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Le Québec en histoires: Maisonneuve et Jeanne Mance ont failli fonder Montréal sur l’île d’Orléans

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Il y a près de 400 ans, François Dollier de Casson, missionnaire sulpicien chargé de développer la Nouvelle-France, raconte dans ses écrits que l’idée de fonder une colonie sur l’île de Montréal a d’abord germé dans la tête d’un percepteur d’impôts en France, Jérôme Le Royer de la Dauversière. Ce dernier, après avoir lu les Relations des Jésuites, récits des missionnaires jésuites au Canada, et avoir vécu des épisodes de visions mystiques, est pris d’un puissant désir de fonder une mission chrétienne en Nouvelle-France, une sorte de nouvelle Jérusalem catholique en Amérique du Nord. 

Jérôme Le Royer de la Dauversière
Photo fournie par Religieuses hospitalières de Saint-Joseph/Domaine public
Jérôme Le Royer de la Dauversière

Profondément investi dans sa mission divine, Le Royer part alors en croisade pour convaincre d’autres croyants de financer son projet. À Paris, il fait la rencontre du prêtre Jean-Jacques Olier par l’entremise du baron de Fancamp. Ensemble, ils élaborent des plans pour acquérir l’île de Montréal et regroupent des notables influents et fortunés pour les aider dans leur aventure. En 1639, avec des amis de la Compagnie du Saint-Sacrement, Le Royer et Olier fondent la « Société de Notre-Dame de Montréal pour la conversion des Sauvages de la Nouvelle-France ». Leur organisme vise la création d’une nouvelle société chrétienne où pourraient cohabiter les colons français et les premiers peuples d’Amérique.

Sceau armorié de la Société de Notre-Dame de Montréal.
Photo Wikimedia Commons/Domaine publc
Sceau armorié de la Société de Notre-Dame de Montréal.

Pour diriger l’expédition, la société recrute un militaire, surtout reconnu pour sa grande ferveur religieuse, Paul de Chomedey de Maisonneuve. Inspirée par l’œuvre de Marie de l’Incarnation, fondatrice des Ursulines, Jeanne Mance se porte aussi volontaire pour servir Dieu en Nouvelle-France et mettre à profit sa formation d’infirmière. 

LA GRANDE TRAVERSÉE

En décembre 1640, la Société Notre-Dame réussit à acheter l’île de Montréal. L’aventure coloniale peut donc commencer. Dollier de Casson raconte avec précision la traversée. 

Au printemps de 1641, trois navires partent de La Rochelle et de Dieppe, en France, pour traverser l’océan Atlantique. Maisonneuve occupe un premier bateau avec 25 hommes et Jeanne Mance, accompagnée d’une douzaine de personnes, prend place dans un autre. Le bateau de Jeanne Mance arrive sans encombre à Québec, mais celui de Maisonneuve doit affronter de grosses tempêtes. Maisonneuve accoste donc beaucoup plus tard, à Tadoussac, mais parvient quand même à retrouver le reste de l’équipe à Québec. Les voyageurs sont accueillis avec joie. Quand on apprend qu’ils ne viennent pas pour s’établir à Québec, l’atmosphère devient moins chaleureuse. On ne comprend pas ce que cherchent au juste ces « fous de Dieu » en voulant fonder leur colonie sur l’île de Montréal, un territoire considéré alors par les colons de la Nouvelle-France comme l’endroit le plus dangereux au monde. 

MAISONNEUVE À QUÉBEC

Le groupe doit par contre passer l’hiver à Québec puisque la belle saison est trop avancée. Maisonneuve réussit tout de même à convaincre le gouverneur Huault de Montmagny de faire un voyage de reconnaissance avant les grands froids. 

Tout au long de cet hiver, le gouverneur Huault de Montmagny tentera de dissuader Maisonneuve et les membres de son expédition de s’installer sur l’île de Montréal pour créer leur mission d’évangélisation. Le prétexte invoqué : les Iroquois sont trop nombreux dans ce secteur et cela met la vie des colons à haut risque. Les missionnaires jésuites iront même jusqu’à qualifier le projet de « folle entreprise ».

Charles Huault de Montmagny
Photo Wikimedia Commons/Domaine publc
Charles Huault de Montmagny

LA DÉTERMINATION

Jeanne Mance et Maisonneuve ne se laissent pas décontenancer par cette décourageante pression. Dans une ultime tentative pour les retenir dans la région de Québec, le gouverneur Montmagny va même jusqu’à leur offrir l’île d’Orléans pour établir leur mission coloniale. Voilà une proposition plutôt alléchante qui aurait pu changer le cours de l’histoire... Mais Maisonneuve a la tête dure et refuse l’offre du gouverneur en lui disant : « Monsieur, ce que vous me dites serait bon si l’on m’avait envoyé pour délibérer et choisir un poste ; mais ayant déterminé par la compagnie qui m’envoie que j’irais au Montréal, il est de mon honneur, et vous trouverez bon que j’y monte pour commencer une colonie, quand tous les arbres de cette île se devraient changer en autant d’Iroquois. »

C’est dans ce contexte qu’une petite flotte de quatre embarcations (deux barques, une pinasse et une gabarre) quitte Québec en mai 1642 à destination de l’île de Montréal. Après Québec et Trois-Rivières, on souhaite ardemment fonder un troisième établissement colonial français dans la vallée du Saint-Laurent. 

