept a été faite. On a tous les éléments pour aller faire une étude de démonstration sur le site. En principe, c’est prévu l’année prochaine si on a le financement nécessaire», espère M. Drogui.

«Sur site, ça demande beaucoup d’investissements, les équipements sont de grande taille. Si ça fonctionne bien, ça pourra être appliqué à d’autres sites pour soulager les lacs. Veos Water [fournisseur d’équipement de traitement des eaux] est intéressée à faire l’implantation d’une telle filière», mentionne Patrick Drogui.

Autofinancement

Au-delà de la désalinisation, l’opération a aussi l’avantage de remettre dans le circuit une eau beaucoup plus propre.

«Les eaux prétraitées vont continuer le circuit. Mais les matières en suspension vont être concentrées sous forme de boues qu’on envoie dans un site d’enfouissement. On se retrouve avec un résidu métallique dont on peut disposer ou qu’on peut valoriser par exemple dans une cimenterie», note-t-il.

«Sur le plan environnemental, c’est très intéressant. Mais il y a toujours un coût associé. On voudrait tout de même créer une filière rentable. Du point environnemental, l’objectif est probablement atteint. Il faut voir si c’est faisable sur le plan économique. Il faut voir la consommation énergétique versus la valeur du chlore produit. C’est cette étude qu’on entend faire», précise le chercheur.

Puits contaminés

Chimiste spécialisé en environnement et en gestion des matières dangereuses, Marc Olivier maîtrise bien les méfaits du sel de déglaçage. 

«Depuis quand connaît-on le problème associé aux fondants? Depuis la grande étude faite en 1990 d’Environnement Canada qui a conclu que notre façon d’utiliser les sels de voirie pénétrait de façon néfaste dans l’environnement pour un certain nombre d’écosystèmes. On parlait d’atteinte à la biodiversité et de contamination de nappes d’eau souterraines», rappelle-t-il.

«Sur l’autoroute qui traverse Trois-Rivières, certains résidents avaient encore des puits qui sont devenus tellement salés que l’eau est devenue impropre à la consommation», fait-il remarquer.

Il souligne que des tronçons de route au Québec ont expérimenté une gestion environnementale du déglaçage pour soulager des plans d’eau.

«Notamment sur un segment de l’autoroute des Laurentides où on avait une forte détérioration du lac à la Truite. De grands panneaux avisaient les automobilistes qu’il n’y avait plus de fondants, seulement des abrasifs, les appelant à modifier leur façon de conduire», raconte-t-il.

Écoroutes d’hiver

«Le Ministère entretient certaines routes de façon particulière lorsque cela est possible (à titre d’exemple les écoroutes d’hiver), afin de limiter l’impact des sels de voirie sur les milieux sensibles», précise Émilie Lord, porte-parole du MTQ.

La Ville de Québec mentionne sur son site internet un réseau de 14,4 km d’écoroutes, essentiellement des rues et des routes autour des lacs Saint-Charles et Clément. 

«Il s’agit d’une route faisant l’objet d’un mode d’entretien hivernal alternatif afin de protéger les zones vulnérables aux sels de voirie. On y privilégie des interventions de grattage et l’utilisation d’abrasifs en remplacement des fondants. La chaussée est laissée sur un fond de neige», écrit la Ville.

Voie aérienne

Mais le sel ne se déplace pas seulement par les eaux de ruissellement. Comme un virus, il peut circuler dans l’air. Si le phénomène était connu, on commence à peine à en mesurer l’ampleur.

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David Conciatori, professeur agrégé du département de génie civil et de génie des eaux de l’Université Laval. Photo tirée du site de l’Université Laval

«Le brouillard salin est très volatile et peut aller à une dizaine ou une vingtaine de kilomètres selon les vents», raconte David Conciatori, professeur au département de génie civil de l’Université Laval.

«Nous avons à l’université une nouvelle station météo mobile avec des capteurs de brouillard salin. Les automobilistes le remarquent facilement. En hiver lorsque le pare-brise devient blanc, c’est en partie en raison des éclaboussures, mais c’est davantage à cause du brouillard salin», conclut le chercheur.

Une option chère, mais qui pourrait faire épargner gros

Existe-t-il des solutions de remplacement au sel de déglaçage qui détruit les ponts en acier et en béton? Oui, mais le coût de la plus intéressante est actuellement très élevé, ce qui n’empêche pas la ville de New York, par exemple, de l’utiliser pour préserver quatre ponts emblématiques.

