Pratiques avant-gardistes scandinaves: Bruno Marchand devra adapter ses ambitions pour Québec
HELSINKI | En mission dans les pays nordiques pour s’inspirer de leurs pratiques avant-gardistes relativement au transport, à l’environnement et à l’itinérance, le maire Bruno Marchand revient la tête pleine d’ambition, mais il devra aussi revenir les pieds sur terre.
Québec accuse vraiment beaucoup de retard dans le développement de son transport collectif: elle est bonne dernière au Canada parmi les villes de 500 000 habitants et plus. C’est donc dire que la capitale ne possède même pas la base.
Dans les pays scandinaves, le transport durable et les objectifs de carboneutralité font partie intégrante des projets et des actions, à chaque étape et dans chaque service. Le maire souhaite donc devancer d’environ 20 ans l’objectif de faire de Québec une ville carboneutre (qui a un impact neutre sur le climat), lequel objectif était fixé à 2050.
«Je pense que l’image que nous renvoient ces villes-là, c’est de nous dire qu’on peut aller encore plus vite», a-t-il souligné au moment de tracer un bilan de la mission, jeudi.
Dans les pays nordiques et en Europe en général, tous les partis, qu’ils soient de gauche ou de droite, appuient le virage vert, le développement du transport collectif et des infrastructures qui encouragent les déplacements à pied ou à vélo. C’est un autre monde, en somme.
«Ici, le développement du transport collectif et durable, c’est le gros bon sens, ce n’est pas une révolution comme chez nous», résume Christian Savard, directeur général de Vivre en ville, qui a pris part à la mission organisée par la Ville.
Ne pas oublier l’Amérique
Revenir les pieds sur terre ne signifie pas que Bruno Marchand doive plier devant ceux qui s’opposent au progrès. Loin de là.
Son ambition pour faire entrer Québec dans le monde moderne, notamment sur la question du transport, est très louable et arrive à point nommé.
Son prédécesseur avait fini par comprendre l’intérêt de développer le transport collectif, et a mis les efforts nécessaires pour lancer le tramway. Cela représente un important pas. Mais il a mis trop de temps, et ce sujet ne le rendait pas fébrile.
Bruno Marchand fait pour sa part de cette révolution verte un cheval de bataille bien senti et bien assumé.
Cependant, le maire devra aussi ajuster ses ambitions avec le modèle québécois et nord-américain, et il ne prétend pas importer le modèle de Copenhague ou de Helsinki, mais s’en inspirer.
Il aurait néanmoins avantage à prévoir quelques missions aux États-Unis ou ailleurs au Canada, où plusieurs provinces peuvent témoigner de leurs progrès pour le transport collectif, l’itinérance et autres. Je pense à Calgary notamment.
Les gens d’affaires se sentent en reste, depuis l’arrivée de Bruno Marchand, moins aligné sur les missions économiques.
Éléphant dans la pièce
Pour en revenir au transport durable, le maire sait qu’on part de loin, mais il dit aussi sentir l’appétit des citoyens. C’est vrai pour beaucoup de gens, mais à voir les commentaires sous les chroniques, les articles et les publications sur la mission, sa vision en effraie certain, souvent à tort et parfois à raison.
S’il souhaite une forte adhésion, ce qui est nécessaire pour faire passer Québec dans la modernité, Bruno Marchand devra donc bien expliquer sa vision et s’assurer de l’adhésion d’un grand nombre de citoyens. Car s’il y parvient, plus personne ne voudra revenir en arrière, il y a aura au contraire plus d’appétit.
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L’autre éléphant dans la pièce -et il est gigantesque- c’est que rien ne se passera si le gouvernement du Québec, qui finance les programmes, persiste à faire son grand parleur mais son petit faiseur, comme on dit en bon Québécois. Le fédéral doit aussi embarquer, notamment en matière de transport collectif.
