Encore plus de jeunes filles de 17 ans et moins sur les antidépresseurs au Québec
Des experts déplorent que l’accès aux pilules soit plus rapide qu’à la thérapie
Les jeunes filles de 17 ans et moins sont de plus en plus nombreuses à se faire prescrire des antidépresseurs au Québec, en hausse de 62 % en seulement cinq ans.
«Quand tu n’as pas accès à [la psychothérapie], tu as quand même accès aux pilules, remarque la psychiatre Karine Igartua. C’est l’une des solutions que nous avons. Est-ce la meilleure? Ça dépend de la personne, mais c’est la seule dont l’accès est uniforme, grâce au régime public.»
La médecin de l’Hôpital général de Montréal ne s’étonne pas de voir le nombre de Québécois prenant des antidépresseurs augmenter. Ils ont été plus de 615 000 l’an dernier, selon les plus récentes données publiées par la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ).
C’est 20 % de plus depuis cinq ans et la hausse est encore plus marquée chez les jeunes filles (voir tableau).
«Nous avons pris des habitudes collectivement qui ne sont pas bonnes pour notre cerveau», croit la Dre Igartua pour expliquer cette hausse de la détresse. Elle blâme notamment les téléphones intelligents, qui sollicitent constamment l’attention et que de nombreuses personnes gardent en main jusqu’aux toilettes ou au milieu de la nuit.
Et, selon elle, les adolescentes sont particulièrement sensibles aux comparaisons nuisibles sur les réseaux sociaux.
Plus à risque
Le pédiatre en médecine adolescente au CHU Sainte-Justine, Olivier Jamoulle, soutient que plusieurs études confirment que les adolescentes risquent plus de souffrir d’anxiété ou de dépression.
Le médecin ajoute aussi qu’il a observé une «hausse impressionnante de troubles alimentaires» dans sa pratique.
S’il ne faut pas diaboliser la prise d’antidépresseurs, le Dr Jamoulle estime que les données de la RAMQ exigent «un moment de réflexion» au Québec.
Éducation nécessaire
Ces médicaments peuvent s’avérer utiles et sécuritaires, dit-il, mais la prescription chez un adolescent doit être mûrement réfléchie. Par contre, il remarque aussi que les antidépresseurs sont plus répandus au Québec qu’en Europe, par exemple.
Les médecins plaident pour davantage d’éducation à la santé mentale auprès des jeunes, afin d’apprendre à gérer la détresse.
«Pour être en santé, le cerveau a besoin de huit heures de sommeil. Il faut faire de l’exercice et avoir un sentiment de communauté, d’appartenance», plaide à son tour la Dre Igartua.
La RAMQ a déboursé un total de près de 104 millions $ en 2022 pour des médicaments antidépresseurs.
Deux ans pour voir un psy malgré une dépression majeure
Souffrant d’une dépression majeure à 20 ans, Martine Vendette a eu accès à des antidépresseurs, mais elle a dû attendre deux ans pour réussir à voir un psychologue.
«Quand tu te noies, c’est une bouée de sauvetage. Ça va te sortir de l’eau, mais ça ne t’apprend pas à nager», souffle la femme de 27 ans, sur l’importance de la psychothérapie.
Malgré les médicaments, elle est restée deux ans sans être capable d’occuper un emploi, par exemple. Si les antidépresseurs peuvent donner un «regain», encore faut-il savoir quoi faire avec, poursuit-elle.
Aujourd’hui animatrice pour la Fondation Jeunes en tête, elle participe à des ateliers de sensibilisation dans les écoles pour outiller les jeunes et prévenir la détresse.
- Écoutez la rencontre Nantel-Durocher diffusée chaque jour en direct 15 h via QUB radio :
Jeunes «amochés»
Elle remarque qu’ils sont «amochés» après trois ans de pandémie. «Les jeunes veulent aller chercher de l’aide, mais il n’y en a pas assez», déplore-t-elle.
«C’est sûr qu’il y a une détresse en ce moment et il faut trouver une manière comme société d’y répondre», ajoute la directrice générale de la Fondation, Mélanie Boucher. Dans la dernière année, environ 220 000 personnes ont consulté les trousses d’aide en ligne de son organisme.
Mais Mme Boucher souligne qu’elles ne remplacent pas l’aide professionnelle.
Plus de prévention
Elle plaide pour davantage de prévention auprès des jeunes, notamment pour les aider plus tôt et leur éviter de tomber sur des listes d’attente.
Car les sources d’anxiété s’additionnent, lance Myriam Day Asselin, directrice Innovation et développement chez Tel-jeunes. Les appels reçus par l’organisme ne sont plus à propos d’un seul problème, mais toute une panoplie.
Elle nomme l’anxiété de performance à l’école pour de bonnes notes, le stress des premières expériences amoureuses ou encore l’écoanxiété reliée au réchauffement climatique.
Sans compter les événements difficiles dans l’actualité, poursuit-elle. «Ils sont aussi bombardés par les médias sociaux et hyper conscients de ce qui se passe», illustre-t-elle.
En hausse depuis cinq ans
Nombre de personnes consommant des antidépresseurs au Québec, sous le régime public
Filles 17 ans et moins
- 2018 : 3423
- 2022 : 5528
- Hausse de 62 %
Femmes 18 à 64 ans
- 2018 : 171 210
- 2022 : 185 642
- Hausse de 8 %
Aînées 65 ans et plus
- 2018 : 168 798
- 2022 : 217 842
- Hausse de 29 %
Garçons 17 ans et moins
- 2018 : 2064
- 2022 : 2665
- Hausse de 29 %
Hommes 18 à 64 ans
- 2018 : 94 387
- 2022 : 101 896
- Hausse de 8 %
Aînés 65 ans et plus
- 2018 : 75 104
- 2022 : 102 342
- Hausse de 36 %
Source : RAMQ