Le gouverneur Montmagny et le père Vimont accompagnent le groupe d’une quarantaine de personnes qui viennent établir leur mission en pleine brousse laurentienne. Le 17 mai, ces « Montréalistes » débarquent donc sur l’île et s’installent sur une grande pointe de terre qui prendra plus tard le nom de Pointe-à-Callière.

Ce jour-là, le père Vimont célèbre une messe. Il prédit dans son discours un grand avenir pour la nouvelle colonie. Dès le lendemain, les Montréalistes entreprennent de construire des habitations en bois et en écorce ainsi qu’une barricade de pieux pour se protéger. Il faut dire que les habitants de Québec leur avaient répété qu’ils se feraient massacrer s’ils s’installaient à Montréal.

La témérité des premiers Montréalais, et surtout leur acharnement, leur a permis de s’enraciner sur l’île. Deux mois plus tard, fin juillet 1642, la petite mission d’évangélisation enregistre son premier baptême sur l’île de Montréal. Il s’agit de celui d’un Algonquin d’à peu près quatre ans, qu’on nommera Joseph. Cinq années plus tard, on célèbre un premier mariage. Jean Desroches unit sa destinée à la toute jeune Françoise Godé, arrivée à Ville-Marie à l’âge de 9 ans en 1642 avec sa famille. Leur premier fils sera considéré comme le premier enfant à survivre et à grandir à Ville-Marie. La première fille à y être née se nomme Jeanne Loysel. 

Extrait d’une publication du sulpicien François Dollier de Casson, qui raconte la fondation de Montréal en 1642.
Photo fournie par Bibliothèque Mazarine, Paris, France / vol. 1963, p.33-35
Extrait d’une publication du sulpicien François Dollier de Casson, qui raconte la fondation de Montréal en 1642.

Étant donné que la mortalité infantile fait alors bien des victimes, 16 ans passent avant qu’on puisse ouvrir une école et faire la classe aux jeunes Montréalais.

LA GRANDE MENACE

En décembre 1642, quelques jours avant la fête de Noël, le fleuve Saint-Laurent sort de son lit. L’eau menace tellement d’inonder le fragile fort français qu’on envisage de plier bagage, de fermer la colonie et de retourner à Québec.

Quand les eaux atteignent les barricades qui ceinturent le fort, Maisonneuve promet publiquement que si les eaux se retirent sans endommager les habitations, il se rendrait au sommet du mont Royal pour y planter une croix. Après quelques heures, son souhait est exaucé. L’eau finit par redescendre, sans dommages aux fragiles installations coloniales.

Maisonneuve tient parole. Dès janvier 1643, aidé d’une poignée de colons, il pose une croix en bois sur la montagne. Où exactement ? Personne n’est certain, probablement à proximité de l’actuel Collège de Montréal.  

Cette carte représente une vue en plongée de l’île de Montréal et du fort Ville-Marie. Elle a été créée par l’architecte-arpenteur Pierre-Louis Morin (1811-1886).
Photo fournie par Archives Ville de Montréal
Cette carte représente une vue en plongée de l’île de Montréal et du fort Ville-Marie. Elle a été créée par l’architecte-arpenteur Pierre-Louis Morin (1811-1886).

LA MISSION D’ÉVANGÉLISATION DES PREMIÈRES NATIONS

Les premières années de la mission sont prometteuses, mais avec le temps, le projet d’évangélisation connaît moins de succès qu’espéré. Par exemple, en 1643, on y célèbre 79 baptêmes, cinq mariages et deux enterrements d’autochtones convertis au catholicisme. Les membres des premiers peuples savent que leur conversion à la religion des Français leur confère le droit d’acheter des mousquets et des munitions. Par contre, en 1644, le gouverneur Montmagny émet une ordonnance pour interdire de fournir des armes à feu, par la vente ou le troc, aux Autochtones, même s’ils sont chrétiens. Ainsi, le nombre de baptêmes baisse de 50 % dans les années suivantes.

De plus, les dévots montréalais, qui croyaient pouvoir s’établir et vivre en paix en Amérique, se retrouvent perpétuellement en guerre contre les Iroquois. Ces conflits sanglants gangrènent l’implantation coloniale et la détournent lentement de sa mission première.  

Le nouvel établissement construit sur l’île de Montréal est consacré à la Vierge et baptisé Ville-Marie. Une dizaine d’années plus tard, le nom de Montréal s’impose.
Photo tirée de BAC 1967-49-3, Donald Kenneth Anderson, 1965
Le nouvel établissement construit sur l’île de Montréal est consacré à la Vierge et baptisé Ville-Marie. Une dizaine d’années plus tard, le nom de Montréal s’impose.

LA FONDATION

Retenons le 17 mai 1642 comme la date de fondation de Ville-Marie sur l’île de Montréal. Une ville créée par un homme déterminé, Paul Chomedey de Maisonneuve, et une femme d’exception, Jeanne Mance, première Européenne à fouler le sol de l’île de Montréal et, possiblement, première infirmière laïque au Nouveau Monde. Toutefois, n’oublions jamais que l’île de Montréal a été habitée et était fréquentée par les Premières Nations depuis des milliers d’années auparavant. 

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