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Trois camions de déneigement de la ville de New York se dirigeant vers le pont de Brooklyn. Les deux premiers transportent de l’acétate de potassium, liquide, et le dernier un abrasif, de l’acétate de sodium. Photo tirée du compte Facebook NYC DOT

À un prix d’environ 60$ la tonne pour le MTQ, le sel de déglaçage est un produit plutôt abordable.

Mais le MTQ lui-même, dans un guide sur la gestion de l’utilisation des sels de voirie, met en garde sur leurs coûts réels.

«Outre leurs impacts sur l’environnement, chaque tonne de sel épandue coûterait entre 469 et 1450 dollars en dommages causés aux véhicules, aux ponts et à l’environnement (Shi, 2005; Yunovich et autres, 2002). Au Québec, avec les 1,5 million de tonnes qui sont épandues annuellement, cela représente un coût direct variant de 704 millions à 2,2 milliards de dollars», écrit le MTQ.

«De plus, une analyse a révélé que les coûts indirects assumés par l’usager (comme le temps perdu lors des travaux d’entretien des infrastructures) représenteraient plus de 10 fois le coût direct de la corrosion (Yunovich et autres, 2002)», ajoute le MTQ.

À noter que les deux études ont été réalisées aux États-Unis, où l’utilisation du sel est en général moins intensive et sur une moins longue période qu’au Québec.

«Pour un gestionnaire actuellement, c’est le budget de l’année en cours qui est regardé. C’est pour ça qu’on voit peu d’efforts faits pour aller vers des produits plus doux pour l’environnement. Mais il y a des pistes. Il ne faut pas être négatif. Des choses se font», répond Marc Olivier, chimiste spécialisé en environnement et en gestion des matières dangereuses.

Abrasifs et betterave

La manière souvent utilisée actuellement au Québec pour diminuer la quantité de sel est de compenser avec du sable ou de la pierre concassée.

«L’alternative aux fondants est d’utiliser des abrasifs qui peuvent tolérer la présence d’une certaine quantité de glace et rendre ça sécuritaire. Il ne faut pas oublier que l’objectif est de rendre la route sécuritaire. Utiliser moins de sel suppose qu’on va utiliser des abrasifs en quantité complémentaire. Ou bien une stratégie plus scientifique selon les conditions météo», avance-t-il.

Cette approche a cependant ses limites. Les écoroutes d’hiver où les abrasifs sont privilégiés sont nettement indiquées aux automobilistes, l’adhérence pouvant être moindre dans certaines circonstances.

Le jus de betterave est un autre produit complémentaire. Il est notamment utilisé sur la piste cyclable du pont Jacques-Cartier.

«Le jus pur n’a pas la même efficacité pour mordre dans la glace. On l’utilise toujours en combinaison avec un sel dont il rend les grains collants et permet d’en épandre moins. Le sel qui n’a pas encore fondu a tendance à aller sur les bas-côtés au passage des voitures. Plus il fait froid, plus les grains roulent, plus il faut en remettre. C’est un cercle vicieux. Mais mélangé au jus de betterave, il demeure sur la route et fait son action progressivement. C’est nettement intéressant», souligne-t-il.

Les acétates

M. Olivier est aussi chercheur au Centre de transfert technologique en écologie industrielle (CTTÉI) de Sorel-Tracy.

«Nous y avons développé un nouveau produit qui existait déjà, mais dont à peu près personne n’avait entendu parler. Plutôt que de prendre des sels qui sont des chlorures, dont la surabondance crée des effets néfastes sur l’environnement, les plantes, les lacs, on prend des acétates, un sel organique et biodégradable», fait-il remarquer.

Ce produit a aussi l’avantage de ne pas être corrosif. M. Olivier indique d’ailleurs que les aéroports utilisent des acétates pour préserver le revêtement des avions.

«On a trouvé une recette pour faire un acétate mixte de calcium et de magnésium en mélangeant des déchets industriels. Il existe déjà comme produit commercial, sauf qu’il se vend à peu près 10 fois plus cher [que le sel]. À grande échelle pour les municipalités, pour le ministère des Transports, ça grince des dents. C’est le paradigme des coûts à court terme comparativement à une amélioration de l’environnement et de la conservation des matériaux à long terme dans notre société», estime-t-il.

