Violence armée à Montréal: un demi-million $ par crime armé
Une étude inédite révèle le vrai coût social de cette flambée de violence
Chaque fois qu’un criminel décide d’utiliser son arme à feu pour commettre un crime, il en coûte un demi-million de dollars à la société, révèle une étude inédite.
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Le fruit de cette recherche exhaustive sera publié d’ici la fin de l’année, mais les résultats préliminaires obtenus en exclusivité par Le Journal font état de coûts exorbitants.
Le crime le plus coûteux, et de loin, est l’homicide, avec une moyenne de 10 millions $ par meurtre commis avec une arme à feu.
Les chercheurs Yanick Charette, professeur agrégé en travail social et criminologie à l’Université Laval, et Maude Mailloux-Savard, étudiante au doctorat en criminologie, se sont intéressés à l’aspect économique du fléau dans le but de donner des outils aux décideurs.
« Ça permet de financer des projets, de voir combien on devrait investir dans la problématique pour réussir à avoir un retour sur nos investissements », explique le professeur Charette.
Trois types de dépenses
Les coûts ont été répertoriés en trois grandes catégories. La première englobe l’aspect policier, les tribunaux et les services correctionnels. La seconde couvre les soins de santé à l’hôpital, les pertes de productivité dans l’éventualité où la personne devrait s’absenter du travail ou deviendrait invalide, les services de soutien psychologique pour la victime et les services de réadaptation. La dernière comprend les coûts liés aux proches de la victime, comme les frais funéraires et les services sociaux.
« Les coûts montent tellement vite, observe Étienne Blais, professeur en criminologie à l’Université de Montréal. Si un jeune de 18 ans est tiré par arme à feu, son nombre d’années de vie utile perdues est grand. Et ça implique des services parallèles, l’enquête policière, les procédures judiciaires. »
Aussi à l’hôpital
Les coûts des services hospitaliers occupent aussi une gigantesque partie du coût social des fusillades, indique l’étude à venir. Selon le Dr Jeremy Grushka, chirurgien en traumato-logie, on sous-estime parfois toute la mobilisation et les ressources nécessaires pour traiter une seule personne atteinte par balle.
« Je pense à un patient dernièrement qui est resté 300 jours à l’hôpital après s’être fait tirer dessus », explique celui qui exerce à l’Hôpital général de Montréal.
Dans le cadre d’un meurtre, où la peine de prison à vie est prévue, les frais peuvent être astronomiques considérant qu’un détenu coûte en moyenne 350 $ par jour aux contribuables, selon le professeur Charette.
Ainsi, en optant pour d’autres solutions comme la prévention, les économies sont nettement plus importantes que l’investissement, croit le professeur Blais.
« Si on investit 1 million $ dans la prévention, on risque de sauver 3 millions $ en termes d’activités répressives », dit-il.
Mais la criminologue Maria Mourani met aussi la lumière sur le coût humain de tels drames.
« Un parent qui perd son adolescent, il devra vivre toute sa vie avec cette douleur, dit-elle. Ce n’est pas quantifiable. Il va mourir avec cette souffrance. »
Un médecin aux premières loges de ces drames à Montréal
Un chirurgien en traumatologie, qui est témoin au quotidien des ravages causés par les balles, s’inquiète du lourd fardeau qu’impose la violence armée aux hôpitaux.
« La partie qui me frappe toujours, c’est l’impact d’une fusillade. On prend un patient qui a presque un pied dans la tombe. Pour le sauver, ça prend toute une équipe, des transfusions sanguines massives, de longues opérations où on ouvre parfois le cou, la poitrine, l’abdomen, et ensuite, il y a un séjour aux soins intensifs », explique le Dr Jeremy Grushka, médecin aux soins intensifs et chirurgien en traumatologie à l’Hôpital général de Montréal.
Il s’agit de l’un des deux centres de traumatologie de la métropole. L’équipe dont il fait partie compte huit chirurgiens.
Déjà débordé par les patients qui passent sur la table d’opération, il craint que la cadence des coups de feu depuis janvier devienne la norme.
