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Violence conjugale: un agent pour protéger chaque victime en Espagne

Des milliers de policiers espagnols au sein d’escouades spécialisées

Marta Fernandez Ulloa
Marta Fernández Ulloa est cheffe de l’Unité d’aide et de protection des femmes, mineurs et aînés à la Police municipale de Madrid. Photo Erika Aubin


MADRID, Espagne | Partout en Espagne, des milliers de policiers ont délaissé leur uniforme pour intégrer des escouades spéciales dédiées à la protection des victimes de violence conjugale et de leurs enfants.  

Juan Pablo Villarubia est l’un de ces «anges gardiens». Il compte parmi les 350 agents protecteurs de l’unité d’aide et de protection des femmes de la Police municipale de Madrid. 

Celui qui cumule plus de 20 ans d’expérience dans cette escouade spéciale ne porte ni uniforme ni arme «pour assurer une discrétion et l’intimité» des victimes, explique-t-il.

En Espagne, les femmes qui dénoncent un partenaire violent en portant plainte se voient attribuer un agent protecteur, qui va l’accompagner du début à la fin des procédures. De même, les policiers qui interviennent sur une scène de violence conjugale dirigent aussitôt la victime vers l’unité spécialisée.

Mesures extrêmes

Le rôle de ces agents est avant tout d’assurer la sécurité des femmes. Pour y parvenir, les policiers travaillent avec la plateforme informatique VioGén, pour violence de genre. L’algorithme détermine un niveau de risque, qui dicte les mesures de protection à instaurer pour une victime.   

« Le système a une valeur ajoutée : il évite la revictimisation et améliore la coordination. Si une femme déménage à Valence, l’agent protecteur qui lui sera attribué là-bas pourra consulter tout le travail fait avec elle sans qu’elle doive raconter son histoire à nouveau », explique Marta Fernández Ulloa, la cheffe de l’unité à Madrid. 

Marta Fernandez Ulloa
La policière Marta Fernandez Ulloa dans son bureau Photo Erika Aubin

Dans les cas extrêmes, les policiers vont surveiller le domicile de la victime 24 h sur 24. Le cas d’un homme en cavale après avoir agressé sa conjointe entrerait dans cette catégorie.  

« On peut aussi accompagner [les victimes] dans leur sortie pour aller porter les enfants à l’école. Même lorsque le risque est moyen, les agents vont passer devant le domicile pour s’assurer qu’elle va bien et que le maltraiteur ne rôde pas dans les parages », explique Juan Pablo Villarubia.

Marta Fernandez Ulloa
Juan Pablo Villarubia, agent protecteur au sein de l’Unité d’aide et de protection à la femme, les mineurs et les aînés à la Police municipale de Madrid, dans son bureau où il rencontre les victimes. Erika Aubin / JdeM

À tout moment, les victimes peuvent contacter leur agent protecteur. « Et s’il est en congé, quelqu’un d’autre de l’unité va s’occuper d’elle. Le service est toujours disponible », précise Marta Fernández Ulloa.  

 « On fait tout le chemin avec elles pour qu’elles sortent du cycle de la violence. Parfois, elles font un pas en avant et deux en arrière. Quand elles reculent, on doit être à leurs côtés, sans jugement. On sait à ce moment que le risque devient plus grand, donc on augmente la protection », explique la cheffe Ulloa, pour illustrer que le soutien des victimes est tout aussi important.

Marta Fernandez Ulloa
Le commissariat de la Police municipale de Madrid, sur le chemin de la Chopera, en Espagne Erika Aubin / JdeM

Dossier jamais fermé

La situation de chaque victime est réévaluée régulièrement par son agent, et les mesures de protection restent en place aussi longtemps qu’il y a un risque.   

« On ne ferme jamais le dossier complètement. Si un nouvel épisode de violence se produit avec le même conjoint ou un nouveau, ça restera le même agent qui s’occupera d’elle », précise M. Villarubia, qui gère une trentaine de dossiers à la fois.