L’acétate mixte a une efficacité similaire à celle du plus puissant des sels de voirie, le chlorure de calcium, actif jusqu’à une température de -22°C.

Il faut du vinaigre

Le calcium et le magnésium nécessaires à ce produit sont extraits des scories, qui sont des rejets de l’extraction des métaux.

«À peu près toutes nos industries lourdes vont produire des scories riches en magnésium et en calcium. On en a des centaines de milliers de tonnes par année», précise M. Olivier.

Là où l’histoire se corse, c’est au niveau de l’autre composé, l’acide acétique, le principal produit trouvé dans le vinaigre après l’eau.

«Si notre recette pouvait être appliquée à des centaines de milliers de tonnes, les prix de revient descendraient beaucoup. Notre actif limitant pour le moment ce sont les dérivés de vinaigre qui ne sont pas présents en quantité suffisante à un endroit donné pour commencer à fabriquer des centaines de milliers de tonnes», insiste Marc Olivier.

«On peut prendre n’importe quel dérivé de vinaigre, du vin qui a tourné, du vinaigre de vin de basse qualité, des fins de ligne de produits industriels riches en vinaigre, poursuit-il. Pour le moment, nous n’avons rien d’organisé à échelle industrielle pour les récupérer. Si vous avez 50 entreprises qui ont une certaine quantité de ce matériau, seulement le transport pour les amener à un endroit va tout manger.»

Sauver les ponts de New York

Utopique, l’utilisation à grande échelle des acétates? Pas pour la Ville de New York en tout cas. Elle utilise depuis plusieurs années l’acétate de potassium, qui prévient la formation de glace, et l’acétate de sodium, un fondant, sur quatre ponts en acier emblématiques tous plus vieux que le pont de Québec.

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La travée supérieure du pont de Brooklyn est réservée aux piétons et aux cyclistes. Photo d'archives, AFP

Il s’agit des ponts de Brooklyn (pont suspendu de 1825 m inauguré en 1883), de Manhattan (suspendu, 2090 m, 1909), de Queensboro (cantilever, 1135 m, 1909) et de Williamsburg (suspendu, 2227m, 1903).

Ces acétates présentent les mêmes caractéristiques biodégradable et non corrosive que le produit développé par l’équipe de Marc Olivier.

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Deux chasse-neige de la ville de New York épandant de l'acétate de potassium sur le pont de Queensborough en 2017. Photo tirée du compte Facebook NYC DOT

Dans un rapport de 2018, la Ville de New York a dévoilé l’ampleur de l’utilisation de ce produit. L’hiver précédent, 157 tonnes d’acétate de sodium sous forme d’agrégats et 73 500 L d’acétate de potassium ont été répandus sur les quatre ponts.

Le parc de véhicules assignés à cette tâche est composé de cinq chasse-neige et de 22 camions d’application, certains combinés aussi à un chasse-neige.

CTC and associates, une entreprise américaine qui fournit des données pour l’industrie du transport, a réalisé une étude sur une base volontaire sur l’utilisation de ces acétates dans certaines régions. Les États de l’Alabama et du Minnesota ont indiqué en utiliser 189 000 L et 113 000 L annuellement respectivement. Le produit est aussi largement utilisé sur les autoroutes d’Angleterre avec 748 000 L.

En attendant

D’ici à ce que les coûts de revient de la recette de l’équipe de Marc Olivier baissent – où que le coût des impacts du sel de déglaçage soit davantage tenu en compte – une utilisation plus importante de l’acétate mixte de calcium et de magnésium est tout de même envisageable.

«Dans des applications près des citoyens, pour le trottoir, devant la maison, pour les plates-bandes, près du gazon, c’est l’idéal. J’ai travaillé à Saint-Lambert sur un ensemble urbain de 130 maisons de ville tassées les unes sur les autres. Chaque maison a un garage souterrain avec une dalle de béton comme toit. Pour les trottoirs au-dessus, ils cherchaient des matériaux qui n’attaqueraient pas le béton. C’est sûr que les acétates n’attaquent pas le béton», plaide-t-il.

Des inquiétudes concernant la diminution des niveaux d’oxygène dans les milieux aquatiques sont parfois soulevées.

