Un homme fort et bûcheron québécois aurait inspiré la légende de Paul Bunyan
Nous avons parfois tendance à cloisonner les histoires nationales alors que bien des thèmes n’ont que faire des frontières. C’est le cas d’un personnage légendaire du folklore américain dont les origines et les exploits sont également liés à l’histoire du Québec.
La seconde moitié du XIXe et le début du XXe siècle correspondent à la conquête de l’Ouest, le triomphe de la « civilisation » qui correspond à ce qu’on appelle la destinée manifeste des Américains, soit le droit, voire le destin, d’étendre leur territoire à l’ensemble de l’Amérique.
Peu de représentations illustrent aussi bien ce désir que la toile de John Gast intitulée American progess (1872), où on oppose la lumière du développement (la côte Est) à la noirceur d’un monde ancien qu’on repousse (vers l’Ouest). L’Amérique, représentée par Colombia, guide la progression des colons vers le Pacifique. On fait alors peu de cas du fait qu’on dépossède les Premières Nations de leurs territoires en leur imposant la culture du conquérant blanc.
Travailleurs forestiers et hommes forts
C’est dans ce contexte qu’il faut inscrire la naissance d’une mythologie qui fait la part belle à des héros forts, surhumains, parfois comparables à ceux des Grecs et des Romains. S’y retrouvent des personnages réels comme John Henry, ou des géants imaginaires du folklore de la période comme Paul Bunyan.
L’historien Michael Edmonds le présente d’ailleurs ainsi : « Paul Bunyan was for decades, in the last century, the best-known American folk hero. He was Thor. He was Ulysses. He was America’s greatest folk hero.1 » Doté d’une force prodigieuse, toujours accompagné de son bœuf bleu nommé Babe, le personnage de Bunyan est né dans les camps forestiers où les bûcherons ont ajouté peu à peu à la légende au fil du temps.
Selon ces récits, les Grands Lacs, les Rocheuses, le Grand Canyon et les marées de la baie de Fundy sont autant de créations attribuables au passage du géant. Pur produit de la tradition orale, Bunyan a inspiré de nombreux auteurs dès la fin du XIXe siècle. Benjamin Britten lui réserve même une opérette en 1941.
Une inspiration québécoise
Tout comme l’histoire américaine, l’histoire du Québec est profondément imprégnée de récits d’hommes forts et des exploits de ces héros populaires qui ont conquis la forêt, souvent au péril de leur vie.
Il n’est donc pas étonnant que ces hommes et ces légendes se soient croisés. Quelques chercheurs croient d’ailleurs qu’à l’origine du personnage fictif de Paul Bunyan, on retrouve quelques bûcherons bien réels. L’un d’entre eux serait le Canadien français Fabian « Saginaw Joe » Fournier. C’est du moins ce qu’avance D. Laurence Rogers dans Paul Bunyan : How a terrible timber feller became a legend 2. Grand, fort et bagarreur, Fournier aurait également frappé l’imaginaire en raison d’une mâchoire dotée d’une double rangée de dents. Originaire de Québec, mais travaillant ensuite dans le Wisconsin, D. Laurence Rogers raconte qu’il pouvait croquer le bois !
Habitué des rixes dans les bars, Fournier aurait été assassiné vers 1875 ou 1876. Une rumeur (impossible à confirmer) veut que son crâne et sa dentition aient été à ce point remarquables qu’on les aurait étudiés en dentisterie à l’Université du Michigan.
1. Citation attribuée à Michael Edmonds, auteur de Out of the Northwoods : the many lives of Paul Bunyan, Madison, Wisconsin University Press, 2009, 304 pages.
2. D. Laurence Rogers, Paul Bunyan : How a terrible timber feller became a legend, Bay City, Historical Press, 1993, 192 pages.