[EN IMAGES] Découvrez à quoi ressemblait la rue Saint-Vallier Ouest à Québec en 1940
La rue Saint-Vallier est une très ancienne artère de circulation et c’est autour d’elle que s’est toujours articulée la vie du quartier Saint-Sauveur. Elle le traverse d’est en ouest sur trois kilomètres. En 1940, quelques années avant le début de l’exode vers les banlieues, elle comptait près de 600 adresses dont environ le quart logeait des commerces. Le tramway empruntera une partie de son tracé. Dans le cadre de l’activité Le Printemps Saint-Sauveur, nous vous invitons à parcourir cette rue, à l’aube de la Deuxième Guerre mondiale.
Le Printemps Saint-Sauveur a pour but de mettre en valeur et de faire découvrir l’histoire et le patrimoine du quartier Saint-Sauveur, l’un des plus anciens de la capitale. L’événement se poursuit jusqu’au 18 juin. Pour consulter la programmation complète, cliquez ici.
1) Les origines de la rue Saint-Vallier
La rue Saint-Vallier est l’une des plus anciennes voies de communication de la ville de Québec. En effet, elle a été tracée dès le Régime français pour relier la capitale au village de Lorette, aujourd’hui L’Ancienne-Lorette, d’où son ancien toponyme de chemin de Lorette. C’est là que les Hurons-Wendats vont s’installer en 1673, avant de prendre la direction de la Jeune-Lorette en 1697, à Wendake, où on les retrouve toujours aujourd’hui. D’ailleurs, son parcours quelque peu zigzagant témoigne de son ancienneté.
Initialement, cette rue amorçait sa course dans le quartier du Palais et elle a été un tronçon du chemin du Roi qui permettait de se rendre jusqu’à Montréal. Dans le futur quartier Saint-Sauveur, entre les actuels boulevard Langelier et avenue Saint‐Sacrement, on lui donne son nom dès le XVIIIe siècle en souvenir de Mgr Jean-Baptiste de La Croix de Chevrières de Saint-Vallier, deuxième évêque de Québec. Depuis 1997, sa section est, qui court jusque dans Saint-Sauveur, a pris le nom de rue De Saint-Vallier, alors que sa section ouest est devenue, au XIXe siècle, le chemin de la Petite-Rivière, puis le boulevard Wilfrid-Hamel.
Au XIXe et au XXe siècle, la rue Saint-Vallier Ouest a constitué l’épine dorsale du quartier Saint-Sauveur qui se développe le long de son tracé. On y retrouvait les principales habitations et, au fil du temps, de nombreux commerces.
2) Les commerces d'alimentation
À l’instar de plusieurs autres quartiers, Saint-Sauveur avait son marché et sa halle Saint-Pierre depuis 1888. Celle-ci disparaît en 1945 à la suite d’un incendie. Par ailleurs, en 1940, le concept de supermarché n’existe pas encore à Québec. Il apparaîtra à la fin de cette décennie avec l’arrivée des magasins A&P (Atlantic & Pacific Store), puis Steinberg en 1953. On était à l’époque des épiceries de coin de rue, une appellation très évocatrice puisqu’on retrouvait ces commerces au coin de deux rues, l’entrée étant même percée à angle au coin du bâtiment. Le quartier Saint‐Sauveur ne faisait pas exception et on retrouvait beaucoup de ces commerces d’alimentation, et pas seulement au coin des rues.
Il n’y a jamais eu, sur la rue Saint-Vallier, d’épicerie mythique tel le J.A. Moisan de la rue Saint-Jean. Néanmoins, sur cette seule rue, les consommateurs avaient le choix entre 14 épiceries. Elles portaient généralement le nom de leur propriétaire, tels les Delisle & Langevin, Paquet, Pouliot ou Jobin. Seule L’Épicerie centrale se démarquait par sa raison sociale originale. On pouvait également s’approvisionner en viande et charcuteries à l’une des trois boucheries qui y avaient pignon sur rue, dont la célèbre W.E. Bégin. Enfin, pour les jours de fête ou simplement pour terminer le repas, rien de tel qu’une bonne pâtisserie provenant de La Pâtisserie de Luxe.
3) La mode
Les élégantes du quartier Saint-Sauveur n’étaient pas obligées de se rendre sur les rues Saint-Joseph ou Saint-Jean pour s’habiller puisqu’elles avaient l’embarras du choix sur la rue Saint-Vallier. On n’y retrouvait pas moins de six magasins de vêtements et accessoires féminins. La Maison Saidy ou La Robe de Québec évoqueront peut-être des souvenirs chez certaines. Les dames pouvaient également se rendre chez ceux qui s’annonçaient comme magasin de nouveautés. Il y en avait neuf, dont Télesphore Simard ou Gagnon & Frères. Quant à Léo Bernard et à Ovide Marceau, ils offraient de la fourrure aux mieux nanties.