«Les acétates se biodégradent et consomment beaucoup d’oxygène. Pour que ce soit un problème, il faudrait avoir une configuration extraordinaire où une grande surface d’eau de ruissellement arrive à un seul endroit. Les feuilles l’automne se dégradent aussi en consommant de l’oxygène», précise Marc Olivier.

Porte fermée au MTQ

Tout en reconnaissant ses propriétés, le ministère des Transports est rebuté par le coût élevé du produit et le fait qu’il n’a pas été testé ici.

«L’acétate de potassium est l’une des alternatives possibles au sel de voirie traditionnel. Toutefois, comme d’autres produits alternatifs, le coût d’acquisition est très élevé, jusqu’à 30 fois celui du sel de voirie», a expliqué Émilie Lord, porte-parole du MTQ.

«L’utilisation de ce produit à grande échelle sur le réseau n’est donc pas une option envisagée par le Ministère. D’ailleurs, l’utilisation des acétates n’a pas été testée à grande échelle, principalement pour des raisons économiques. Malgré tout, le Ministère s’intéresse toujours aux différentes alternatives aux sels de déglaçage», a-t-elle conclu.

Un traitement un peu différent pour le pont de Québec

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Le pont de Québec (au premier plan de la photo) bénéficie d’un mélange de déglaçage légèrement différent de celui de son voisin, le pont Pierre-Laporte. Photo Le Journal

Si pour toutes sortes de raisons le sort du pont de Québec – et dans une moindre mesure celui du pont Pierre-Laporte – inquiète, le sel demeure le produit utilisé pour l’entretien hivernal de leur chaussée.

Le MTQ est responsable du déglaçage des deux liens de la Capitale-Nationale. Le pont de Québec, avec la bénédiction du CN, a droit à un traitement différent de celui du reste du réseau routier.

Mais on ne parle pas ici d’un produit moins corrosif comme ceux utilisés par la Ville de New York. Cette ville a recours depuis plusieurs années à l’acétate de potassium, qui prévient la formation de glace, et l’acétate de sodium, un fondant, sur quatre ponts en acier emblématiques, tous plus vieux que le pont de Québec, dont celui de Brooklyn.

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Le pont de Brooklyn, un ouvrage suspendu en acier de 1825 m, a été inauguré en 1883. New York utilise l’acétate de potassium, qui prévient la formation de glace, et l’acétate de sodium, un fondant, sur ce pont et trois autres, au lieu du sel de voirie pour prévenir la corrosion. Photo d'archives, AFP

«Le produit utilisé est un mélange de sel et de chlorure de calcium liquide [sels préhumidifiés], en raison de son efficacité. En plus d’être plus économique, l’utilisation de sels préhumidifiés fait partie des exigences dans l’entente signée avec le CN, afin de limiter les effets corrosifs des produits déglaçants sur la structure», explique Émilie Lord, porte-parole du MTQ.

Elle souligne aussi que la préhumidification permet de diminuer le volume de sel utilisé et les impacts environnementaux, en ligne avec la politique gouvernementale à cet effet.

Questionné pour savoir si le sel avait une responsabilité sur l’état actuel du pont, Mathieu Gaudreault, des relations avec les médias du CN, a répondu que l’entreprise collaborait « continuellement avec le MTQ afin d’améliorer les pratiques de gestion du pont, y compris du tablier routier. Nous sommes satisfaits que notre stratégie d’entretien assure cette pérennité et permette d’exploiter cet actif stratégique de transport routier en toute saison. »

Pont Pierre-Laporte

Pour le pont Pierre-Laporte, «le traitement de déglaçage utilisé est le même que pour l’ensemble du réseau autoroutier», souligne Mme Lord.

«Les sels préhumidifiés sont occasionnellement utilisés quand les conditions météorologiques s’y prêtent. Ce produit déglaçant présente une efficacité optimale lorsque la température oscille entre -7 et -15°C », conclut-elle.

Pas sorcier d’entretenir un pont en acier

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Le pont Jacques-Cartier alors que le Québec se préparait pour du mauvais temps de 23 décembre dernier. Photo d'archives, Martin Chevalier

Alors que le pont de Québec se désagrège toujours, la société qui gère le pont Jacques-Cartier à Montréal l’entretient religieusement pour qu’il dure 150 ans «voir davantage» même s’il se trouve dans un environnement plus défavorable.

