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Plus de 275 000 $ pour huit voyages: des politiciens sous le chaud soleil de Tahiti

Les membres de l’Association des parlementaires de la francophonie multiplient les beaux voyages sur la planète, jusqu’aux berges du Pacifique

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La fin des restrictions liées à la pandémie a redonné des ailes aux élus : huit voyages cumulant déjà 276 634 $ de dépenses ont été effectués uniquement dans le cadre de l'Assemblée des parlementaires de la francophonie (APF), dont un en janvier dernier impliquant sept participants sous le soleil de Tahiti. 

Tant à Québec qu’à Ottawa, des élus ont profité de l'après-COVID-19 pour multiplier les voyages à Tahiti, Kigali, Bruxelles, Paris, Edmonton, Luxembourg et Tirana afin de participer aux activités de cette organisation méconnue du public. 

Jamais ces voyages n’ont coûté aussi cher par personne au Québec depuis dix ans (voir plus bas).

Durant la dernière semaine de janvier, alors que les députés reprenaient les travaux parlementaires en pleine crise inflationniste, quatre élus et trois accompagnateurs se sont envolés à Papeete, sur l'île de Tahiti dans le Pacifique Sud.

Le voyage a été fait en classe affaires et aurait donc coûté en moyenne 15 000 $ par personne, selon nos informations, bien que les frais n’aient pas encore été divulgués.

La Polynésie française a été intégrée à l’APF en 2019. Les parlementaires membres de l’APF, qui a comme mission de faire la promotion de la langue française dans le monde, étaient conviés dans la capitale paradisiaque pour une réunion statutaire.  

Ils s’y sont rendus en avion pour discuter notamment des changements climatiques.  

Au menu : cocktails dînatoires, dîner sur un îlot de sable corallien, visite en bateau d’une réserve marine, découverte en bateau d’une mythique vague pour y observer des surfers et rencontres de travail. 

  • Écoutez l'entrevue avec Jean-Pierre Charbonneau, ex-ministre péquiste de la Réforme des institutions démocratiques et président du Mouvement démocratie nouvelle à l’émission de Yasmine Abdelfadel diffusée chaque jour en direct 14 h 15 via QUB radio :

Peu d’information 

Pour le Québec, la délégation était notamment composée de la caquiste Chantal Soucy et du secrétaire général de l’Assemblée nationale du Québec, Siegfried Peters.  

Les élus québécois et canadiens, dont Francis Drouin et Chantal Soucy (au premier plan, au centre) portaient fièrement le collier à fleurs
Photo courtoisie, l’APF
Les élus québécois et canadiens, dont Francis Drouin et Chantal Soucy (au premier plan, au centre) portaient fièrement le collier à fleurs

La délégation du Canada était constituée du président de l’APF et député libéral Francis Drouin, du député conservateur Joël Godin et du bloquiste René Villemure. Des fonctionnaires les accompagnaient également.

Ni Québec ni Ottawa n'ont publicisé ce voyage avant sa tenue. Le dépôt des bilans de mission se fait toujours attendre dans chacun des parlements. 

Les deux paliers de gouvernement n’ont pas voulu dévoiler les sommes dépensées, avant qu’un rapport ne soit déposé en chambre. Durant la pandémie, toutes ces rencontres se sont faites naturellement de manière virtuelle. 

Encore Tahiti 

La chemise du Pacifique était de mise durant certaines rencontres et pour cette photo de groupe.
Photo courtoisie, l'APF
La chemise du Pacifique était de mise durant certaines rencontres et pour cette photo de groupe.

Il s’agissait du deuxième voyage à Tahiti en moins d'un an pour le Québec et le Canada dans le cadre de l’APF.

L’ex-députée libérale Maryse Gaudreault y est allée durant cinq jours en avril dernier, accompagnée d’une conseillère.

Leur mission a entraîné un déboursé de 30 600 $ (voir plus bas). 

Le Canada y avait aussi envoyé deux élus et un conseiller. 

– Avec la collaboration d’Antoine Robitaille et de Marie-Christine Trottier  

Voyages dans le cadre de l’APF 

COÛTS MOYENS PAR ÉLU QUÉBÉCOIS  

  • 2022-2023 5994 $
    (en cours et sans les dépenses du dernier voyage à Tahiti)
  • 2021-2022 1230 $
  • 2020-2021 0 $
    (pandémie)
  • 2019-2020 2500 $
  • 2018-2019 3648 $
  • 2017-2018 2901 $
  • 2016-2017 5185 $
  • 2015-2016 4211 $
  • 2014-2015 2426 $

* Il faut noter que certaines missions ont été payées en tout ou en partie par l'APF. 

