Travail des enfants: petite histoire d'une controverse à l'UQAM...
Coup d'oeil sur cet article
Un des trois candidats au rectorat de l’UQAM, l’économiste Stéphane Pallage, a-t-il défendu, dans un article scientifique, les « pires formes » du travail des enfants ?
La politique universitaire n’est pas très différente de la politique tout court : « On y joue même plus dur », m’a déjà certifié un ami prof.
Dans le contexte électoral, qui se termine aujourd’hui, on a attiré mon attention sur l’article en question. Voulait-on nuire à M. Pallage ? Peut-être. Sans doute.
Reste que sur le fond, la question est intéressante, surtout dans le contexte où, au Québec, les raretés de main-d’œuvre encouragent le travail des adolescents.
Le nombre de lésions professionnelles dans cette catégorie d’employés a d’ailleurs fortement augmenté. Le Journal y a consacré un dossier. Le ministre Jean Boulet a mené une consultation et a, cette semaine, déposé le projet de loi 19 sur le phénomène. Instauration d’un âge minimal, 14 ans. Peu d’exceptions. 17 heures par semaine max.
- Écoutez Patrick Bellerose, correspondant parlementaire en entrevue au micro d'Antoine Robitaille, disponible en balado sur QUB radio :
Interdiction
L’article de 2005 co-signé par M. Pallage est on ne peut plus scientifique, publié en anglais dans The Economic Journal, truffé de formules mathématiques.
Mais il porte précisément sur le travail des enfants dans les « pays pauvres ». De prime abord, la conclusion peut avoir quelque chose de choquant : « Bien qu’elle soit intuitivement et moralement convaincante, l’interdiction des pires formes de travail des enfants dans les pays pauvres a peu de chances d’améliorer les choses. »
Les deux économistes, Pallage et Sylvain E. Dessy, comptent y démontrer que « les formes nuisibles de travail des enfants ont un rôle économique ». Exemples : « Le trafic de drogue, la pêche en eau profonde, la prostitution et les activités pornographiques. »
On sursaute évidemment. Comment peut-on affirmer que celles-ci peuvent avoir un « rôle économique » ? Comment peut-on s’opposer, sous ce prétexte, à leur « interdiction » ?
Explications
J’ai donné un coup de fil à M. Pallage. Il a répondu calmement à mes questions.
Il persiste et signe : la loi, les traités, les conventions qui interdisent ces phénomènes ne sont « souvent pas la bonne réponse dans un pays en voie de développement ».
Le travail des enfants découle de la pauvreté extrême dans laquelle les familles se retrouvent.
Et même des parents foncièrement « altruistes » finissent par consentir à ce que leurs enfants se livrent à des activités nuisibles et dangereuses.
Se borner à proclamer une interdiction, c’est déplacer le problème. Tout se fera de manière encore plus cachée.
- Écoutez Monique Pauzé, députée de Repentigny pour le Bloc québécois en entrevue au micro d'Antoine Robitaille, disponible en balado sur QUB radio :
M. Pallage insiste : le travail des enfants de ces pays « doit être éliminé », mais pour ce faire, il faut d’abord « comprendre son rôle économique ».
Dans les conclusions de l’article, il dit explicitement que toute interdiction devrait être accompagnée de mesures qui saperont les bénéfices économiques du travail des enfants. Comme un programme de type « nourriture contre éducation ».
L’article de 2005 avait créé une controverse aussi, en 2017, lorsque Pallage était pressenti pour devenir recteur de l’Université du Luxembourg. « Ça ne m’a d’ailleurs pas empêché d’obtenir la nomination et j’ai été un excellent recteur », répond-il avec assurance.
On a envie de conclure : sa manière d’affronter la controverse peut d’ailleurs donner cette impression.