12 rencontres délicates de Fitzgibbon avec d'ex-partenaires d'affaires
Pierre Fitzgibbon a échangé avec de «vieux camarades» du privé dans le cadre de ses fonctions officielles
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Le très influent ministre Pierre Fitzgibbon a eu douze entretiens officiels avec des gens d’affaires avec qui il avait déjà siégé à des conseils d’administration, a découvert notre Bureau d’enquête.
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Sous le feu des projecteurs pour des questions éthiques depuis son arrivée en politique, le superministre du gouvernement Legault a souvent rejeté ces controverses en invoquant des amitiés et des rencontres privées.
Or, il a aussi à plusieurs reprises rencontré d’ex-collègues de conseils d’administration dans le cadre de ses fonctions officielles, révèle notre analyse de son agenda public.
Trois de ces entretiens ont même eu lieu avec des dirigeants d’entreprises dont M. Fitzgibbon a déjà été lui-même administrateur et détenu des parts.
Une de ces rencontres, avec le président de l’imprimeur Transcontinental, a précédé de quelques mois l’octroi d’une aide de 3 millions de dollars à cette entreprise.
Nous avons identifié ces 12 rencontres en croisant les noms inscrits dans l’agenda public du ministre et ceux des quelque 160 personnes avec qui il a siégé à des conseils d’administration.
Signe que ces rencontres peuvent revêtir un caractère délicat, trois autres ministres ont dû avaliser des aides financières en remplacement de M. Fitzgibbon lorsque ses ex-partenaires d’affaires étaient concernés (voir autre texte plus bas).
Questions
Saidatou Dicko, experte en gouvernance et professeure à l’Université du Québec à Montréal, croit que M. Fitzgibbon aurait dû prendre des distances de ses anciens partenaires d’affaires.
«Si on ne peut d’emblée lui prêter de mauvaises intentions, on peut se questionner sur son impartialité», note-t-elle.
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«Pourquoi, pour ces rencontres-là, n’a-t-il pas délégué un autre ministre? C’est ce qu’il aurait dû faire. Les apparences sont parfois plus importantes que la réalité en matière d’éthique et de gouvernance publique», ajoute-t-elle.
Dans un rapport d’octobre 2020, la commissaire à l’éthique Ariane Mignolet déplorait que le ministre Fitzgibbon n’ait mis en place «aucune mesure particulière [...] visant à prévenir les conflits d’intérêts» des lobbyistes qu’il rencontre dans le cadre de ses fonctions.
«Il est requis de maintenir une certaine distance avec ses amis, particulièrement lorsque les domaines d’activités professionnelles exercées par ces personnes peuvent présenter une connexité», écrivait-elle.
À cette occasion, même le premier ministre François Legault avait estimé que son ministre «n’aurait pas dû rencontrer son ami», y voyant «un problème d’équité».
Cette propension à peu déléguer n’est pas sans rappeler les échos obtenus par Le Journal parmi ses collègues ministres.
«Il gère, tout seul, un gouvernement dans le gouvernement», a confié l’un d’entre eux, selon ce qu’on lisait dans notre dossier du 11 mars dernier sur M. Fitzgibbon.
Gens de confiance
Selon un autre expert en gouvernance, que le ministre rencontre d’anciens partenaires d’affaires peut, à l’inverse, être judicieux.
«Lorsqu’il veut avoir une mesure de l’état du monde des affaires, c’est peut-être une bonne chose qu’il puisse discuter avec des gens en qui il a confiance», nuance Patric Besner, vice-président de l’Institut sur la gouvernance.
La réponse du ministre va dans le même sens.
«M. Fitzgibbon a eu la chance de siéger à de nombreux conseils d’administration. Cela lui procure une excellente connaissance du milieu», indique Mathieu St-Amand, directeur des communications au cabinet du ministre.
M. Fitzgibbon ne contrevient aucunement au code d’éthique des élus, juge-t-il, se basant sur une récente décision de la commissaire à l’éthique.
– Avec Philippe Langlois
Ensemble dans trois entreprises
Selon l’agenda du ministre, Mario Paradis a rencontré Pierre Fitzgibbon en décembre 2018 pour parler de l’avenir de Neptune Technologies, l’entreprise qu’il dirige.
Le ministre et M. Paradis se connaissent bien : ils ont été impliqués ensemble au sein de trois entreprises différentes, soit Neptune, Acasti Pharma et Atrium Innovations. À une autre reprise, M. Paradis a pris la relève de M. Fitzgibbon sur un conseil d’administration, celui de Functionalab.
