Voici l'ancien tramway de Québec en 10 photos
Les photographies de tramways sont de très bons témoins de ce qu’était Québec aux XIXe et XXe siècles. En s’y intéressant, on se penche sur les principaux rouages de ce moyen de transport et son organisation, mais aussi sur la vie quotidienne, les édifices qui ont pignon sur rue, les règles reliées à la circulation et les services municipaux. Jean Breton, le spécialiste de l’histoire du transport collectif urbain, nous présente aujourd’hui l’ancien tramway de Québec à travers 10 photographies.
1) La voiture hippomobile no 7
La Quebec Street Railway inaugure une ligne de chars à chevaux reliant la traverse de Lévis à la barrière (Toll Gate) située sur la rue Saint-Vallier aux limites de Québec et de Saint-Sauveur, le 18 août 1865. Le premier char accommode 12 passagers et roule à une vitesse moyenne de 6 milles (10 kilomètres) à l’heure. Il en coûte 0,05$ pour parcourir le trajet au complet. Le second char entre en service le 22 août, suivi des troisième et quatrième, le 30 août.
Après quelques semaines, 6 chars, 25 employés et un nombre inconnu de chevaux répondent aux besoins de la clientèle. La photographie du char numéro 7 a peut-être été prise sur la rue Saint-Joseph au coin de la rue Saint-Vallier.
Durant l’hiver, des chars sur traîneaux sont tirés par trois chevaux, mais n’étant pas chauffés, ils perdent en popularité. Lors du grand incendie du quartier Saint-Roch en 1866, le feu détruit une grande partie des rails en bois provoquant la suspension du service jusqu’à leur remplacement.
2) Le Sweeper no 4 sur la rue D’Auteuil
La photographie officielle des employés à bord du Sweeper numéro 4 montre la fierté de l’équipe qui vient de compléter avec efficacité le déneigement.
La photo prise sur la rue D’Auteuil, entre la porte Kent et la rue Saint-Louis, date probablement de l’hiver 1897-1898, le premier subi par la compagnie.
Avant l’arrivée des tramways électriques, les rues n’étaient pas déneigées; les résidents déblayaient les trottoirs en jetant la neige dans les rues, ce qui explique la hauteur de la neige dans les rues sur les photos anciennes.
Les enfants et même quelques adultes se déplacent pour venir voir fonctionner ce char étrange capable de déneiger toute une rue à lui seul! Il est utilisé jusqu’en 1928 pour être ensuite envoyé aux rebuts.
3) Le char-observatoire
Le char-observatoire descend la côte de la Fabrique et se dirige vers la rue Saint-Jean. D’après leurs regards, le conducteur et les passagers semblent avoir été avertis de la présence du photographe, qui les attendait sur le terrain de l’hôtel de ville pour immortaliser leur passage. La plaque de l’année 1935 de l’automobile nous indique l'année de la photographie. À droite apparaît le magasin Simons vendant des Dry Goods, Linen & Homespun, qu’on pourrait traduire par marchandises sèches, lainages et faits à la maison; la clientèle francophone n’a pas besoin de connaître l’anglais pour deviner le contenu du magasin! Une visite suffit. Depuis longtemps à Québec, plusieurs façades de commerces n’affichent qu’en anglais.
Le magasin Simons existe encore au même endroit et possède plusieurs succursales au Québec et au Canada. Son voisin, le célèbre restaurant français Kerhulu, présente une façade discrète, le mot restaurant étant bilingue.
Enfin, à gauche, le cinéma Empire ne projette que des films anglophones, dont celui mettant en vedette Lionel Barrymore dans Should Ladies Behave (Les dames devraient bien se conduire), et un second film. L’entrée est de 0,15 $ pour les deux films. Les temps ont bien changé!
4) Le tramway no 201
Le tramway numéro 201 (Ottawa Car Company, 40 sièges, 1898) descend lentement la Grande Allée vers le Château Frontenac; la croix et l’enseigne Maple Avenue indiquent qu’il parcourt le circuit de la Haute-Ville. La Quebec District Railway devient la Quebec Railway, Light & Power Company le 18 juin 1899.
D’après les habits portés par les passagers, il se pourrait qu’il s’agisse d’un voyage officiel; la scène se déroule probablement le premier dimanche du printemps 1898.
La présence de trois employés sur le même char est exceptionnelle. Quant au monsieur à l’air éméché qui semble surpris par la présence du photographe, il s’est peut-être tout simplement couché trop tard la veille.
5) Le tramway no 520
Le tramway numéro 520 (Brill, 40 sièges, 1908) acheté de la Third Avenue Railway - 837 - (N.Y.) en 1942 remonte la rue Saint-Jean vers l'avenue des Érables. À gauche, l’Hôtel Montcalm construit en 1846; un étage s’ajoute en 1912, mais en 1921, l’étage disparaît, et le bâtiment garde cette apparence jusqu’à sa démolition en 1969 pour agrandir la place d’Youville.
Le grand clocher de l’église St. Matthew’s apparaît à gauche et celui de l’église Saint-Jean-Baptiste, à droite. L’organisme YMCA occupe l’édifice du coin de la rue des Glacis, dont le rez-de-chaussée comprend une pharmacie à prix réduit (Drugs - cut prices). Le théâtre Diamant a complètement transformé la bâtisse en 2019. En face de l’hôtel, le quadrilatère a vu disparaître tous ses bâtiments en 1930, remplacés par un stationnement, puis par un terminus d’autobus en 1992.
Les travaux incluent le déplacement des rails d’environ deux mètres vers le stationnement pour permettre à la clientèle de l’hôtel d’arrêter à la porte à l'arrivée et au départ. À l’extrémité ouest de l’hôtel, les tramways se tassaient brusquement au grand inconfort de la clientèle!
