La souris verte: la fin d'une époque
Coup d'oeil sur cet article
La souris verte n’est plus. Comme n’existent plus la plupart des émissions pour la jeunesse.
Dans un vieil édifice de briques rouges de la rue St-Luc à Montréal (devenue le boulevard de Maisonneuve), une centaine de jeunes créateurs ont inventé des histoires et des personnages mythiques qui continuent de marquer l’imaginaire des Québécois. C’est une époque dont les plus âgés se rappellent avec nostalgie et émotion.
C’est à ces jeunes créateurs qui inventaient littéralement la télévision qu’on doit Bobino, Monsieur Surprise, Sol, le pirate Maboule, l’enquêteur Isidore Jobidon, la poupée Fanfreluche, Pépinot et Capucine, CF-RCK, Picolo et des dizaines d’autres personnages devenus mythiques, comme La souris verte dont l’interprète a rendu l’âme mardi à l’âge de 82 ans.
La fameuse souris verte, née en noir et blanc, fut d’abord une modeste petite bête de peluche jusqu’à ce que Micheline Latulippe, sa réalisatrice, décide d’en faire une « vraie souris en chair et en os » qu’incarna la chanteuse et comédienne Louisette Dussault durant cinq ans.
Avec sa petite voix de soprano, la souris verte a fait chanter tous les enfants du Québec. Tous se souviennent de la musique d’André Gagnon et de Pierre Brabant et, surtout, des paroles de la comptine composée par Marie Racine : « 10 moutons, 9 moineaux, 8 marmottes, 7 lapins, 6 canards, 5 fourmis, 4 chats, 3 poussins, 2 belettes et l souris, une souris verte ! »
UN DIRECTEUR INSPIRANT
Les artistes, les auteurs et les artisans qui fréquentaient la section jeunesse de Radio-Canada en avaient fait un espace de liberté et de création qu’on ne retrouve plus dans aucune télévision du monde. Cette section jeunesse, c’était un État dans l’État. Fernand Doré, l’acteur qui avait fondé la Compagnie du masque avec Charlotte Boisjoli, en était l’animateur et le directeur omnipotent. Homme inspiré et inspirant, il était le grand responsable de la liberté et de la folie créatrice animant tous les étages de l’immeuble de la rue Saint-Luc. L’esprit qu’y avait insufflé Fernand Doré continua de souffler encore quelques années après son départ pour CKAC en 1964. Par la suite, malheureusement, les émissions jeunesse se réduisirent comme peau de chagrin.
À QUAND UN NOUVEAU MANDAT ?
Aujourd’hui, les émissions jeunesse ne sont même plus spécifiées dans les huit alinéas qui composent le mandat de Radio-Canada, tel que le définit la Loi sur la radiodiffusion de 1991. Il y a 32 ans qu’on n’a pas revu le mandat en dépit des appels répétés de nombreux organismes, des promesses du programme électoral du parti libéral et en dépit surtout de la recommandation du groupe de Janet Yale, dont le rapport est déjà vieux de trois ans.
La télévision a bien changé depuis les beaux jours de La souris verte. Il y a des dizaines de chaînes et autant de plateformes numériques. Elles offrent un choix infini d’émissions, presque toutes étrangères, sans compter les diverses applications qui ont pris d’assaut la jeune génération. Lorsqu’ils viennent chez moi – j’imagine que c’est partout pareil – c’est YouTube que syntonisent mes petits-enfants lorsqu’ils ne sont pas scotchés sur TikTok ou Facebook.
Est-il normal que Radio-Canada abandonne littéralement les jeunes auditoires aux écrans étrangers ? La direction du réseau français ne saurait faire fi de l’influence extraordinaire que ses programmes pour la jeunesse ont eue sur les Québécois qui ont grandi dans la deuxième moitié du siècle dernier ? La souris verte et tant d’autres émissions constituent les fondements mêmes de leur culture.