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Un criminel dirige une garderie au vu et au su du Ministère

Le propriétaire avait été reconnu coupable de vol il y a déjà plus d’un an

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Un criminel condamné pour avoir volé des milliers de dollars est toujours à la tête d’une garderie de Montréal subventionnée par le ministère de la Famille, et ce, même s’il a reconnu sa culpabilité il y a plus d’un an.

Le propriétaire de la garderie Le petit monde de Sophia, Alain Sarrapuchiello, a été accusé de fraude en juin 2019. À l’époque, la victime estimait avoir été frustrée de plusieurs dizaines de milliers de dollars dans le financement d’une garderie.

Le propriétaire de la garderie Le petit monde de Sophia, Alain Sarrapuchiello. Image tirée de la page Facebook de Alain Sarrapuchiello

Évoquant la présomption d’innocence, le ministère a alors décidé de ne pas intervenir auprès de la garderie de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, qui peut accueillir 80 enfants. Il jugeait que la sécurité des petits n’était pas en péril. 

Sarrapuchiello a finalement plaidé coupable, en janvier 2022, à une accusation de vol de plus de 5000 $ au palais de justice de Montréal, l’accusation de fraude ayant été écartée. Il a évité la prison en vertu d’une absolution conditionnelle, mais il s’est vu forcé de verser 45 000 $ au plaignant et d’accomplir 150 heures de travaux communautaires.

Sept mois plus tard 

Bien que cette information soit publique, il a fallu sept mois avant que le ministère de la Famille ne se rende compte que Sarrapuchiello avait désormais un casier judiciaire. Québec était pourtant bien au fait que le propriétaire du service de garde faisait face à des accusations. Malgré son immobilisme, le ministère assure qu’il est «resté vigilant», plaide par courriel son porte-parole Bryan St-Louis. 

On voit la fiche de la garderie encore présente sur le site web du ministère de la Famille, bien que le propriétaire se soit reconnu coupable de vol en janvier 2022. Capture d'écran sur le site du ministère de la Famille

Mise au courant de ces délais par notre Bureau d’enquête, la ministre de la Famille, Suzanne Roy, tape du pied et promet de serrer la vis à ceux qui «se jouent du système» (voir autre texte plus bas).

Il est à noter que Sarrapuchiello est propriétaire d’une garderie privée subventionnée, c’est-à-dire qu’elle reçoit des contributions du gouvernement pour accueillir des enfants à 8,85 $ par jour.

Après moult échanges et délais, le ministère de la Famille a jugé que l’infraction criminelle posée par Sarrapuchiello était incompatible avec le rôle qu’il occupe à la garderie Le petit monde de Sophia.

En février, le Ministère lui a donc donné deux options: son service de garde devra soit fermer ses portes, soit changer de propriétaire. Sarrapuchiello a signifié son intention de vendre ses actifs, a indiqué le cabinet. 

Mais, à l’heure actuelle, Le petit monde de Sophia accueille des enfants et Sarrapuchiello, qui a refusé notre demande d’entrevue, en est toujours le propriétaire. 

  • Écoutez l'entrevue avec Suzanne Roy, ministre de la Famille à l’émission de Yasmine Abdelfadel diffusée en direct via QUB radio :

Projet d’une autre garderie 

Notons que Sarrapuchiello et sa conjointe avaient pour projet d’ouvrir une nouvelle garderie de 44 places dans Parc-Extension, à Montréal. 

Le projet de développement a été autorisé en décembre 2018, soit avant le dépôt des accusations, confirme Québec.

«Considérant les derniers développements, le Ministère est à évaluer les solutions possibles», a précisé le porte-parole du Ministère.   

22 500 $ D’AMENDES 

En plus du dossier criminel de son propriétaire, la garderie Le petit monde de Sophia a été condamnée à payer 22 500 $ d’amendes en 2020 pour des gestes troublants qu’a commis une éducatrice envers des enfants. 

Selon une enquête du Ministère lancée en 2019, l’employée a notamment tenu des propos dégradants envers un enfant au printemps de la même année. En outre, elle n’est pas intervenue adéquatement lors d’événements impliquant deux enfants et en a même incité un autre à commettre un geste déraisonnable envers d’autres petits. 

Infractions

Ces deux incidents ont mené au dépôt de trois chefs d’infraction en vertu de la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance. La garderie a plaidé coupable.

Ces faits sont survenus en mars et avril 2019. La garderie a congédié l’éducatrice en août. Notons que le Ministère n’a pas le pouvoir de mettre lui-même à la porte l’employé d’un service de garde, une situation à laquelle la ministre de la Famille veut remédier (voir autre texte plus bas). 