6) Le tramway no 614
Le tramway numéro 614 (Ottawa Car Company, 40 sièges, 1920) circule sur la voie privée de la compagnie où se trouve maintenant la rue de la Pointe-aux-Lièvres. Le circuit no 4 relie le carré d’Youville à l’Exposition provinciale, située sur la route des Commissaires (boulevard Wilfrid-Hamel) via la 1re Avenue et l’avenue Lamontagne (Eugène-Lamontagne). Circulant à sens unique, il oblige la clientèle à faire le grand tour à chaque sortie, que ce soit à l’aller ou au retour! Ce parcours a été inauguré le 12 septembre 1898 pour relier l’Exposition au centre-ville.
C’est le char numéro 206, dont le conducteur est E. Sylvain et le motorman G. Ross, qui a été le premier en service. Il dessert aussi la paroisse de Stadacona. Toutefois, à cause de sa faible utilisation, il ne sera pas en service durant l’hiver avant 1904. Jusqu’en 1923, la voie privée utilise le parc Victoria. À noter le clocher de l’église Saint-Zéphirin-de-Stadacona. Le dernier tramway a circulé le soir du 30 avril 1948.
7) Le tramway no 805
Le tramway numéro 805 (Ottawa Car Company, 40 sièges, 1928) ferme le convoi de tramways sur le boulevard Charest Ouest, en attendant la fin d’une parade sur la rue Dorchester par un froid matin d’hiver. Le numéro 805 circule sur le circuit no 1 Champlain–Saint-Malo.
Ironiquement, une affiche à l’arrière du char mentionne que les tramways arrivent à l’heure lorsqu’il n’y a pas d’obstruction de la circulation! Tous ces chars ne circulent pas sur le circuit no 1; il y a aussi les circuits nos 3, 4, 7 et 8 qui vont ramener la foule sans correspondance après la parade.
Les lampadaires ont été remplacés au début des années 1960 par des modèles plus modernes, mais de nouveaux modèles très semblables à ceux de cette photographie ont été installés en 1996. À droite, l’édifice de la Dominion Corset, immense manufacture de sous-vêtements féminins et, à gauche, le concessionnaire J.L. Drolet Chevrolet Oldsmobile, qui sera remplacé par Laporte Automobiles, disparu depuis longtemps.
8) Les tramways nos 810 et 808
Les tramways numéros 810 et 808 (Ottawa Car Company, 40 sièges, 1928) avancent péniblement dans la congestion du carré D’Youville lors du Congrès eucharistique tenu du 23 au 26 juin 1938.
Le soir de l’ouverture, une messe de minuit pour les hommes a lieu sur les plaines d’Abraham, ce qui oblige la compagnie à modifier le service de la Haute-Ville; service direct de Limoilou (no 3) et de Saint-François-d’Assise (no 4) au parc des Champs-de-Bataille sur la Grande Allée via la rue D’Auteuil.
La cérémonie de clôture du dimanche 26 juin 1938 comprend une très longue procession, qui part de la basilique à 15h, passe sur la rue Saint-Jean, le chemin Sainte-Foy et l’avenue des Braves, et se termine au parc des Champs-de-Bataille.
Une centaine de villes canadiennes ont contribué à l’installation de grandes arches le long du parcours, et la Ville de Québec a accroché des lumières.
9) Le tramway no 905
Le tramway numéro 905 (Ottawa Car Company, 40 sièges, 1929) monte la côte du Palais sur le circuit no 8 à destination de Saint-Sacrement. Depuis le 10 avril 1940, il ne part plus de la place Champlain, mais seulement du carré Parent, étant donné que les rails ont été enlevés par la Ville de Québec pour refaire l’aqueduc sur la rue Saint-Paul. Les tramways du parcours no 16 ont pris la relève.
Le dernier tramway va circuler dans la côte du Palais le soir du 31 juillet 1940, mettant fin au service débuté le 29 décembre 1897. À noter les automobiles sur les rails, qui circulent sans se soucier du tramway, et l’enseigne «Arrêt de Tramways Stop», que l’on peut voir sous la publicité de cigarettes Craven A.
L’hôtel Victoria demeure encore en activité, mais le théâtre Victoria et le garage Côte du Palais ont disparu depuis longtemps. Quant à l’Hôtel-Dieu (à droite), il va bientôt subir une importante modification de vocation.
10) La place Jacques-Cartier en 1946
La place Jacques-Cartier grouille d’activités à l’automne 1946. Les tramways du circuit no 3 (Château–Saint-François-d’Assise) partagent l’espace avec les autobus de Limoilou, de la Canardière et de Boischatel.
À gauche, un autocar recueille la clientèle pour le Camp Valcartier ou le Lac-Saint-Charles. Une grande enseigne de la farine Robin Hood trône sur le toit d’un vieil édifice commercial alors que le couvent Saint-Roch se dresse entre la place Jacques-Cartier et l’église Saint-Roch.
Il sera remplacé par un gros hôtel dans les années 1970, et la place Jacques-Cartier va disparaître pour laisser l’espace à la bibliothèque Gabrielle-Roy. Le 15 octobre 1947, le circuit no 3 devient le circuit no 4, et le tramway le desservant sera remplacé par les autobus le soir du 30 avril 1948. Seul le tramway du circuit no 1 continuera de circuler sur la rue Saint-Joseph jusqu’au soir du 27 mai 1948.
Un texte de Jean Breton de la Société historique de Québec
Pour obtenir plus d’information et admirer encore plus de photographies, consultez Histoire des tramways de la région de Québec, un livre de Jean Breton, publié aux Éditions GID, 2023.