Leurre sur sa propre fille: un «imbécile» en prison à la maison
Le juge n’a pas mâché ses mots à l’endroit de l’accusé, qui s’est reconnu coupable d’avoir leurré sa fille mineure
Qualifié d’imbécile, d’égoïste et de manipulateur par un juge qui l’a condamné à contrecœur à une peine de huit mois à la maison, un père de famille de Sorel-Tracy a reconnu avoir leurré sa fille adolescente pendant trois ans.
Camille Desjardins, aujourd’hui âgée de 18 ans, a tenu à lever l’ordonnance de non-publication qui protégeait son identité depuis le début des démarches judiciaires, il y a deux ans.
La jeune victime, qui multiplie les crises de panique depuis ces événements, voulait que tout le monde sache ce que son géniteur lui avait fait subir et à quel point il a détruit sa vie.
Bien qu’elle soit désormais déménagée à plus de sept heures de route et qu’elle ait coupé tout contact avec lui, elle vit dans la peur constante.
«Quand je suis toute seule à la maison dans le noir, je vois sa face venir dans ma fenêtre et ça me fait peur, a-t-elle dit, la voix écorchée par les sanglots, en salle d’audience le 29 mars dernier. Quand je dors, je rêve qu’il veut me faire du mal. Quand je suis dans la rue à l’école et que je croise quelqu’un qui a la même odeur que lui, je panique et je tremble. Ça me fait mal.»
Stéphane Desjardins a admis avoir posé des gestes à caractère sexuel inadmissibles et criminels à son égard alors qu’elle était adolescente.
Il lui donnait notamment des baisers sur la bouche, lui caressait les cuisses en auto, l’incitait à dormir avec lui et lui lavait les cheveux alors qu’elle est nue dans la douche.
Son autre fille, plus jeune, a été témoin en partie de ces comportements disgracieux.
Les mains liées
S’il était initialement accusé d’agression sexuelle et de contacts sexuels, Stéphane Desjardins a finalement plaidé coupable à une accusation de leurre d’enfant, s’évitant ainsi un procès.
Bien qu’il était loin d’être en accord, le juge Claude Provost a entériné la suggestion commune des avocats qui proposaient une peine à la maison.
«Citez-moi un cas où la Cour d’appel a confirmé un juge de première instance qui n’a pas suivi une suggestion commune, a mentionné le magistrat pour justifier la raison pour laquelle il sentait qu’il avait les mains liées. Il n’y en a pas. Celui qui a le pouvoir maintenant dans le système judiciaire, ce n’est pas le juge, c’est le procureur de la Couronne.»
L’autre fille de Desjardins, âgée de 15 ans, a également tenu à livrer un témoignage sur les conséquences des gestes du père indigne.
«Je pleure souvent et je ris moins qu’avant, a dit l’adolescente. Mon anxiété a beaucoup augmenté. J’ai l’impression d’être laide, je me sens grosse, dégoûtante, parce qu’il m’a tellement rabaissée. Je n’arrive plus à dormir le soir parce que j’ai peur de faire des cauchemars.»
Un «imbécile»
Visiblement touché et très empathique à la situation des jeunes victimes, le juge a souhaité qu’elles trouvent de l’aide afin de continuer à avancer.
«On ne peut pas se permettre de rater une vie à cause d’un imbécile comme lui», a lancé le magistrat.
L’avocat de la défense, Me Christian Crevier, a toutefois semblé minimiser les gestes de son client lorsqu’il a finalement pu prendre la parole.
«Je comprends les commentaires que vous faites à mon client, je ne sais pas quels faits que vous avez retenu qui semblent si graves que ça, a-t-il dit. Mais monsieur avait été éduqué de cette façon-là et c’était des choses qui semblaient à ce moment-là plus normales.»
Ça ne vaut rien
Le juge a immédiatement rejeté cet argument, mentionnant qu’il ne valait rien.
«Ce n’est pas parce qu’on a été élevé tout croche que quand on fait des enfants, on se comporte de façon à les corrompre.»
Stéphane Desjardins a ainsi été condamné à une peine d’emprisonnement à la maison de huit mois ainsi qu’à une probation de trois ans.
Il ne peut entrer en contact avec ses filles pendant cette période.
«Vous êtes en prison, a martelé le juge Provost. Vous vous en allez chez vous et vous ne sortez plus pendant les huit prochains mois. Si vous n’avez pas compris, vous payerez le prix.»
Autres extraits de l'audience:
- «Depuis que j’ai dénoncé Stéphane il y a deux ans, j’ai énormément de difficulté à l’école. Je voulais même plus sortir de chez moi, dehors. Il fallait que ma mère soit là avec moi tout le temps. J’avais tellement de stress qu’à l’école, je pouvais voir de la police et tout. Je paniquais, je pensais qu’il pouvait être à l’école.» – Camille Desjardins, victime
- «Quand on allait mettons au IGA ou n’importe quoi, je vérifiais les plaques de toute pour voir si j’étais en sécurité parce que j’avais peur qu’il soit là. Je faisais des crises de panique à l’école. Y’a du monde qui ne me comprenait pas. J’avais peur des autres.» – Camille Desjardins, victime
- «Avant, j’étais souvent souriante, mais maintenant, mon anxiété a beaucoup augmenté. Je suis plus renfermée sur moi-même. C’est comme si j’avais perdu une partie de ma sœur. C’est une des choses qui me fait le plus mal.» – Fille cadette de Stéphane Desjardins
- «Si c’était rien que de moi, c’est un cas de pénitencier cette affaire-là. Des circonstances aggravantes, il y a en plein, plein, plein. C’est ses propres enfants. C’est effrayant. C’est sordide. Je me retiens pour pas le traiter autrement.» – Juge Claude Provost
- «Vous avez détruit la vie de vos propres enfants. La chair de votre chair, vous l’avez détruite. Ça, c’est un comportement criminel inacceptable pour lequel je n’ai pas assez de mots pour décrire tout le côté sordide de ces comportements.» – Juge Claude Provost
- «Nous allons devoir réapprendre à vivre avec de nouvelles données. On va s’adapter et réussir parce que ce drame, on le vit ensemble, soudées. Rien ne sera comme avant, on n’oubliera jamais, mais on a choisi ensemble de ne pas être des victimes, on est des survivants, des battants. Je refuse que mes enfants soient brisés. Je ne lui souhaite rien à lui.» – Nadia Martel, mère des victimes