Comme pour l’ensemble des infrastructures routières, le sel de déglaçage a un impact «très important» et est une des «principales causes de détérioration» du pont Jacques-Cartier, explique Nathalie Lessard, directrice des communications de la société Les Ponts Jacques-Cartier—Champlain Incorporée.

Cette société fédérale s’occupe de l’ancien pont Champlain, en démantèlement, et de ponts toujours en service comme le Jacques-Cartier.

«Sur le pont Jacques-Cartier, on utilise du sel de voirie. Il faut s’assurer que le système de drainage en place fonctionne bien. Ainsi, le sel atteint moins la structure. Sur le pont Champlain d’origine, le système de drainage était défectueux. L’évacuation du sel ne s’est pas faite», admet Mme Lessard.

«Aux États-Unis, on a estimé que le sel cause des dommages de 2000$ par tonne, poursuit Mme Lessard. Sur le pont Jacques-Cartier (2,8 km de long), on utilise 1350 tonnes de sel par an. À Montréal, on est souvent autour de zéro, la corrosion est plus importante. La pollution industrielle est un autre facteur ainsi que l’humidité. Et le sel attaque aussi le béton des piles.»

Un fournisseur externe, sous la responsabilité de la société, exécute les travaux de déglaçage.

Changement d’approche

En septembre 2006, le viaduc de la Concorde qui enjambe l’autoroute 19 à Laval s’écroule, tuant cinq personnes. La tragédie secoue le Québec et l’industrie de la construction. Elle crée aussi un éveil sur l’importance de l’entretien des infrastructures routières, soutien Nathalie Lessard.

«Dans le passé, on attendait qu’il y ait un problème. On a fait face à un déficit d’investissements et on s’est trouvé en rattrapage. On a changé notre mode de fonctionnement il y a une quinzaine d’années pour être en gestion d’actif. Nous avons voulu bien comprendre les composantes du pont Jacques-Cartier, leurs causes de détérioration, de façon à planifier les interventions requises, améliorer l’efficacité des travaux et évidemment minimiser les coûts», défile-t-elle.

«On a une planification des interventions pour les 10, 20, 30, 80 prochaines années. Une inspection est réalisée annuellement, une plus complète aux quatre ans. On l’ausculte constamment. On a des travaux presque en permanence.»

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Le pont Jacques-Cartier est préparé pour des travaux de peinture du début des années 2000. Photo d'archives

Mme Lessard précise que la peinture a une durée de vie de 20 à 25 ans, à l’exception de la zone d’éclaboussure. Cette section composée des 4 ou 5 premiers mètres à partir du tablier est plus exposée au sel et demande davantage de soins. Au besoin, les pièces sont sablées ou remplacées avant d’être peinturées.

La peinture est appliquée en trois couches.

«La première est un apprêt en zinc galvanique, une protection contre la corrosion. La deuxième est une résine d’époxy, la barrière [étanche] pour protéger l’apprêt. Et la couche de finition en résine de polyuréthane lui donne sa couleur verte», explique Mme Lessard.

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Le remplacement complet du tablier du pont Jacques-Cartier en 2001-2002. Photo fournie par la Société des ponts Jacques-Cartier et Champlain inc.

Pour ce qui est du tablier, qui a été changé en 2001-2002, sa durée de vie est de 50 à 60 ans. La durabilité du pavage, étroitement liée au nombre et au poids des véhicules, est d’environ 7 à 8 ans.

Betteraves pour cyclistes

Si la chaussée en asphalte résiste aux assauts du sel, la piste cyclable est composée d’une dalle en béton plus vulnérable lors du déglaçage.

«Nous avons étudié différents types de produits et techniques de déglaçage durant deux ans. On utilise maintenant du jus de betterave, mais il y a toujours un peu de sel», avoue Mme Lessard.

Le jus de betterave, collant, a l’avantage de permettre d’utiliser moins de sel puisque ce dernier reste davantage à l’endroit où on le déverse (voir ci-haut).

Effets du tunnel sur le pont

Le pont Jacques-Cartier est traversé par 85 000 véhicules chaque jour, soit plus de 30 millions par année. La société analyse des données de mobilités pour évaluer l’impact de la circulation.

