Des élèves du Nunavik privés d’école pendant des mois par manque de profs
Ce drame se déroule dans la plus grande indifférence, dénonce le syndicat qui représente le personnel scolaire
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Au Nunavik, la pénurie d’enseignants est si criante que des dizaines d’enfants ont été privés d’école depuis la rentrée, certains pendant des mois. Les conditions de vie difficiles, dont le manque d’eau courante, sont au cœur d’un problème qui se déroule dans la plus grande indifférence, dénonce le syndicat qui représente le personnel scolaire du Nord québécois.
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«Le manque d’eau, le manque de profs... on ne tolérerait jamais ça au sud. Au Nunavik, ça dure depuis des années», lance Daniel Charest, représentant des enseignants du Nunavik à l’Association des employés du Nord québécois (AENQ), qui déplore que les peuples autochtones soient considérés comme «des citoyens de 2e ordre» qui n’ont pas accès aux mêmes droits que tous les citoyens québécois.
La pénurie de profs dans les écoles québécoises a fait couler beaucoup d’encre au cours des derniers mois, mais c’est au Nunavik où la situation est la plus critique. Près de 12% des postes d’enseignants de Kativik Ilisarniliriniq, la commission scolaire du Nunavik, sont toujours vacants. Une soixantaine de profs manquent à l’appel.
Pas d’école depuis septembre
Puisqu’il n’y a pas de suppléant, les communautés tentent de trouver des solutions pour garder les élèves en classe mais plusieurs doivent retourner à la maison faute de profs. «Il y a des classes qui sont fermées tous les jours», affirme la directrice générale de la commission scolaire, Harriet Keleutak.
Dans les petites communautés d’Inukjak et Akulivik, une quarantaine d’élèves de 7e année n’ont pratiquement pas eu d’école de septembre jusqu’en début d’année (voir encadré).
Même le plus grand des villages du Nunavik, Kuujjuaq, n’est pas épargné par la pénurie. Depuis la rentrée, les 84 élèves de la fin du secondaire n’ont eu que trois semaines d’enseignement en science, alors qu’il s’agit d’un cours obligatoire pour obtenir le diplôme d’études secondaires.
Les «dommages collatéraux» de la pénurie sur les élèves sont énormes, affirme Rémi Guitard, qui enseigne à Inukjuaq depuis plus de 10 ans.
«Ç’a une influence directe sur les apprentissages des élèves, quand on sait ce que la pandémie a fait au Nord... Les élèves ne sont pas à niveau et le rattrapage est difficile à faire. Les jeunes se désintéressent de l’éducation lorsqu’ils ont manqué trop d’école et ils sont difficiles à aller chercher par la suite», dit-il.
Des directions d’école rapportent que des élèves du secondaire se sentent dévalorisés parce que «personne ne veut venir leur enseigner», indique la commission scolaire.
Cercle vicieux
L’isolement des villages du Nunavik, qui ne sont reliés par aucune route, complique la situation. Il est par ailleurs difficile d’y offrir des cours en ligne, puisque l’accès à Internet n’est pas très fiable.
Dans certaines écoles, les postes vacants sont comblés par des profs qui ont déjà une tâche à temps plein. Des regroupements de classe peuvent aussi être faits, ce qui augmente la taille des groupes. Des orthopédagogues doivent prendre en charge des classes plutôt que donner des services spécialisés à des élèves en difficulté.
Cette surcharge entraîne d’autres départs, ce qui crée un cercle vicieux, admet la commission scolaire.
Le nombre d’enseignants non légalement qualifiés a aussi grimpé en flèche au cours des dernières années. Parmi ceux qui sont recrutés à l’extérieur du Nunavik, près de 45% n’ont pas leur brevet d’enseignement.
Lorsqu’on lui demande si son organisation a atteint le point de rupture, Harriet Keleutak répond presqu’en riant, par dépit: «On est au point de rupture depuis des années déjà.»
Pénurie de profs au Nunavik: quelques exemples
Inukjuak: pas d’école pendant six mois
- Les 31 élèves de la 7e année du secteur anglais sont restés à la maison cet automne parce qu’ils n’avaient pas d’enseignant. Le poste vient d’être comblé en février.
Akulivik: à la maison de septembre à janvier
- Les 11 élèves de 7e année du secteur anglais n’ont pas eu d’école de septembre à janvier, faute de prof. Les élèves du secondaire n’ont également pas eu de cours de mathématiques ni de sciences pendant une période similaire. Ces deux postes ont été comblés récemment.
Inukjak: horaire réduit au secondaire
- Toujours à Inukjuak, 148 élèves du secondaire ont fréquenté l’école de manière irrégulière depuis la rentrée. Ils suivent un «programme allégé» avec un horaire réduit, puisque les postes vacants sont partiellement comblés par des collègues déjà à temps plein.
Kuujjuaq: trois semaines de cours de sciences seulement
- Depuis la rentrée, les 84 élèves de quatrième et cinquième secondaire n’ont eu que trois semaines d’enseignement en science. Il s’agit d’un cours obligatoire pour l’obtention du diplôme d’études secondaires. Le poste est toujours vacant.
Source: Kativik Ilisarniliriniq