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Persuadé que l’alzeihmer l’attend, un ancien bagarreur regrette ses 300 combats: «Si j’avais su à 20 ans...»

L’ancien des Nordiques a livré environ 300 combats en 13 ans dans les rangs professionnels

Jacques Mailhot
Photo d'archives Jacques Mailhot encaisse une mise en échec d’un coéquipier pendant un entraînement des Nordiques.

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Jacques Mailhot est âgé de 61 ans. Natif de Shawinigan, il vit depuis 1996 à Austin, au Texas, où il est superviseur de la logistique pour un magasin de vente au détail d’outils et d’équipements à prix réduit. 

Il a déjà fait autre chose. Dans une vie antérieure, il était joueur de hockey professionnel. De 26 à 39 ans, il a évolué pour 23 équipes dans huit ligues différentes en Amérique du Nord. Il était un bagarreur. Il estime avoir livré environ 300 combats et subi entre six et huit commotions cérébrales par année.

Son talent pugilistique l’a amené à jouer brièvement dans le plus grand circuit du monde. Lors de la saison 1988-1989, il a disputé cinq matchs avec les Nordiques de Québec. Le site Hockey Fights le montre dans trois bagarres. On peut en voir deux lors d’une même rencontre contre les Bruins de Boston au Colisée.

Ses adversaires : Cam Neely, qui lui a fait voir des étoiles, et Lyndon Byers, un batailleur comme lui. Il s’est frotté aussi à Tim Hunter, le matamore de service des Flames de Calgary.

Radiographie d’une opération au cours de laquelle on lui a inséré une tige métallique tenue en place par sept vis dans le dos.
Photo fournie par Jacques Mailhot
Radiographie d’une opération au cours de laquelle on lui a inséré une tige métallique tenue en place par sept vis dans le dos.

C’était son gagne-pain.

Les amateurs qui ont vécu cette époque se souviennent de lui.

« Je voulais jouer au hockey, mais je n’étais pas très bon », raconte Mailhot, qui n’est pas passé par la Ligue de hockey junior majeur du Québec.

« Je me suis dit : OK, je vais jouer pour me battre et je serai payé. J’avais peur d’y aller, mais je l’ai fait. Quand 15 000 personnes t’acclament au Colisée de Québec parce que tu viens d’en coucher un, c’est enivrant. Ça fait du bien. Mais après, c’est fini. »

Jacques Mailhot chez lui à Austin, au Texas, dans son uniforme de travail.
Photo fournie par Jacques Mailhot
Jacques Mailhot chez lui à Austin, au Texas, dans son uniforme de travail.

Onze médicaments par jour

Après c’est quand le joueur n’est plus sous les réflecteurs et que les clameurs de la foule se sont tues. C’est là aussi que les problèmes de santé liés aux coups à la tête prennent le dessus.

Le menu quotidien de Mailhot comprend l’absorption de 11 médicaments. 

Pour traiter sa dépression, il prend du Prozac.

Pour l’anxiété, c’est le buspirone.

Pour la douleur, c’est le diclofénac.

Dans l’uniforme des Nordiques pour qui il a disputé cinq matchs lors de la saison 1988-1989.
Photo fournie par Jacques Mailhot
Dans l’uniforme des Nordiques pour qui il a disputé cinq matchs lors de la saison 1988-1989.

Son médecin lui prescrit aussi de la mémentine, qui est utilisée pour soigner les personnes atteintes d’une forme de la maladie d’Alzheimer aux symptômes modérés à graves.

« Je sais que ça va m’arriver », continue-t-il en faisant référence à l’Alzheimer.

Mailhot présente tous les signes associés à l’encéphalopathie traumatique chronique, maladie dégénérative des cellules du cerveau attribuable à des traumatismes cérébraux.

On apprenait dernièrement qu’Henri Richard en était atteint.

À l’instar de plusieurs anciens athlètes, Mailhot s’est engagé à léguer son cerveau à la fondation Concussion Legacy de Boston à son décès.

Dans l’uniforme du Texas Central Stampede de la WPHL, dernière équipe pour laquelle il a joué en 1999-2000.
Photo fournie par Jacques Mailhot
Dans l’uniforme du Texas Central Stampede de la WPHL, dernière équipe pour laquelle il a joué en 1999-2000.

La LNH à son secours

Sa condition lui a coûté un divorce avec sa première conjointe, « une femme très bien », souligne-t-il.

« J’ai fait des choses dont je ne suis pas fier », reprend-il. 

« J’ai quasiment gâché ma relation avec ma fiancée. Je suis revenu au Québec pendant plus de six mois il n’y a pas longtemps parce que j’avais des problèmes de santé mentale. J’étais agressif, je frappais dans les murs, ce n’était pas beau. »

« J’ai été chanceux que la Ligue nationale me vienne en aide. Que tu aies joué 1000 matchs ou seulement un, on va s’occuper de toi. »

Mailhot n’a que de bons mots pour le docteur Ian Bradley, psychologue montréalais qui traite depuis plus de 20 ans des joueurs de la LNH et de la MLS. Il a aussi séjourné dans un centre de la Mauricie pour apprendre à mieux contrôler sa colère, son agressivité et ses émotions.

Combat avec Sasha Lakovic dans un match de la Ligue coloniale. Ce dernier a été emporté par un cancer du cerveau attribuable aux traumatismes cérébraux qu’il a subis dans sa carrière.
Photo fournie par Jacques Mailhot
Combat avec Sasha Lakovic dans un match de la Ligue coloniale. Ce dernier a été emporté par un cancer du cerveau attribuable aux traumatismes cérébraux qu’il a subis dans sa carrière.

