Projet de loi 23 en éducation: attention à ne pas aggraver la situation!
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Les problèmes dans le système d’éducation sont nombreux, nous le savons, mais quels sont ceux qui, actuellement, affectent dramatiquement notre capacité, comme société, à offrir à nos enfants et à nos concitoyens une éducation à la hauteur de nos aspirations collectives?
Pourquoi certains groupes d’élèves se retrouvent sans enseignant qualifié? Ou sans enseignant tout court? Pourquoi certains groupes d’élèves voient les enseignants se succéder les uns après les autres tout au long de leur année scolaire? Pourquoi les parents doivent-ils se tourner vers le privé pour obtenir des services d’aide pour leurs enfants?
Les recherches scientifiques le démontrent, les conditions d’exercice extrêmement difficiles, font fuir plus du quart des enseignants avant même qu’ils aient exercé pendant 5 ans, voire plus tôt. Les congés de maladie se multiplient et les plus âgés quittent avant l’âge de la retraite, usés par la pénibilité persistante de leurs conditions de travail. Les centres de services scolaires peinent à combler les postes de psychologues et de techniciens en service de garde, et les directions, devenues une courroie de transmission, commencent à déserter l'école publique pour le privé.
Santé mentale en péril
Les actions du ministre de l’Éducation devraient, de manière urgente, améliorer les conditions d’exercice des personnels scolaires. C’est une évidence. Or, c’est précisément l’inverse que la réforme qu’il propose risque d’engendrer. De fait, parmi les caractéristiques de l’environnement de travail reconnues pour mener à la dégradation de la santé mentale des personnels scolaires, leur absentéisme, leur intention de quitter, voire leur décrochage professionnel, on retrouve notamment le manque de reconnaissance, la faible latitude décisionnelle, les fortes demandes psychologiques et l’impossibilité de trouver un sens à son travail.
Tout indique que le projet de loi aggravera ces risques psychosociaux du travail alors même que ce même gouvernement a adopté, en 2021, un projet obligeant les organisations à prévenir ces mêmes risques.
Manque de reconnaissance: La création de l’Institut national d’excellence en éducation (INEÉ) et les mécanismes prévus pour orienter la formation continue du personnel enseignant traduisent un manque de reconnaissance et de confiance flagrant envers le professionnalisme des enseignants et des équipes-école.
Faible latitude décisionnelle: La création de l’INEÉ ouvre la voie à un empiètement majeur sur l’autonomie professionnelle des enseignants. De son propre aveu, le ministre, avec les pouvoirs que lui conférerait cette loi, pourrait vouloir imposer l’adoption de pratiques pédagogiques précises (reconnues « efficaces » par l’INEÉ) dans des écoles qui présentent des taux de réussite trop faibles pour lui.
Demandes psychologiques élevées et non-sens du travail: La réforme proposée, avec son « tableau de bord » de données visant à surveiller le parcours des élèves, viendra accentuer les mesures de reddition de compte déjà en place sur la réussite scolaire telle que mesurée par des évaluations chiffrées. Ces mesures mettent pourtant de la pression indue sur les enseignants alors qu’elles ne contrôlent pas les facteurs qui prédisent la réussite (p.ex., défavorisation sociale et économique, manque de moyens pour faire le travail, etc.). Réduire leur travail à de telles évaluations chiffrées risque fort, en outre, de contribuer au non-sens de l’exercice de leur métier.
Améliorer les conditions de travail
Bref, alors que le projet de loi 23 prétend, avec la création de l’INEÉ, vouloir mettre la Science au cœur des pratiques pédagogiques et gestionnaires qui s’appliquent en éducation, il fait fi des connaissances scientifiques disponibles sur les effets du type de mesures qu’il sous-tend.
Nous faisons appel à la lucidité des parlementaires: cette réforme risque de plonger le système d’éducation déjà fortement fragilisé dans une situation de crise sans précédent. Il est encore temps d’écarter ce projet de loi.
Dans la foulée, afin de baser les décisions collectives sur des « données probantes », nous invitons le ministre Drainville à profiter de la négociation actuelle des conventions collectives en éducation pour améliorer les conditions de travail de ceux qui s’occupent de transmettre à nos enfants au quotidien notre culture et les connaissances nécessaires pour favoriser leur développement intégral et celui de la société. Voilà le geste le plus urgent à poser pour répondre aux enjeux auxquels fait face notre système éducatif.
Simon Viviers, Ph.D., professeur, École de counseling et d’orientation, Université Laval
Nancy Goyette, Ph. D., professeure, Département de l’éducation, Université du Québec à Trois-Rivières
Mylène Leroux, Ph. D., professeure titulaire, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec en Outaouais
Jessica Riel, Ph. D., professeure titulaire, Département d’organisation et ressources humaines, École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal
Céline Chatigny, Ph.D, professeure titulaire retraitée, associée au Département d’éducation et formation spécialisées, Université du Québec à Montréal.
Geneviève Baril-Gingras, Ph.D., professeure titulaire, Département des relations industrielles, Université Laval
Frédéric Yvon, Ph.D., professeur, Département d’administration et fondements de l’éducation, Université de Montréal
Marie-France Maranda, Ph.D., professeure titulaire retraitée, École de counseling et d’orientation, Université Laval
Louise St-Arnaud, Ph.D., professeure titulaire, École de counseling et d’orientation, Université Laval
Angelo Soares, professeur titulaire, Département d’organisation et ressources humaines, École des sciences de la gestion, Université du Québec à Montréal
Jean-Noël Grenier, Ph.D., professeur titulaire, Département des relations industrielles, Université Laval
Vanessa Rémery, Ph.D., professeure, Département d’éducation et formation spécialisées, Université du Québec à Montréal.
Emmanuel Poirel, Ph.D. professeur, Département d’administration et fondements de l’éducation. Faculté des sciences de l’éducation. Université de Montréal
Catherine Le Capitaine, Ph.D., professeure titulaire, Département des relations industrielles, Université Laval