Quand on pense que le premier ministre Legault a parlé du troisième lien comme d’un projet vert, et son ministre de l’Environnement comme d’un projet de développement durable, on comprend qu’on part de très loin.
Le maire ne voit pas malgré tout comment on pourrait faire autrement, comme ville, compte-tenu des enjeux mondiaux. « Si on ne prend pas le changement par la main, il va nous prendre par la gorge », dit-il, citant Churchill.
Lutte à l’itinérance
Puis, Bruno Marchand a démontré qu’il était capable d’affirmer sa détermination auprès du gouvernement du Québec. Il a pu par exemple obtenir dans le budget Girard, 15 millions sur deux ans pour aménager des corridors cyclables, des trottoirs et mieux déneiger, alors que les villes ont eu des grenailles pour ce genre de projets.
En revanche, le budget ne répond aucunement aux attentes des villes en matière de logements sociaux et de lutte à l’itinérance. On est loin de la vision ambitieuse de la Finlande, qui a réduit de deux tiers le nombre d’itinérants sur son territoire depuis les années 70.
Or ce ne sont pas les villes qui financent les programmes et qui ont la responsabilité de l’attribution des budgets en santé et en intervention. C’est le gouvernement du Québec et les CIUSSS, qui doivent embarquer pour que la vision ambitieuse du maire de Québec se concrétise.
La mission aura eu le mérite, dans ce sens, d’attirer l’attention sur des solutions prometteuses. Il reste à créer à la synergie pour que ces solutions puissent se concrétiser. Comme je l’écrivais la semaine dernière, le maire Marchand devra rassembler tout son courage pour mener ces batailles, mais il y a beaucoup de potentiel.
Des enjeux semblables pour le port de Helsinki
Bien que très différent du port de Québec, avec un transport de passagers multiplié par 70 et un tonnage deux fois moins important, celui d’Helsinki a néanmoins fait face aux mêmes enjeux de bon voisinage avec la population et liés à l’environnement.
En 2008, après 20 ans de réflexion sur la question, le Port d’Helsinki a déménagé son transport de vrac du centre-ville vers l’est, suivant la tendance mondiale à la délocalisation des ports en zone périurbaine, a expliqué hier Ville Haapasaari, pdg du Port d’Helsinki.
Au centre-ville, on a concentré le transport de passagers, qui atteint autour de 12 millions par année, et de marchandises. On travaille à la construction d’un tunnel qui permettra de faire circuler les camions de marchandises en sous-terrain plutôt qu’en surface, dans des quartiers résidentiels où les citoyens se plaignaient.
Dans la foulée de ce déménagement, le port a initié des rencontres citoyennes afin de discuter des questions de bruit, de qualité de l’air, d’environnement et d’usagers fonciers. Des initiatives qui ont aussi cours depuis deux ans, au Port de Québec, où un important virage a été entrepris.
Aussi des défis
À Québec, où les terrains du port n’appartiennent pas à la ville mais au fédéral, contrairement à Helsinki, on n’envisage pas d’éloigner le vrac du centre-ville et les préoccupations sont grandes de la part des citoyens par rapport à la qualité de l’air. « Si on n’est pas capable de le faire en circuit fermé (le transport du vrac), il faudra trouver d’autres solutions », reconnaît le maire.
Selon lui, le port a des défis, mais il s’est aussi engagé à améliorer la relation port-citoyens et en fait une démonstration probante depuis deux ans.
Il faut faire en sorte, dit-il « que les citoyens bénéficient aussi d’un port », que ce ne soit pas seulement un endroit pour transporter des marchandises.
Le maire souligne, avec raison, qu’on a avantage à développer notre port en terme économique. Il s’agit de trouver ce qui est acceptable pour les citoyens.
Bruno Marchand quitte vendredi la Finlande, après 10 jours de rencontres et de présentations sur différents enjeux à Copenhague, au Danemark, à Malmö, en Suède, et à Helsinki, en Finlande.