LE QUÉBEC ET LE CANADA À L’APF
DES SÉJOURS COÛTEUX 

  • Deux jours à Paris, France
    3 et 4 novembre 2022

Délégation québécoise de 2 personnes
TOTAL 9012 $

Délégation canadienne de 2 personnes
TOTAL 5320 $

  • Cinq jours à Papeete (Tahiti), Polynésie française
    18 au 23 avril 2022

Délégation québécoise de 2 personnes
TOTAL 30 600 $

Délégation canadienne de 3 personnes
TOTAL 25 738 $

  • Cinq jours à Kigali, Rwanda
    5 au 10 juillet 2022

Délégation québécoise de 7 personnes
TOTAL 76 764 $

Délégation canadienne de 8 personnes
TOTAL 78 562 $

  • Québec, Québec
    12 au 15 mai 2022

Délégation québécoise de 4 personnes
TOTAL 21 955 $
incluant 14 380 $ en restaurant pour les invités

Délégation canadienne de 7 personnes
TOTAL 3106 $ 

  • Bruxelles, Belgique
    23 au 25 mai 2022

Délégation québécoise de 2 personnes :
TOTAL 6875 $

  • Edmonton, Canada
    18 au 22 juillet 2022

Délégation québécoise de 2 personnes
TOTAL 4852 $

Délégation canadienne de 8 personnes
TOTAL 4976 $

  • Tirana, Albanie
    25 au 31 juillet 2022

Délégation canadienne de 2 personnes
TOTAL 8640 $

  • Luxembourg, Luxembourg
    15 et 16 septembre 2022

Délégation canadienne d’une personne
TOTAL 234 $

GRAND TOTAL 276 634 $ 

Des élus se défendent, d’autres restent muets 

Le Québec a le droit de rayonner dans le monde, plaides des élus et d’ex-élus qui ont participé à plusieurs de ces missions internationales dans le cadre de l’Assemblée des parlementaires pour la francophonie (APF).

«On ne s’en va pas faire du cocktail tout le temps», plaide l’ex-péquiste Carole Poirier qui a participé à de nombreuses missions de l’APF qui réunit des parlementaires de toutes les formations politiques.  

La diplomatie parlementaire a lieu d’être, ajoute René Villemure, député du Bloc Québécois. «Il y a un échange d’information, il y a un échange d’expertise et il y a aussi la place que le Québec prend dans la francophonie», a indiqué l’éthicien qui a participé aux missions à Tahiti et à Kigali avec la délégation canadienne. 

Un autre élu ayant participé à la mission de Kigali a pourtant admis à sa formation politique qu’il «n’était pas vraiment impliqué dans le groupe» et n’avait aucune idée du fonctionnement de l’organisation. Il n’a pas voulu parler publiquement.

Pour l’APF, ce sont au minimum deux rencontres statutaires par année.

À Tahiti, il a été question de changements climatiques et de la situation politique à Haïti, mais le bloquiste Villemure admet qu’il y a aussi eu de nombreuses activités plus ludiques. «On va apprendre sur le pays [d’accueil] (...) c’est le bout plus social.»

Justifiées?

L’ex-péquiste Carole Poirier estime qu’il s’agit d’un raccourci intellectuel lorsque les gens crient aux dépenses inutiles liées à ces voyages parce qu’elles ne rapportent pas directement quelque chose à la population.

«Il faut rayonner dans le monde pour exister et le Québec a le droit. On a dans ces missions-là beaucoup à apprendre et beaucoup à donner (...) Je me suis fait des amis», affirme-t-elle. «C’est comme si on demandait que toutes les relations internationales du Canada rapportent quelque chose à la population... Le fait d’envoyer deux Léopards 2 à l’Ukraine, est-ce que ça apporte quelque chose à la population du Québec?»

La vice-présidente de l’Assemblée nationale qui s’est rendue à Tahiti le mois passé, Chantal Soucy, a refusé notre demande d’entrevue. 

La solidaire Ruba Ghazal, a indiqué que ce type de voyages «n'est pas dans la tradition» de QS. «Ce n’est pas une priorité pour nous. D’ailleurs, aucun député solidaire n’a participé à un de ces voyages en 2022», a-t-elle signalé. 

Des enquêtes partout dans la francophonie 

Photo courtoisie, l'APF

Des enquêtes journalistiques en France, en Belgique et en Polynésie française ont récemment exposé les multiples « beaux voyages » des élus pour l’Association des parlementaires de la francophonie et émis un doute sur la pertinence de cette organisation.

Elles ont également fait état de l’opacité de l’APF. 

Il s’agit d’une organisation pour laquelle le gouvernement du Québec remet près de 34 000 $ par année et le Canada 140 000 $. De nombreux voyages de nos parlementaires sont d’ailleurs financés à l’aide de ces sommes.  

Sur France Info, le député Bruno Fuchs a défendu le récent voyage à Tahiti de cinq élus et deux attachés, en affirmant que la délégation était beaucoup plus sobre que celle du Québec. 

«La délégation française est réduite au minimum alors que nous représentons la plus importante section en nombre. Par comparaison, le Québec a envoyé six parlementaires et quatre accompagnateurs», a-t-il déclaré. Après vérification, le Québec a envoyé trois personnes et le Canada quatre personnes (voir autre texte).

Inappropriée

En France, les élus de l’opposition parlent d’une réunion «inappropriée», «coûteuse» et «qui n’est pas écoresponsable».

À la suite du passage des parlementaires à Tahiti le mois dernier, le parti d’opposition polynésien a aussi vivement dénoncé les dépenses liées à ce rassemblement.

«La Francophonie a bon dos et cette déclaration d'intention ne nourrira assurément pas le peuple polynésien, pas plus que le gaspillage de plusieurs millions de fonds publics pour l'organisation de cet évènement, en total décalage avec la situation des familles polynésiennes», écrit Ia cheffe du parti IA, Ora te Nuna'a.

En Belgique, un parlementaire a dévoilé à la suite du voyage à Tahiti qu’il doutait par moment de la pertinence de cette organisation.

«Il y a des réunions où je me demandais ce que je faisais là», a admis le député Jean-Paul Wahl.

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