En 2021, il y avait 2167 policiers faisant partie des escouades contre la violence sexiste et familiale partout en Espagne, selon des données du ministère de l’Intérieur. 

Un lien de confiance qui perdure entre la police et les femmes

Marta Fernandez Ulloa
Juan Pablo Villarubia, agent protecteur Photo Erika Aubin

Les agents des unités spéciales pour femmes offrent plus qu’une simple protection policière : ils développent avec des victimes de forts liens de confiance, qui peuvent se poursuivre pendant des années.     

«Je n’oublierai jamais cette phrase qu’il m’a dite : “Je crois en ta peur derrière ce que tu me racontes.”»    

Maria a fait la rencontre de son agent protecteur, Juan Pablo Villarubia, il y a plus d’un an quand elle a dénoncé son ex-mari. Le policier a changé sa vie, avoue sans détour la mère de quatre enfants, qui a demandé à taire son nom de famille pour sa sécurité.      

Pendant les six premiers mois du processus judiciaire, le juge n’a pas émis d’ordonnance d’éloignement dans son cas. « J’étais sans protection légale, mais Pablo, lui, il était là. Il m’appelait tous les jours pour s’assurer que tout allait bien », raconte la femme de 44 ans.    

Difficile d’y croire

«Nous avons besoin de ces agents en première ligne avec de la sensibilité et de l’éducation parce que même moi, en tant que victime, j’avais de la difficulté à croire que j’en étais une. Dans ma tête, la violence conjugale, c’était un bleu sous l’œil. Je n’étais même pas consciente de tout ce qui se passait», ajoute-t-elle.       

Elle compare le processus de dénonciation à un escalier: «Dès la première marche à monter, il était là et il me poussait à atteindre la prochaine», explique Maria en jetant un regard qui en dit long sur la complicité avec son agent.     

Eduardo Bonet Ribera, agent protecteur pour la Police locale de Valence, témoigne aussi du lien de confiance qui l’unit aux victimes: «Établir le premier contact est le plus difficile. Il faut gagner la confiance et l’amener à répondre au téléphone quand tu appelles, à se fier à tes conseils.» 

«Ça se transforme souvent en une relation de consultation pour toutes sortes de questions et pas seulement en lien avec la protection policière. Le contact peut durer des années», dit-il.  

Dénoncer grâce aux agents

Cinthia estime pour sa part que si elle a eu le courage de dénoncer son ex-conjoint il y a un an après un énième épisode de violence, c’est grâce au soutien des policiers ce soir-là.

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La Péruvienne Cinthia, qui a dénoncé son ex-conjoint en 2022, regarde par la fenêtre de son salon dans son petit appartement, en banlieue de Madrid. Erika Aubin / JdeM

«Je n’aurais pas déposé de plainte si [les policiers] n’avaient pas insisté, car il avait déjà fait bien pire et je ne l’avais pas dénoncé», confie la Madrilène d’origine péruvienne. 

Elle a accueilli Le Journal dans un petit appartement de Madrid qu’elle partage avec sa mère et une autre famille. Le logement est meublé du strict minimum et les murs frêles laissaient facilement entrer l’air froid. 

Elle se souvient qu’au commissariat de Madrid, avec le visage enflé par les coups et un œil bleu, ce soir-là, elle essayait de trouver des défaites pour partir. Les policiers ont été d’une patience légendaire, conte-t-elle avec émotion.   

«Je disais que j’avais faim ou encore que je devais retourner chez moi pour prendre une douche. Ils sont même venus chez moi et m’ont attendue en bas [pendant ma douche]», raconte la mère d’un enfant de 10 ans.  

À 2 h du matin, après qu’elle eut finalement déposé sa plainte, un juge a émis une ordonnance de protection. Son ex n’avait plus le droit de l’approcher à moins de 500 mètres d’ici le procès prévu dans les prochains mois.

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