« Les gens disent qu’on a pété une coche », enchaîne-t-il.

« Mais on a été programmés pour ça, ajoute-t-il en parlant des bagarres. On ne peut plus contrôler nos émotions. Je trouve dommage que les amateurs voient les batailles comme un spectacle faisant partie du hockey. »

« À la fin de la soirée, le spectateur retourne tout bonnement chez lui. Mais il ne sait pas comment le joueur qui s’est battu se sent quand il rentre à l’hôtel. Il ne le voit pas vomir partout. Mais tu ne peux pas le dire, sinon on te remplace tout de suite. Je veux que les gens soient conscients de ça. »

En compagnie de ses parents Claire et Jean-Paul, tous deux décédés.
Photo fournie par Jacques Mailhot
En compagnie de ses parents Claire et Jean-Paul, tous deux décédés.

Un seul cerveau

Mailhot sait qu’il a agi en toute connaissance de cause. Il le répète souvent dans la conversation. Il en est pleinement conscient. Mais il le regrette.

« Si j’avais su à 20 ans que je vivrais dans les conditions dans lesquelles je suis aujourd’hui, je n’aurais jamais joué au hockey. Jamais ! lance-t-il d’une voix forte. »

« L’argent que j’ai gagné ne vaut pas la douleur qui m’affecte aujourd’hui. »

Ça veut dire dormir avec un bandeau sur les yeux, des bouchons dans les oreilles et parfois avec un sac de glace sur la tête. Tout ça plus de 20 ans après avoir disputé son dernier match. 

Comme Mailhot le dit, ça ne valait pas la peine. Il souhaite que son histoire puisse servir d’exemple aux joueurs d’aujourd’hui.

« On a juste un cerveau, dit-il. La médecine peut procéder à des greffes de cœur, mais elle ne peut te greffer un autre cerveau. Je déconseille aux jeunes de se battre. Il n’y a pas de bagarres au hockey européen ni dans les ligues universitaires. Les joueurs sortent des universités avec un diplôme en poche.

« Je travaille dur 40 heures semaine. Je n’ai pas les moyens de rester à la maison. Je parle pour que monsieur Tout-le-Monde voie la réalité. »

  • Écoutez l'entrevue avec Marc De Foy, chroniqueur pour le Journal de Montréal à l’émission de Benoit Dutrizac diffusée chaque jour en direct 13 h via QUB radio : 

Le suicide lui est passé par la tête

Un jour de 2015, Jacques Mailhot a déposé les deux revolvers qu’il possède sur une table à la maison.

« Je ne voyais pas la façon de me sortir des douleurs qui m’affligeaient, j’étais prêt à partir », raconte-t-il.

Son voisin est entré chez lui sur l’entrefaite.

Direction hôpital.

« On m’a gardé trois jours, dit Mailhot.

« J’ai rencontré une neurochirurgienne qui faisait des tests sur les commotions. J’ai commencé à m’intéresser au sujet à ce moment-là. »

Longue liste

Mailhot a vu d’anciens athlètes dans la force de l’âge se suicider.

« Junior Seau (qui a joué dans la NFL) était un bon gars, il était riche. Il s’est enlevé la vie [par arme à feu], déplore-t-il.

« Des joueurs de hockey y sont passés. »

Un examen post-mortem a démontré que Seau, qui était âgé de 43 ans, souffrait d’encéphalopathie traumatique chronique.

En janvier dernier, Ryan Pisiak, un ancien rival de Mailhot qui a terminé sa carrière au Québec dans la Ligue nord-américaine, a mis fin à ses jours. Âgé de 47 ans, il était pasteur.

En 2017, Sasha Lakovic, un autre ancien adversaire de Mailhot qui a joué avec les Devils du New Jersey et les Flames de Calgary, décédait à 45 ans d’un cancer du cerveau. Dans un témoignage à la CBC, deux ans avant sa mort, Lakovic affirme que les nombreux traumatismes cérébraux subis dans les quelque 100 combats qu’il a livrés sur la patinoire avaient détruit son cerveau.

C’était lui qui campait le rôle de Boris Mikhailov, capitaine de l’équipe nationale d’Union soviétique dans le film Miracle.

Mailhot le connaissait bien.

« Le docteur lui a dit : va-t’en chez vous et passe le temps qui te reste avec ta famille. On ne peut rien faire pour toi. Il était père de quatre enfants. Ça fait peur ! »

Abattu de neuf balles par la SQ

Le 3 février 2020, Brendan Christian, lui aussi un ancien opposant de Mailhot qui évoluait avec le Cool 103,5 FM de Saint-Georges de la Ligue nord-américaine, était abattu de neuf balles par la Sûreté du Québec, alors qu’il était en crise.

Un proche avait déclaré que rien ne justifiait qu’il ait été atteint par autant de projectiles. 

Cette histoire rappelle la fin de John Kordic qui avait subi un arrêt cardiaque alors que des policiers de Québec n’arrivaient pas à le maîtriser.

Dans la LNH, Derek Boogaard, Wade Belak, Mike Rypien, Todd Ewen et Steve Montador, tous d’anciens durs à cuire, se sont donné la mort parce qu’ils n’en pouvaient plus de souffrir.

Mailhot aura eu la chance que son voisin se pointe chez lui à temps, mais son combat continue.

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