Quant au cas précis de Neptune, qui conçoit et commercialise des produits santé, le ministre a administré l’entreprise alors que M. Paradis en était le vice-président, de 2015 à 2017.
Une subvention trois mois après
Pierre Fitzgibbon a rencontré le président de Transcontinental à l’époque, François Olivier, le 16 août 2019, afin de discuter des « projets » de l’entreprise. MM. Olivier et Fitzgibbon ont siégé ensemble au conseil d’administration de TC pendant près de huit ans, de 2009 à 2017. Il s’agissait d’une position rémunérée.
Quelques mois après la rencontre, en novembre, la branche imprimeries de Transcontinental recevait une aide financière de 3 M$ dans le cadre d’un programme administré par le ministère de l’Économie. Plus tôt cette année-là, une autre filiale de Transcontinental avait également reçu un coup de pouce du même programme de 9,5 M$.
M. Fitzgibbon n’a pas répondu lorsque nous lui avons demandé s’il avait personnellement été impliqué dans l’octroi de ces subventions. Son bureau assure cependant que toutes les transactions du Ministère suivent un processus « des plus rigoureux ». En date de mars 2017, M. Fitzgibbon détenait un peu moins d’un demi-million de dollars en actions de Transcontinental. Les avoirs du ministre sont gérés, depuis 2018, par un organisme externe, si bien qu’on ignore s’il détient toujours des parts dans l’entreprise.
Rappelons que la fille de François Olivier, Jeanne, a travaillé comme conseillère dans le cabinet de M. Fitzgibbon pendant environ 8 mois en 2022. Elle était passée directement de la controversée firme de consultants McKinsey au bureau du ministre, après avoir travaillé sur un mandat octroyé par ce dernier.
2 M$ pour une minière
Le ministre Fitzgibbon a eu un entretien avec le président exécutif d’Arianne Phosphate, Dominique Bouchard, en juin 2020. Objet de la discussion : relance économique du Québec avec les Regroupements sectoriels de recherche industrielle.
Huit autres acteurs du milieu ont participé à la rencontre. En plus de son rôle de dirigeant d’entreprise, M. Bouchard représentait le Centre québécois de recherche et de développement de l’aluminium.
MM. Fitzgibbon et Bouchard ont siégé ensemble au conseil d’administration d’Arianne Phosphate de septembre 2013 à juin 2016.
Depuis que le gouvernement Legault est au pouvoir, Investissement Québec a investi 2 M$ dans l’entreprise minière de Saguenay. Ce n’est pas M. Fitzgibbon, mais sa collègue de l’époque Marie-Ève Proulx qui avait recommandé l’investissement, selon les décrets avalisant le financement.
Fitzgibbon remplacé par trois ministres
Signe que des précautions sont parfois de mise, le ministre Pierre Fitzgibbon s’est fait remplacer par trois collègues dans certains dossiers d’entreprises auxquelles il a déjà été lié.
À deux reprises, soit en 2019 et en 2020, c’est l’ex-ministre déléguée au Développement économique régional, Marie-Ève Proulx, qui a officiellement recommandé qu’Investissement Québec injecte des fonds publics dans Arianne Phosphate.
M. Fitzgibbon a présidé le conseil d’administration de cette entreprise minière, en plus d’en détenir des actions (voir autre texte ci-haut).
Mis à l’écart
Depuis septembre 2021, le ministre des Finances, Eric Girard, remplace Pierre Fitzgibbon concernant les dossiers d’Immervision et de White Star Capital, deux entreprises pour lesquelles il a été actionnaire.
À cette époque, M. Fitzgibbon retrouvait son poste de ministre après avoir été mis à l’écart en raison, justement, des actions qu’il possédait dans ces deux entreprises.
Finalement, Sonia LeBel a suppléé son collègue à l’Économie lors de l’octroi d’une aide financière de 7 millions de dollars au distributeur alimentaire Mayrand/Alimplus, comme le rapportait Le Devoir en décembre 2021. Cette entreprise fait partie du portefeuille de Partenaires Walter Capital, pour laquelle M. Fitzgibbon était associé directeur avant de se lancer en politique.
Explications
Lorsque questionné à cet égard, le cabinet du ministre est resté flou sur les raisons pour lesquelles ce sont des collègues qui ont pris le relais dans ces cas précis.
«Il s’agit du processus déterminé avec l’exécutif», s’est-on contenté de dire, en faisant sans doute référence au Conseil des ministres.