/opinion/blogs/columnists
Navigation

L’indépendantisme anti-nationaliste de QS est un indépendantisme en carton-pâte

Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé
PHOTO D'ARCHIVES, AGENCE QMI (TOMA ICZKOVITS) Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé

Coup d'oeil sur cet article

Québec solidaire est depuis ses origines enfermé dans une forme de contradiction idéologique.

Officiellement, il se dit favorable à l’indépendance du Québec.

Mais le parti se veut en même temps hostile à ce qu’il appelle le nationalisme identitaire – un terme un peu redondant, d’autant que le «nationalisme identitaire» en question correspond ce qu’on a tout simplement appelé au fil de l’histoire le nationalisme québécois, qui était en lui-même identitaire, et qui pour cela, ne sentait pas le besoin de le préciser. Pour qu’on me comprenne bien: selon la définition actuelle de ce terme, René Lévesque, Jacques Parizeau, Lucien Bouchard, Camille Laurin, Fernand Dumont, Léon Dion, Maurice Séguin et toutes les grandes figures de l’histoire du nationalisme étaient des «nationalistes identitaires». Cette définition de la nation a toujours été accueillante, mais elle ne croyait pas que l’ouverture à l’autre passait par le reniement de soi, et que la majorité historique francophone devait se percevoir comme une communauté parmi d’autres pour témoigner d’un sens authentique de l’hospitalité.

Le problème est majeur: comment faire l’indépendance d’un peuple qu’on refuse de nommer, et qu’on définit au mieux comme une stricte association d’individus installés sur un territoire sans profondeur historique – sauf celle consentie aux Amérindiens. Ruba Ghazal, dans un entretien accordé récemment à OUI Québec, ne cachait pas d’ailleurs son hostilité à l’endroit de toute vision historique de la nation québécoise.

Gauche radicale

Peut-on sérieusement définir une nation comme une simple unité administrative et juridique, sans substrat culturel, et dans le cas québécois, sans l’ancrer dans la majorité historique francophone? Dans ce cas, qu’est-ce qui la distingue du Canada, d’autant que QS se revendique sans utiliser le même mot du même multiculturalisme qui structure idéologiquement le régime de 1982?

QS a sa réponse et propose alors de donner un contenu substantiel non-identitaire à l’indépendance, un contenu nommé «projet de société».

L’indépendance, ici, n’est plus pensée comme la pleine expression politique d’une nation historique (ce qu’elle est partout dans le monde, soit dit en passant), mais comme le vecteur d’une transformation sociale radicale sous le signe de l’écologisme, du néosocialisme, du néoféminisme, du multiculturalisme et ainsi de suite. La souveraineté en elle-même n’est plus une fin en soi – elle n’a pas de valeur en elle-même, mais seulement en fonction du type de société qu’elle est censée permettre de construire.

QS nous dit alors: oui à la souveraineté, mais pas à n’importe quelle souveraineté.

Mais cette vision suscite quelques questions.

La première: si l’indépendance n’est pas fondamentalement «à gauche», demeure-t-elle désirable pour QS, ou s’agit-il désormais, de son point de vue, d’une coquille vide, d’un caprice bourgeois, comme on aurait dit autrefois? Si le prochain référendum est lancé par une figure politique «pas de gauche», ou «pire» encore, associée au nationalisme identitaire ou au conservatisme, est-ce que QS voudra rejoindre le camp du Oui?

La deuxième: est-ce que QS comprend qu’on peut difficilement construire une coalition indépendantiste si on explique à l’avance que les raisons nationales, qui rejoignent tout le monde, seront laissées de côté, pour faire place à des raisons idéologiques, qui naturellement, sont appelées à rejoindre une frange plus limitée de l’électorat? Comment dire à ceux qui ne se reconnaissent pas dans la gauche QS qu’ils sont à leur place dans le camp du Oui si on leur explique que l’indépendance servira à construire une société allant contre leur vision du monde? L’indépendance ne devrait-elle pas être au-delà de la gauche et de la droite? Ne devrait-elle pas rassembler un peuple au-delà de ses divisions idéologiques?

La troisième: doit-on comprendre que pour QS, un Québec indépendant devra incorporer dans sa constitution son projet de société, et qu’il s’agira d’un corset idéologique pour le nouvel État? Doit-on comprendre que dans un Québec souverain selon le modèle QS, un parti «de droite» ayant remporté son programme ne pourrait pas l’appliquer, car il serait anticonstitutionnel? QS croit-il à la démocratie? Ou ce parti considère-t-il que sa vision de la société est à ce point la meilleure qu’elle doit structurer l’univers des possibles d’un Québec souverain, au-delà des élections qui s’y dérouleront?

Ces questions ne sont pas rhétoriques, mais pointent les vraies failles du souverainisme version QS.

J’ajouterais qu’on comprend pourquoi, dans ce contexte, QS traite l’indépendance comme un objectif secondaire et pourquoi ses leaders préfèrent voter pour le NPD que pour le Bloc.

Montréal

L’histoire nous éclairera.

L’indépendantisme appartient davantage à l’origine de ce parti qu’à son avenir.

Il importait pour la tendance «socialisme et indépendance» issue de la Révolution tranquille, incarnée en son temps chez les intellectuels par un Gilles Bourque, mais cette tendance a été simplement déclassée par une autre, issue de la mouvance M-L reconvertie dans le milieu communautaire, puis dans l’idéologie diversitaire, et qui a toujours vu dans la quête d’un pays pour le peuple québécois un réflexe réactionnaire, rétrograde, chauvin.

La gauche nationale voulait décoloniser le Québec en l’affranchissant de la structure de pouvoir héritée de la Conquête, la nouvelle gauche diversitaire réinvente le logiciel décolonial et considère que la décolonisation du Québec passe par sa conversion au diversitarisme le plus radical.

D’ailleurs, lors de sa campagne dans Saint-Henri–Sainte-Anne, on l’a vu laisser de côté la référence au Québec et l’usage du français, en plus d’emprunter la rhétorique partitionniste qui prétend protéger Montréal contre le reste du Québec.

QS, aujourd’hui, à l’image des autres partis associés à la gauche radicale en Occident, est un parti hostile à l’idée même de nation. On ne sera pas surpris qu’à partir de cette base, il ne voie pas l’importance de l’indépendance nationale.

Commentaires

Vous devez être connecté pour commenter. Se connecter

Bienvenue dans la section commentaires! Notre objectif est de créer un espace pour un discours réfléchi et productif. En publiant un commentaire, vous acceptez de vous conformer aux Conditions d'utilisation.