Nos profs au bord de la crise de nerfs ?
Ils en ont lourd sur les épaules et certains ne sont pas bien soutenus, selon des experts
Les enseignants québécois sont-ils au bout du rouleau ? Chose certaine, ils en ont lourd sur les épaules et il faut mieux en prendre soin, affirment des experts contactés par Le Journal à la suite des cas d’agressions verbales révélés cette semaine.
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« Ce que j’observe, c’est de la souffrance et du mal-être chez un nombre appréciable d’enseignants», affirme d’entrée de jeu Simon Viviers, professeur à l’Université Laval.
«Il manque de mécanismes de prévention qui permettraient de faire descendre la pression et d’améliorer leur contexte de travail», ajoute celui qui s’intéresse aux enjeux de santé mentale chez le personnel scolaire.
À son avis, il faut analyser les comportements agressifs observés dans des écoles de manière globale - et non pas seulement individuelle - puisqu’ils sont le « symptôme » de problèmes plus large dans le réseau scolaire.
Avec l’augmentation des élèves à besoins particuliers et des troubles de comportements, qui survient dans un contexte de «pression» pour faire réussir les élèves, enseigner est «de plus en plus difficile», affirme M. Viviers.
«C’est un contexte difficile, qui est bien documenté depuis des années, mais sur lequel on n’agit pas beaucoup. Et avec la pénurie, la tension a monté pour tout le monde», dit-il.
Le manque de personnel force des enseignants à en faire encore plus, notamment en remplaçant des collègues absents ou en prêtant main-forte à ceux qui ne sont pas qualifiés, rappelle-t-il.
Le système scolaire fait porter beaucoup de responsabilités sur les épaules des profs, ajoute de son côté la présidente de la Fédération autonome de l’enseignement, Mélanie Hubert.
«Ça n’excuse pas les écarts de conduite, mais il faut faire en sorte que moins de gens soient susceptibles de déborder, en les mettant dans de meilleures conditions. Ce serait gagnant aussi pour les élèves», dit-elle.
L’histoire se répète
Claire Beaumont, titulaire de la Chaire de recherche sur le bien-être à l’école et la prévention de la violence, à l’Université Laval, constate aussi que «ce n’est vraiment pas facile dans les écoles ces temps-ci».
Les dérapages révélés cette semaine, des événements qui refont surface périodiquement, mettent à nouveau en lumière des lacunes de notre système scolaire qui peine à prendre soin de son personnel, ajoute-t-elle.
«L’histoire se répète. On va la répéter encore combien d’années avant d’agir pour faire arrêter ces situations et les prévenir, à long terme? Pour y arriver, il faut s’occuper du bien-être du personnel scolaire », dit-elle.
Depuis la mise en place d’un plan de lutte contre la violence et l’intimidation dans les écoles, en 2012, les mesures ont ciblé principalement la violence commise par les élèves, alors que celle commise par les adultes a été «très clairement» mise de côté, déplore Mme Beaumont.
Or il faut d’abord prendre soin des adultes pour qu’ils soient en mesure par la suite de bien prendre soin des enfants, plaide-t-elle.
Pour y arriver, il faut «dépoussiérer» ces plans de lutte à la violence pour y introduire des formations continues en milieu scolaire, afin de soutenir le personnel et l’aider à prévenir ce type de comportement.
Encore trop de violence
Les agressions verbales envers des élèves sont encore trop présentes dans nos écoles, ajoute Mme Beaumont.
Selon une vaste enquête réalisée entre 2013 et 2019, 15% des élèves du primaire et 20% des élèves du secondaire ont affirmé avoir subi de la violence verbale de la part d’adultes à l’école.
Il s’agissait le plus souvent de cris, de sacres, de regards méprisants ou d’insultes.
Il n’existe pas de données plus récentes, mais la situation pourrait même avoir été exacerbée par la pandémie, selon des enquêtes réalisées ailleurs dans le monde, avance-t-elle.
Contrairement à la violence commise par les élèves, les données montrent que la situation ne s’est pas améliorée au cours de cette période, indique Claire Beaumont, qui a dirigé cette étude.
«C’est trop. La situation n’est pas acceptable», affirme-t-elle.
Trois cas d’enseignants agressifs en une semaine
Trois cas d’enseignants qui ont tenu des propos agressifs et déplacés envers leurs élèves ont été rapportés dans les médias cette semaine, avec enregistrements audio à l’appui.
«Toi, écrase! Ton comportement m’énerve. Pis toi, aussi! J’en peux pu, de ça. C’est-tu clair? Toi, tes grimaces pis ton riage, la prochaine fois, tu es out. Pas d’avertissement.»
À Sainte-Marthe-sur-le-Lac, une enseignante a hurlé et terrorisé des élèves de première année, d’après des enregistrements captés par un parent durant trois jours. Des plaintes ont été déposées au service de police de Deux-Montagnes et des enquêtes sont en cours. Le directeur de l’école a été remplacé.
«Eille Ça va faire! Tabarnaik, on est écœurés! Ostie de tabarnack! Pas assez de l’avoir dit 15 fois, m’a te le redire 16 fois!»
À Saint-Roch-de-l’Achigan, l’an dernier, une professeure de français de deuxième secondaire a perdu les pédales en classe et a écopé de deux semaines de suspension. L’enquête a toutefois démontré que des élèves s’étaient ligués contre l’enseignante pour lui faire perdre patience et les jeunes impliqués ont aussi été réprimandés, a indiqué la Fédération des syndicats de l’enseignement.
«Ton ostie de face de fendante, garde-là pour toi! Parce qu’à fait dur pis à fait chier. Toi pareil, ostie. Dis-pas un câlisse de mot. Là, travaille ostie, pour une fois dans ta vie.»
À Montréal, un autre prof de deuxième secondaire de l’école Édouard-Montpetit secondaire a été suspendu pendant deux jours pour ces propos, en novembre, a rapporté le 98,5 FM. L’enseignant est toujours en poste.
- Avec l’Agence QMI
Le personnel scolaire appelé à prendre ses responsabilités
Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, appuyé par tous les partis d’opposition, devrait réitérer l’importance de la loyauté du personnel scolaire envers les élèves afin d’éviter que ce type de comportement ne se reproduise, affirme de son côté Jean Bernatchez, professeur en administration scolaire à l’Université du Québec à Rimouski.
Un adulte témoin de comportements déplacés de la part d’un collègue devrait pouvoir se sentir à l’aise d’intervenir «immédiatement» pour faire cesser ces comportements, comme n’importe qui peut le faire lorsque la santé ou la sécurité d’un enfant est menacé, dit-il. «Il faut envoyer un message clair, c’est juste le gros bon sens. Avec tous les problèmes de santé mentale et de surcharge de travail, ce n’est malheureusement pas exclu que ça se reproduise», affirme-t-il.