«On a des instruments qui mesurent son comportement, des capteurs qui analysent par exemple les vibrations. La capacité du pont est affectée par le nombre et le poids des véhicules. C’est l’usure. Plus il y a de véhicules, plus ils sont lourds, plus ça accélère la détérioration du pont», analyse-t-elle.

«Nous savons que l’on va avoir une hausse d’achalandage au cours des trois prochaines années. On pourrait notamment faire face à une accélération de la détérioration du pavage, mais nous ne sommes pas encore capables de le mesurer», dit Mme Lessard en référence aux impacts anticipés en raison des travaux sur le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine.

Retarder un cauchemar

C’est inévitable, le vieil ouvrage devra un jour être remplacé. Mais plus cette échéance est repoussée, plus des économies sont réalisées.

«Le pont Jacques-Cartier a 92 ans. On tente de le préserver 150 ans au moins, voire plus. Pour chaque dizaine d’années que l’on reporte sa reconstruction, on sauve des coûts. Le remplacer va coûter des milliards de dollars. Mais on sauve aussi des impacts incroyables pour la société. C’est un pont urbain, le reconstruire, ça va être inimaginable», prévoit Nathalie Lessard.

Mieux construire nos ponts en béton

À défaut d’utiliser des substituts moins agressifs au sel de déglaçage, il sera bientôt possible au Québec de construire de manière beaucoup plus durable, comme ça se fait actuellement en Europe, explique un chercheur de l’Université Laval.

Deux facteurs jouent contre la durabilité des ponts en béton. Leur positionnement au-dessus de l’eau les rend plus sensibles au verglas et la porosité du béton aspire le sel qui corrode l’armature intérieure (voir texte principal).

«On est vraiment capables aujourd’hui de faire des structures très durables», plaide David Conciatori, professeur au département de génie civil de l’Université Laval et membre du CRIB, le Centre de recherche sur les infrastructures en béton.

«Ce qu’on étudie beaucoup actuellement, c’est de mettre les bons matériaux aux bons endroits. Par exemple, les ponts en bois qui ont un toit ont une grande longévité. Même chose pour le béton. Les poutres, parce qu’elles sont protégées sous un pont, vont être moins dégradées», ajoute le professeur.

Et des façons de mieux construire, M. Conciatori en propose plus d’une.

Béton fibré ultra performant

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Le béton fibré ultraperformant (BFUP) une fois appliqué sur le viaduc de Chillon. Photo tirée du site internet de Opan concept

«Le concept est très développé en Europe, mais ici, c’est encore en développement. Il s’agit de mettre des couches de matériaux résistants à la dégradation [aux endroits exposés]. Le béton fibré ultra performant (BFUP) par exemple. On met une couche de quelques cm sur le dessus de la dalle. Ça suffit pour avoir une très longue longévité», souligne M. Conciatori.

«Les BFUB, c’est quelque chose de très exceptionnel comme qualité, poursuit M. Conciatori. C’est fait avec des granulats très fins optimisés pour avoir très peu de vide à l’intérieur. Il est très fluide et devient très imperméable. On fait de la recherche [sur ce béton] avec un collègue de la Polytechnique.»

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La firme d’ingénieurs Monod-Piguet et associés a réalisé les travaux de renforcement du viaduc de Chillon, en Suisse. On voit ici l’application de béton fibré ultraperformant (BFUP). Photo tirée du site internet de Monod-Piguet et associés, Hartmut Muehlberg

Le BFUB peut même être utilisé pour restaurer un ouvrage existant. C’est ce qui a été fait sur le viaduc de Chillon, en Suisse, en 2012. Long de 2,1 km et mis en service en 1969, il montrait des signes de détérioration avancée.

«Ils ont mis une couche de quelques cm de BFUP pour le rendre étanche, ce qui a permis de garantir 80 ans de durabilité au viaduc. Sinon, la seule autre solution (pour le remplacer) aurait été de creuser un tunnel», dit M. Conciatori.

Le viaduc de Chillon repose sur des piles. Est-ce que ce concept de restauration pourrait être appliqué à un ouvrage suspendu comme le pont Pierre-Laporte?

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Le viaduc de Chillon sur les bords du lac Léman en Suisse. Le viaduc a été restauré grâce à l’utilisation de béton fibré ultraperformant (BFUP). Photo tirée du site internet de Opan concept

«Je ne connais pas bien les détails constructifs du pont Pierre-Laporte. À première vue, je ne pense pas que ce soit un problème, les BFUP sont du même ordre de grandeur que le béton en matière d’élasticité», estime-t-il.

