Des milliers d'élèves le ventre vide: les organismes d’aide débordés
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Le Journal vous propose ce week-end un dossier étoffé sur l’état de l’alimentation des jeunes dans les écoles primaires au Québec.
Des organismes qui nourrissent des milliers d’écoliers défavorisés sont frappés de plein fouet par l’inflation, et peinent à offrir les services, malgré la forte demande.
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Pour la première fois de son histoire, le Club des petits déjeuners a pris la décision «crève-cœur» de ne pas aider de nouvelles écoles cette année.
«On est en manque à gagner. Les programmes coûtent plus cher», avoue Claudine Dessureault, conseillère aux achats et inventaires du Club, fondé en 1994.
Plus de bouches à nourrir
Présentement, le Club fournit gratuitement le déjeuner aux élèves de 500 écoles défavorisées du Québec, et aussi ailleurs au Canada. Depuis septembre dernier, le nombre de repas servis chaque jour au pays a bondi de 16 %, passant de 500 000 à 580 000.
«C’est énorme. Les écoles ont plus de bouches à nourrir», constate Mme Dessureault.
Par ailleurs, 668 écoles du Québec répondent aux critères de défavorisation prérequis par le Club. Mais, faute de financement, ils ne sont pas desservis.
«Il y a beaucoup d’incertitude qui nous pend au bout du nez. Et on ne veut pas que les enfants ressentent ça. [...] Ce sont des problèmes d’adultes, et probablement qu’ils vivent déjà ce stress-là à la maison», dit l’employée.
«On reçoit des demandes des organismes qui n’arrivent plus, ça, c’est sûr, dit Annick Gagnon, porte-parole. On donne déjà un bon montant, mais on se rend bien compte que ce n’est pas facile en ce moment. C’est vraiment une grosse pression avec la hausse du prix des aliments.»
D’ailleurs, les organismes d’aide aux élèves vivent surtout grâce aux dons du privé.
- Écoutez l'entrevue avec Claudine Dessureault, porte-parole et conseillère aux achats et à l’inventaire au Club des petits déjeuners à l’émission de Yasmine Abdelfadel diffusée chaque jour en direct 13 h 35 via QUB radio :
Grâce au privé
«C’est un défi de trouver des aliments de qualité à bon prix, révèle Mélissa Bellerose, directrice de l’organisme Toujours ensemble, qui nourrit 50 écoliers par jour, à Verdun. Si on avait plus de sous, on pourrait améliorer la qualité des repas.»
À la Cantine pour tous, un organisme qui agit comme traiteur à bas prix dans des écoles, on songe à augmenter le tarif suggéré, qui est de 5,50 $ par repas. À noter que le parent peut payer seulement 1 $ par repas, à sa discrétion.
«Ça nous coûte plus cher, dit Thibaud Liné, directeur général. C’est nous qui devons aller chercher plus d’argent. Mais, y’a une limite à ça», conclut-il.
Des organismes qui font la différence
Des dizaines d’organismes à but non lucratif nourrissent des écoliers gratuitement ou à faible coût chaque jour, au Québec. Les modèles d’affaires sont très variables, mais ils font souvent la différence dans le quotidien des enfants qui vivent de l’insécurité alimentaire. La plupart sont subventionnés en partie par le public (gouvernements, villes), mais surtout par le privé.
Voici quelques exemples de projets.
La Cantine pour tous offre un système universel de repas : tous les enfants qui y prennent part mangent la même chose, quoi que le parent ait payé. Les lunchs sont préparés par des organismes de traiteur à but non lucratif. Plus de 50 % des frais sont assumés par les parents, et le reste provient de subventions publiques et privées.
«On est vraiment contents d’avoir pu percer avec un programme dont on est vraiment convaincus qu’il pourrait devenir une référence pour un dîner scolaire», croit Thibaud Liné, le directeur général.
En janvier dernier, Le Journal a visité l’école primaire Édouard-Laurin, à Montréal.
Au repas, un jeune garçon a demandé une deuxième portion de couscous à la saucisse. Comme l’école paie quelques repas en surplus pour compenser ceux qui ont encore faim ou les enfants qui n’ont pas de lunch, on la lui a donnée. Dix minutes plus tard, le même garçon est revenu demander une troisième boîte-repas.
«Ce n’est pas pour dîner, c’est pour son souper, explique Patrick Lamarche, responsable du service de garde. Il pense qu’on ne le voit pas, mais il va mettre le lunch dans son sac. [...] Au moins, je sais qu’il va manger ce soir.»
Selon M. Lamarche, l’arrivée de ces repas au rabais a tout changé à l’école.
«Avant, je voyais plein d’enfants qui ne mangeaient pas à leur faim, et maintenant, on n’en voit plus. C’est 100 % des enfants qui mangent ici, grâce à ça.»
«C’est mon repas préféré de la journée, a confié un garçon de 11 ans croisé sur place. Ici, je mange beaucoup. En plus, on peut se resservir.»
Une quarantaine d’élèves se déplacent tous les midis pour le repas, et d’autres sont nourris grâce à des boîtes à lunch livrées dans les écoles.
- Écoutez l'entrevue de Philippe-Vincent Foisy avec Fannie Dagenais, Directrice de l’Observatoire des tout-petits sur QUB radio :
L’an dernier, 8000 repas ont été servis. Bien que les élèves soient sélectionnés en fonction du faible revenu familial, on s’assure qu’ils ne sont pas ostracisés.
«Il n’y a pas de tabou à venir ici, mais ce n’est pas publicisé», dit Mélissa Bellerose, directrice générale.
«Certains ont faim, et on les accommode s’ils en veulent plus. [...] C’est un répit financier pour les parents, ils n’ont pas à payer le service de garde. C’est beaucoup plus accessible», dit-elle.
Depuis un an, l’organisme livre les boîtes à lunch pleines avec le nom des enfants dans les écoles le matin, à l’insu des élèves. Cette stratégie permet d’éviter de mettre en lumière les élèves qui reçoivent de l’aide alimentaire.
«Peut-être que l’enfant va se faire pointer dans la classe. C’est ce qu’on veut éviter, dit Frédéric Côté, directeur général. On veut garder l’anonymat des familles, c’est le nerf de la guerre.»
Chaque enfant coûte environ 1000 $ à nourrir par année.