La nouvelle ministre de la Famille promet de «changer le système»

La ministre de la Famille, Suzanne Roy, ne tolérera plus que des garderies bafouent les règles à répétition et elle promet de serrer la vis aux récidivistes. Photo Martin Alarie

La nouvelle ministre de la Famille reconnaît que Québec a laissé «trop de chances» aux garderies récidivistes et entend légiférer pour «changer le système». 

«On a voulu être accompagnant: oui, il faut l’être. Mais quand il y a des récidivistes, moi, j’ai zéro patience», indique Suzanne Roy, qui a été «choquée» par nos révélations.

Notre Bureau d’enquête rapportait, le 23 mars dernier, qu’une garderie de Mascouche a pu rester ouverte pendant des années malgré les inspections et les enquêtes qui y faisaient état de locaux insalubres et de négligence envers les enfants.

Trois autres garderies problématiques ont aussi fait les manchettes du Journal au cours des deux dernières années (voir encadré). 

Changer les règles

Pour mieux gérer ces cas particuliers, la ministre reconnaît qu’elle devra légiférer. À terme, elle aimerait que le ministère puisse suspendre ou congédier une éducatrice lors d’une enquête, ce qui est actuellement impossible.

Elle souhaite aussi pouvoir «fermer instantanément» une garderie où la sécurité des enfants serait menacée. L’augmentation du coût des amendes, pour être «plus dissuasives», fait également partie des plans.

«On va approfondir en termes de lois et de règlements, comment on peut se doter de ces pouvoirs-là», a indiqué la ministre Roy. 

Sous haute surveillance

D’ici là, la ministre entend serrer la vis et promet que les garderies problématiques seront sous «très très haute surveillance».

Une soixantaine de garderies ont d’ailleurs été scrutées par la Cellule de coordination des cas particuliers, mise en place il y a un an dans la foulée de nos reportages. À ce jour, 11 d’entre elles ont reçu des avis visant à mettre fin à leurs activités, selon le cabinet.

«On ne gardera pas une place ouverte si ça peut mettre en danger la santé et la sécurité des enfants», insiste-t-elle, bien qu’elle reconnaisse le casse-tête que vivront les parents qui perdront leur garderie.  

Accusations criminelles

Quant aux établissements dont un propriétaire, un administrateur ou un employé est accusé au criminel – comme c’est le cas de la garderie Le petit monde de Sophia (voir autre texte) –, elle promet d’agir «aussitôt qu’il y a un jugement» de culpabilité. Une veille des causes judiciarisée sera mise en place. 

«On le sait, qu’il a été déclaré coupable. On n’a pas besoin de lui demander qu’il nous le prouve. [Le propriétaire du Petit monde de Sophia] a joué à l’intérieur de la loi. C’est ce que j’appelle: jouer le système. Ça, ça n’arrivera plus», assure-t-elle.  

Cinq cas troublants dévoilés par notre Bureau d’enquête 

JANVIER 2022

Photo d'archives

Une garderie privée en milieu familial est hébergée chez Dave Blais Robitaille, un ancien proche des Hells Angels. À la suite de notre reportage, le Ministère reconnaît son erreur et force la fermeture de la garderie. 


FÉVRIER 2022

Photo Pascal Dugas Bourdon

Fatima El Boukhari, propriétaire d’une garderie de Montréal, aurait utilisé un stratagème fiscal visant à soutirer de l’argent aux parents par leur crédit d’impôt. Quelques jours après notre reportage, le Ministère retire le permis à la garderie.  


AVRIL 2022

Capture d'écran Google Maps

Khadija El Boukhari, propriétaire de la Ronde de bisous, aurait utilisé un stratagème semblable à celui de sa sœur Fatima. La garderie a continué d’opérer jusqu’à sa vente, en janvier dernier.   


MARS 2023

Photo Pascal Dugas Bourdon

Cadavres de coquerelles, excréments de bestioles, enfants négligés : Québec a attendu des années avant de fermer Le petit monde d’Annanou, une garderie de Mascouche insalubre qui croulait sous les plaintes.  


AVRIL 2023

Photo Pascal Dugas Bourdon

La garderie subventionnée Le petit monde de Sophia, à Montréal, est la propriété d’un homme qui a été reconnu coupable de vol il y a de cela plus d’un an. Bien que le Ministère soit au courant de cette situation depuis août 2022, la garderie est toujours en activité.


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