Pour leur part, les hommes avaient beaucoup moins de choix puisqu’on n’y retrouvait que deux merceries, soit Marcellin Cardinal et le magasin Madden. En ce qui concerne la chaussure, deux options s’offraient aux acheteurs, soit Émile Labrecque et J.B. Lefebvre. Néanmoins, peu importe leur sexe ou leur âge, les consommateurs pouvaient se rendre à l’un des deux grands magasins bon marché très en vogue à l’époque, soit Kresge ou Woolworth.
Au cours des derniers mois, la rue Saint-Vallier a vu la fermeture d’un commerce mythique, celui de Mlle M.A. Verret. Il était en activité depuis près de 100 ans. On y vendait des vêtements et des... poissons rouges, rien de moins. Mademoiselle Marie-Anne Verret est décédée depuis fort longtemps, mais Thérèse Chabot Birou assurait la continuité depuis 70 ans, jusqu’à son propre décès. C’est la fin d’une époque.
4) Les soins de beauté
Saint-Sauveur était un quartier ouvrier et en 1940, la guerre venait de débuter. L’austérité était donc de mise, peut-être plus que dans d’autres quartiers de la ville. Les commerces dédiés aux soins corporels et de beauté étaient donc à peu près absents, si ce n’est ceux qui offraient des soins de base. C’est ainsi qu’on y dénombrait 14 salons de barbiers et 3 salons de coiffure pour dames. Il va sans dire qu’il ne s’agissait pas de grands salons à la mode et ils se trouvaient bien souvent à même la résidence de celui ou celle qui l’opérait. Les salons des hommes portaient le nom de leur propriétaire, alors que les dames faisaient preuve de plus d’imagination avec Le Salon de coiffure Régina ou Le Salon Spécial.
5) Les soins de santé
En ce début des années 1940, on retrouvait deux hôpitaux sur le territoire du quartier Saint-Sauveur, soit l’Hôpital général de Québec et l’Hôtel-Dieu-du-Sacré-Cœur. Cependant, ces hôpitaux étaient alors dédiés aux vieillards, aux enfants et aux épileptiques. En cas de besoins, les habitants du quartier devaient donc se tourner vers les autres hôpitaux de la ville qui étaient quand même nombreux. Néanmoins, s’ils voulaient consulter un médecin, plusieurs habitaient la rue Saint-Vallier et au moins neuf d’entre eux y avaient leur bureau où ils pouvaient recevoir leurs patients. Le plus célèbre d’entre eux est sans doute le docteur J.E. Bissonnette qui habitait une magnifique résidence de style victorien face au parc Durocher.
On pouvait également se procurer des médicaments à l’une des quatre pharmacies situées sur cette rue. Toutefois, on n’y retrouvait aucun dentiste, chiropraticien ou autre professionnel de la santé, si ce n’est le médecin vétérinaire Hector St-Amand.
6) Les restaurants et tavernes
Si on voulait aller manger à l’extérieur, sur la rue Saint-Vallier, on avait le choix entre dix restaurants. Aucun d’entre eux toutefois n’offrait de menu gastronomique. Les «fines gueules» devaient alors se déplacer en haute-ville. Il est toutefois intéressant de noter qu’un de ces établissements était un restaurant chinois, le Globe Café Lee Seto. Par ailleurs, on pouvait sans doute déguster un bon repas à l’Hôtel Saint-Malo. De nos jours, on retrouve toujours un établissement hôtelier à son emplacement, soit l’Hôtel du Nord situé en face de l’actuel Magasin Latulippe. Enfin, les hommes pouvaient également fréquenter l’une des cinq tavernes de cette rue ou l’un des quatre marchands de tabac pour avoir de quoi fumer à la suite d’un bon repas.
7) Le monde des affaires
Bien que Saint-Sauveur était un quartier ouvrier, le monde des affaires était quand même présent sur la rue Saint-Vallier. En effet, on y voyait des succursales de la Royal Bank, de la Banque Canadienne Nationale, de la Caisse d’économie Notre-Dame-de-Québec et de la Banque Nationale. De plus, un avocat et un notaire y avaient leur étude respective. On y retrouvait également un bureau de poste ainsi que deux comptoirs postaux. Enfin, l’Imprimerie Royale y servait sa clientèle, notamment d’affaires, et l’entrepreneur Komo Construction y avait pignon sur rue. Cette effervescence économique avait certainement été encouragée par l’ouverture, cette année-là, de l’Arsenal de Saint-Malo. Cette importante usine de munitions s’était installée dans les usines désaffectées du Canadian National Railway situé à proximité, à l’endroit où on retrouve aujourd’hui le Centre industriel Saint-Malo.