Et pourquoi le BFUP n’est-il pas encore utilisé sur les ponts au Québec?

«Les entreprises québécoises sont en train de développer des matériaux indigènes. Un nouveau code canadien vient juste de sortir pour son utilisation. Et le ministère également commence à l’utiliser de plus en plus, surtout dans les joints pour l’instant. Mais ça devrait se développer plus dans les prochaines années», pense le chercheur.

Béton chauffant

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Un bloc de béton soumis à un test de traction sans le laboratoire de l’équipe du professeur Conciatori et de ses collègues à l’université Laval. Photo fournie par David Conciatori

Des recherches portent actuellement sur du béton chauffant. Le concept est différent de celui de la construction résidentielle, par exemple, où le béton sous un plancher est chauffé par un câble.

«C’est le corps du béton qui chauffe grâce à la résistance entre les anodes et les cathodes qui sont placées à plusieurs endroits. Habituellement le béton a une bonne résistance électrique», détaille David Conciatori.

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Les fibres produites à l’endroit de la cassure après le test de traction. Photo fournie par David Conciatori

«Nous avons fabriqué un banc chauffant qui n’a pas besoin d’être déneigé, ajoute-t-il. Une rigole chauffante permet d’évacuer l’eau. Nous avons aussi créé des dalles chauffantes. Nous en avons même connecté une à un panneau solaire. Des utilisations intéressantes pourraient être faites dans les entrées d’immeubles, de tunnels.»

«C’est tout à fait possible de faire un pont avec cette technologie. Mais on doit étudier la durabilité et l’effet du gel et du dégel», prévient-il.

Déglaçage automatique

Le déglaçage de nos routes n’échappe pas aux avancées technologiques. Des systèmes automatiques sont même déjà en fonction dans le monde.

«Des capteurs dans le sol permettent de prédire le verglas. Le système permet d’utiliser des concentrations de sel plus faible et de les mettre au bon moment. C’est assez extraordinaire. C’est très approprié à des endroits que les chasse-neige peuvent mettre du temps à atteindre en raison de la distance ou de la congestion», explique M. Conciatori.

Le MTQ mène actuellement une expérience de ce type sur l’autoroute 73 à Notre-Dame-des-Pins, en Beauce.

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Un gicleur à l’œuvre sur le pont du Père-Antonio-Poulin qui enjambe la rivière Gilbert, sur l’autoroute 73 à Notre-Dame-des-Pins, en Beauce. Le MTQ y mène une expérience de déglaçage automatisé. Photo fournie par le MTQ

Le pont du Père-Antonio-Poulin, qui enjambe la rivière Gilbert, est muni d’un système d’aspersion automatisé d’acétate de potassium (voir plus haut) dilué à 50% avec de l’eau.

«Beaucoup moins corrosif, l’acétate de potassium permet de réduire l’usure des pièces (tuyaux, valves) du système», précise Émilie Lord, porte-parole du MTQ.

«Le système permet une application de fondant de façon rapide dès que le système détecte que l’adhérence de la chaussée est affectée. Mais la chaussée sur le pont du Père-Antonio-Poulin est toujours traitée avec du sel et de l’abrasif par des camions, de la même façon que le reste de l’autoroute 73», ajoute-t-elle.

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Les réservoirs d’acétate de potassium qui sert au déglaçage du pont du Père-Antonio-Poulin sur l’autoroute 73 à Notre-Dame-des-Pins, en Beauce Photo fournie par le MTQ

L’aluminium

Bien qu’il se spécialise dans le béton, David Conciatori prône aussi l’utilisation d’un matériau dont le Québec est un chef de file dans sa production.

«L’aluminium est aussi un matériau très intéressant pour les ponts. En raison de sa dilatation thermique, cependant, il ne peut pas remplacer l’acier d’armature dans le béton», prévient-il.

S’il est très résistant seul, «l’aluminium est davantage sacrificiel. Si on le met en contact avec le béton, l’aluminium va se corroder. Même chose avec d’autres métaux. Mais il y a des ponts avec une dalle en aluminium sur des poutres en acier. Lorsque les deux ne sont pas en contact (avec un matériau neutre entre)», poursuit-il.  

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