Non, Albert, ta chronique n’était pas bidon
«J’ose encore espérer qu’il en ira tout autrement et que cette longue chronique deviendra bidon lors d’une annonce surprise. Je m’en accommoderais fort aisément et avec le sourire. Je ne me berce toutefois pas d’illusions.»
Voici ce qu’a écrit dans nos pages mon regretté collègue Albert Ladouceur le 2 juillet 2013, concernant le retour des Nordiques à Québec.
Sans se réjouir, il doit avoir un sourire en coin au paradis. Il avait tout prévu ça, pas seulement à court terme, vous le constaterez. C’est fou.
Il faut se ramener à l’été 2013. Même ceux qui étaient les plus cyniques concernant un retour des Nordiques commençaient à ravaler tranquillement leurs paroles.
Deux ans avant, des dizaines de milliers de personnes avaient participé à la Marche Bleue.
En 2013, le Centre Vidéotron était en pleine construction.
- Écoutez Jean-Nicolas Blanchet à l’émission de Richard Martineau via QUB radio :
Vegas n’était pas proche
Pendant ce temps-là, on ne parlait presque pas de Vegas, où il n’y avait même pas d’aréna en construction. Seattle était à peine évoquée.
En 2013, c’était même deux ans avant que Québec participe au processus d’expansion, où le rêve a pris beaucoup du galon.
Non seulement l’espoir était dans le piton quand Albert a écrit sa chronique, mais il l’était encore plus dans les années qui ont suivi avant que tout s’effondre brutalement avec l’annonce que Vegas obtenait le club d’expansion en 2016.
Vous connaissez la suite pour Albert. Quelques semaines après cette chronique, il a appris qu’il était atteint d’un cancer et en 2015, il était parti, à seulement 63 ans, causant un gigantesque vide au Journal.
Depuis, Seattle a eu son club et les Coyotes jouent dans un aréna de 5000 places. Même qu’on a failli cette année avoir une finale de l’Ouest cette année entre les deux équipes d’expansion qui ont passé avant Québec: Vegas et Seattle, comme pour tourner le fer dans la plaie.
Ça faisait deux ans que je travaillais au Journal quand Albert a écrit cette chronique.
C’était un modèle depuis le secondaire. Je l’appelais souvent pour des questions sur le journalisme.
Le Kool-Aid bleu
Et là, il voyait que j’avais bu le Kool-Aid du retour des Nordiques et que je prévoyais quasiment déjà mon budget pour un billet de saison.
Il a découpé cet article, a signé à: «À mon ami Jean-Nic, fidèle lecteur», avec sa signature et un bonhomme sourire.
Et il l’a déposé sur mon clavier pour me taquiner. Je l’ai accroché dans mon bureau et je ne l’ai jamais enlevé. Elle a un peu jauni, comme vous pouvez le voir sur la photo.
Il savait très bien que son texte n’allait pas mettre beaucoup de bonheur dans mon cœur.
Albert était bien au-dessus de l’orgueil, de l’amertume ou de l’image. Il se détachait de tout ça. Il était lucide.
Dans les faits, Albert était le premier à souhaiter le retour des Nordiques. Il aurait voulu espérer comme tout le monde, mais ce n’était pas le cas. Il savait ce qui s’en venait.
Ça se joue plus haut
Selon lui, la passion du hockey à Québec et notre capacité de remplir l’aréna n’avaient aucune influence. Ça se jouait beaucoup plus haut et on était perdants.
«Québec perdra à cause de l’alliance puissante des entreprises rivales de Québecor dans les hautes sphères de la finance et de la Ligue nationale, où plusieurs d’entre elles ont déjà leurs entrées. Ça rendrait l’échec encore plus amer, parce que le désir d’une population n’aurait pas pesé dans la balance», écrivait-il.
Il parle donc de la concurrence livrée par Bell, comme se livraient Molson et O’Keefe dans les années 80. Il rappelle que la présence de Bell avec le CH et les Maple Leafs donne beaucoup d’influence à l’entreprise auprès de Gary Bettman.
Concernent le retour des Jets (qui a eu lieu en 2011), il rappelait qu’«il faudrait se mettre la tête dans le sable pour ignorer le pouvoir et l’influence exercés par David Thomson [l’un des 25 hommes les plus riches du monde en 2022, selon Forbes] et ses alliés». Thompson est copropriétaire des Jets.
Et Molson?
Et concernant la famille Molson, Albert rappelait à l’époque que «les Molson ne peuvent pas aller contre le désir de la population de Québec» d’avoir une équipe. Geoff Molson martèle d’ailleurs chaque fois qu’il est questionné à quel point il souhaite le retour de Québec dans la LNH.
Mais que dans les coulisses «ça risque fort de prendre une autre direction», écrivait Albert.
«Pourquoi la famille Molson laisserait-elle un rival comme les Nordiques s’accaparer une part de son marché, peu importe le pourcentage? Elle protège logiquement ses intérêts. Le Canadien offre un produit unique dans le domaine du divertissement au Québec. Depuis le départ des Bleus en 1995, il est devenu une puissance économique, une des organisations les plus rentables de la LNH. Il a conquis la jeunesse», ajoutait le chroniqueur.
Il ne faut pas présumer de la mauvaise foi. C’est ce que les Nordiques avaient fait en 1979 quand il était question d’amener Québec dans la LNH.
Comme le rappelle l’écrivain expert de l’histoire des Nordiques Benoit Clairoux, Jean Béliveau s’était rendu à Québec pour dire aux gens que le Canadien allait voter pour l’arrivée des Nordiques dans la LNH. Les plus vieux sont bien au courant de la suite et n’ont jamais pardonné au Canadien, qui a voté contre.
C’est l’un des plus tristes et choquants moments de l’histoire du hockey au Québec. Après un boycottage de la bière Molson par Québec, tout s’est finalement réglé, mais non sans laisser des cicatrices chez les plus vieux qui s’en souviennent comme si c’était hier.
Albert a aussi évoqué le lobbying de la famille Desmarais, qui a des liens avec Gary Bettman.
«Pour le moral des amateurs de hockey rêvant au retour des Nordiques, la pilule s’avalerait plus facilement si les Coyotes restaient dans le désert, bien que cela n’ait aucun sens, plutôt que de déménager dans une ville comme Seattle, qui ne possède actuellement aucun des atouts de Québec.»
Découragements
Eh bien, Albert, depuis ta mort, non seulement les Coyotes sont restés dans le désert, mais ils jouent dans un petit aréna de hockey junior. Et Vegas et Seattle ont un club, mais pas nous.
On est découragés, Albert, me semble qu’on vaut mieux que ça.
Notre tante de Laval et notre beau-frère de Châteauguay nous ont appelés la semaine passée en nous parlant des Coyotes, pour nous dire que peut-être qu’enfin on va avoir notre équipe.
Mais nous à Québec, ça ne nous emballe pas pantoute. On est tannés de se faire niaiser, d’être déçus et de ne pas être à la hauteur même si on a tout fait ce qu’il fallait.
Dans le fond, on se dit que tout ça était arrangé et qu’on mérite de se refaire déranger quand on sentira qu’on ne se fait pas ridiculiser.
Cliquez ici pour lire la chronique complète d’Albert du 2 juillet 2013.