8) Les produits pétroliers
Dans le secteur de l’actuelle rue de Verdun, en plein quartier résidentiel, on retrouvait un véritable parc industriel pétrolier, et ce, avec tous les dangers inhérents. En effet, depuis le début des années 1930, on y dénombrait les nombreux réservoirs d’essence et de pétrole des compagnies Imperial Oil, Canadian Oil, Champlain Oil, Bérubé Oil et Quebec Power. De plus, sur le chemin de fer voisin se trouvaient toujours plusieurs wagons-citernes en attente d’être vidés.
En cette année 1940, les voisins craignaient toujours une catastrophe comme celle qui s’était produite dans la nuit du 20 octobre 1936. À la suite d’un court-circuit électrique, une explosion avait soufflé un entrepôt de la Canadian Oil de la rue Trudel, aujourd’hui la rue Oscar-Drouin. Huit autres déflagrations allaient suivre. Les habitants du quartier s’étaient réveillés en croyant qu’il s’agissait d’un tremblement de terre. L’intervention rapide des pompiers avait permis d’éviter le pire. Trois petits réservoirs de 500 gallons avaient explosé, et ce, à proximité de dix réservoirs de 12 000 gallons et plus, sans compter les wagons-citernes stationnés tout près. Les maisons du secteur avaient été très endommagées. On retrouvera des réservoirs d’essence à cet endroit jusqu’à la fin des années 1950.
9) Les cimetières
En 1854, la fabrique de la paroisse Saint-Roch achetait le terrain du juge Philippe Panet, situé sur le chemin de Lorette, pour y aménager son nouveau cimetière paroissial. En sortant de la ville, on voulait ainsi éviter de vivre de nouvelles épidémies. Jusque-là, les inhumations avaient eu lieu dans trois petits cimetières, dont le plus important se trouvait face à la chapelle de la Congrégation Notre-Dame de Jacques-Cartier de la rue Caron.
C’est le 3 juin 1855 qu’était béni le nouveau cimetière Saint-Charles. Dès le lendemain avait lieu une première inhumation. En 1858, on procédait à la translation des sépultures de Saint-Roch vers ce nouveau cimetière.
C'est l'architecte et ingénieur Charles Baillairgé qui a tracé le plan du cimetière Saint‐Charles en combinant un aménagement paysager mixte, à l'anglaise et à la française. Il y a d'ailleurs trouvé le site de son dernier repos qui est signalé par une très modeste pierre tombale. En 1866, la partie du cimetière Saint-Charles située au sud de la rue Saint-Vallier Ouest était concédée à la paroisse Saint-Sauveur pour devenir le «champ des morts» de cette communauté catholique. De nos jours, ces deux cimetières n'en forment plus qu'un seul qui s'étend même au nord-ouest du boulevard Wilfrid-Hamel.
Par ailleurs, probablement en raison de la présence de ces deux cimetières dans le secteur, on retrouvait sur la seule rue Saint-Vallier quatre marbriers qui produisaient essentiellement des monuments funéraires. Les maisons Delwaide & Goffin ainsi que Godin & Delisle étaient probablement les plus connues. Enfin, dans la même catégorie commerciale, J.B. Beaulieu et la réputée maison Sylvio Marceau offraient leurs services de pompes funèbres.
10) Les autres commerces
Outre les commerces et services énumérés précédemment, plusieurs autres types d’établissements étaient situés sur la rue Saint-Vallier. Ainsi, on pouvait y fréquenter une Commission des liqueurs, trois stations de services et mécaniques, de même qu’un locateur d’automobiles. Pour se divertir, les résidents pouvaient fréquenter le Théâtre Français pour y voir aussi bien du cinéma que des combats de boxe. Il était situé au coin de la rue Carillon. Ils pouvaient également s’amuser à la Salle de billard Gagnon ou se tenir en forme à la salle d’exercices d’Albert Michaud. D’autres commerçants y menaient leurs affaires comme le buandier chinois Soon Lee, le bijoutier Jules Robitaille, le menuisier Delphée Maranda ou le cordonnier Alphonse Lafrance. On y retrouvait quelques manufactures telles que le fabricant de vêtements Gardner Clothing Manufacturing, le manufacturier d’annonces lumineuses Modern Neon, ainsi qu’un fabricant de machines aratoires.
Enfin, en 1940, on était en mutation entre deux époques. C’est ce qui explique que la rue Saint-Vallier comptait également un marchand de charbon, un locateur de chevaux, un sellier et une forge. Et pour maintenir l’ordre dans ce petit monde en effervescence, les policiers du poste no 8 veillaient au grain. Avec la présence de tous ces commerçants à proximité de chez eux, les résidents de Saint-Sauveur auraient pu vivre sans jamais devoir quitter leur quartier.
Un texte de Jean-François Caron, historien, Société historique de Québec
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Pour avoir plus de détails sur la rue Saint-Vallier en 1940, voir: L’Annuaire Marcotte, Québec et Lévis, 1940-1941 (juillet 1940).