« On remarque que la violence armée persiste et on craint qu’il y ait une augmentation cet été. On se prépare pour ça, on a une équipe bien formée », a assuré celui qui est porte-parole de la coalition Médecins canadiens pour un meilleur contrôle des armes à feu.
Nouvelle réalité
À ses débuts en 2005, au Centre universitaire de santé McGill, il se souvient que les patients blessés par balles étaient plutôt rares. Si bien que cela causait même une « commotion » au sein de l’équipe soignante lorsqu’un cas survenait. Mais c’est devenu une réalité presque quotidienne, déplore-t-il.
« Maintenant, on peut avoir trois ou quatre opérations pour des blessures par arme à feu par semaine. Lorsqu’on est avisé qu’une victime tombée sous les balles arrive, on n’est même plus surpris. On se dit : bon, un autre », a-t-il confié.
Pourtant, il déplore que ceux qui se tirent dessus banalisent les graves conséquences d’une blessure par arme à feu.
« Dans les films, on voit souvent qu’ils ouvrent le patient, retirent la balle et tout est correct. Ça me fait toujours rire parce que la balle, on s’en fout. Les problèmes sont au niveau des organes vitaux, des vaisseaux sanguins et des tissus qui sont complètement détruits », a-t-il décrit.
Détresse des proches
Et au cours d’une telle opération, ils doivent parfois remplacer la quantité de sang totale du corps à quatre ou cinq reprises.
Malgré l’expérience, il confie que l’émotion est toujours vive lorsqu’il doit annoncer le décès d’une victime à des proches.
« Peu importe leur nationalité, leur religion, leur classe sociale, le cri qui sort de leur bouche est toujours le même lorsqu’ils apprennent que leur fils ou leur conjoint ne retournera plus jamais à la maison. Ça me brise le cœur à chaque fois », a-t-il confié.
IL FAUT ÉLIMINER LES ARMES À FEU, CROIT UN DOCTEUR
À force de réparer les corps percés par des balles, un chirurgien en traumatologie en est venu à croire qu’il faut éliminer les armes à feu dans les rues.
« Juste la semaine dernière, on a reçu trois patients tirés par balles, dont deux qui étaient très gravement blessés, qui ont nécessité des opérations pour être sauvés », a lancé le Dr Jeremy Grushka.
Dans le cadre de son travail de chirurgien en traumatologie à l’Hôpi-tal général de Montréal, il voit régulièrement des patients touchés par des balles, dont la vie est chamboulée à jamais. D’autres meurent.
Graves conséquences
Bien souvent, il s’agit de jeunes, « qui ont toute la vie devant eux », mais qui, pour un acte « stupide », se retrouvent hypothéqués.
« Ce sont des actes de violence qui ne devraient plus faire partie de notre société », a-t-il clamé.
Après avoir fait ses études et sa résidence à l’Université McGill, il est allé travailler à Miami, où plusieurs patients tombaient quotidiennement sous les balles.
« On a peur que ça devienne une réalité quotidienne pour nous, et je trouve ça si déprimant », a dit celui qui est de retour à Montréal depuis 2014.
Il déplore que la flambée de violence qui persiste perturbe le sentiment de sécurité de Montréalais.
« On a des gens ici qui se font tirer [dessus] en sortant des écoles, en sortant d’un restaurant ou en traversant la rue. On ne voit plus ça une fois par année, c’est continuel », s’est-il inquiété.
Selon le Dr Grushka, la façon la plus efficace et rapide de stopper l’hémorragie de la violence armée à Montréal serait de mieux encadrer le contrôle des armes à feu.
Une priorité
« On parle d’un objet avec lequel on peut enlever une vie en deux secondes », a-t-il insisté.
S’il s’implique auprès de la coalition de médecins qui militent contre la violence armée, c’est parce qu’il veut s’assurer que cet enjeu reste une priorité pour les gouvernements.
Certes, les armes à feu qui se retrouvent entre les mains des criminels proviennent généralement des États-Unis, selon des rapports policiers. Mais le Dr Grushka voit la problématique davantage sous un angle de santé publique.
« C’est quelque chose qui tue les gens, et qui arrive de plus en plus souvent. Ça doit être traité comme si on parle des cancers, des maladies cardiaques, des troubles neurologiques », a-t-il conclu.