Mon souper à La Troïka avec Oleg Petrov et sa femme Natasha en 1993
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C’est un dossier fascinant qu’a préparé Jean-Nicolas Blanchet sur les drames qui semblent s’abattre sur des dizaines de hockeyeurs russes. Incluant Matvei Michkov, celui qui pourrait être l’as caché dans la reconstruction espérée du Canadien.
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Ce qui m’apparait encore plus important dans ce dossier, c’est que mon confrère n’a jamais oublié la personne, l’humain, dans les rapports tortueux des Soviétiques et des Russes avec le hockey.
Ils ne s’appellent pas Tremblay, Simard, Smith ou Forsberg mais ils sont des hommes sensibles et soumis à des pressions qui feraient craquer n’importe quel conseiller municipal.
Ces hommes, j’ai appris à les connaître et pour être franc, certains sont devenus des amis. Même s’ils étaient des méchants Russes. Mais entrer dans leur univers n’a jamais été simple...
Oleg Petrov et la mafia russe
L’omniprésence de la mafia russe après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique, c’est en décembre 1993, au restaurant La Troïka, que j’en ai pris conscience. Trente ans ont passé, je peux donc dévoiler les détails secrets de cette histoire.
Je mangeais avec Oleg Petrov du Canadien et Natasha, sa jeune femme, pour écrire un reportage sur le temps des Fêtes en Russie. Ils sont orthodoxes et fêtent le 6 janvier.
Petrov ne parlait pas anglais et on s’était retrouvés avec mon vieux pote Richard Chartier... et surtout sa femme Elena Botchorichvili qui avait été journaliste en Union soviétique au quotidien Le Sport Soviétique. C’est la même Elena qui est devenue une grande romancière publiée en Europe comme en Amérique.
Au dessert, j’avais demandé à Petrov s’il comptait retourner en Russie pendant l’été. Il avait hésité avant de répondre. Et c’est alors qu’Elena, ancienne journaliste, avait vite saisi l’histoire. Oleg lui avait raconté comment la mafia russe rançonnait les joueurs en Amérique en menaçant les familles restées en Russie. Une histoire fascinante... et Petrov avait donné des noms à la condition qu’il soit protégé.
L’aide du New York Times... et d’autres
Mais comment sortir l’histoire sans que les parents de Petrov ne payent le prix? Le lendemain, j’avais appelé mes amis du temps du beat de hockey. Joe LaPointe au New York Times, Ellen Elliott au Los Angeles Times et Alan Abel au Globe à Toronto. Je leur avais raconté l’histoire de Petrov. En leur demandant d’enquêter sur les joueurs russes des Rangers, des Devils et des Islanders à New York, des Kings à L.A et des Maple Leafs à Toronto. On mettrait ensemble les informations dénichées et on pourrait ainsi brouiller les pistes. La seule condition étant que le deuxième paragraphe dans le NY Times, le LA Times et le Globe soulignent qu’ «according to a story in Montreal paper...». Moi-même, à Montréal, j’avais écrit l’histoire de Slava Fetisov des Devils qui payait un montant d’argent à la mafia russe pour qu’elle laisse ses parents tranquilles. Joe LaPointe m’avait refilé les infos. Oleg Petrov s’était retrouvé dans le Los Angeles Times et comme les quatre journaux avaient publié le même jour, il était impossible de faire le lien avec la source.
Dans les mois qui ont suivi, tout a éclaté. Le FBI s’en est mêlé aux États-Unis et le SCRS au Canada et les histoires avaient déboulé. Comme celle des Red Wings de Detroit qui avaient attendu pour annoncer la signature d’un gros contrat avec Igor Larionov que toute sa famille soit rendue aux États-Unis ou de l’échange de Pavel Bure de Vancouver à Miami. Regardez sur une carte quelle est la ville la plus éloignée de Vancouver en Amérique du Nord.
De belles personnes
Je ne m’étendrai pas sur des affaires que vous avez déjà lues. Comment Vladislav Tretiak, même dans les plus grandes années du Parti communiste à Moscou, était la gentillesse incarnée. Comment il est devenu un ami véritable au fil des décennies. Comment je l’ai retrouvé avec plaisir dans son bureau de président de la Fédération russe de hockey il y a quatre ans lors d’une série de reportages.
Je veux revenir sur un paragraphe des textes de Blanchet. Quand il écrit sur l’état d’âme du jeune Matvei Michkov depuis la mort de son père. C’est en plein sur la cible. Ce ne sont pas des méchants Russes. Ce sont des hommes (et des femmes) qui vivent dans une société différente. Ils aiment Tchaïkovsky, Tolstoï, le vin rouge géorgien et les groupes pop russes. Mais ils ont Vladimir Poutine comme président, pas Justin Trudeau comme premier ministre. Mettons que ça change les perspectives.
Mais je veux vous donner un dernier exemple pour bien faire comprendre. Dans ma dernière tournée en Russie, je me suis retrouvé dans les grands bureaux de la KHL au cœur de Moscou.
En entrevue avec Valeri Kamensky, le vice-président marketing et développement de la KHL.
Pensez-vous que c’était guindé? Que je sentais l’œil de la police sur nous?
Pantoute. Kamensky, je l’avais connu quand il jouait avec les Nordiques de Québec. La rumeur veut même qu’il ait été forcé d’essayer d’obtenir un visa pour un mafieux. C’était justement dans les années d’Oleg Petrov.
Mais on a parlé de hockey, c’est évident. De la KHL, c’est aussi évident. Mais également de Marcel Aubut et de ses extravagances avec les Nordiques, de sa maison dans le New Jersey, pas loin de New York et de sa résidence en Floride à West Palm Beach.
Kamensky était le même homme souriant qu’il était avec Claude Cadorette et Albert Ladouceur qui couvraient les Nordiques. On a reconnecté ben raide.
Mais là, y se passe quoi? Est-ce que Kamensky est devenu un méchant parce que Vladimir Poutine a décidé d’envahir l’Ukraine pour des raisons bien mystérieuses? A-t-il perdu sa maison en Floride? Et celle au New Jersey? Et comment vit-il cette situation de guerre avec ses amis aux États-Unis?
Et si je composais son numéro de portable, est-ce qu’il répondrait?
Et Vladislav Tretiak? Répond-il à l’appel quand on tente de le joindre du Canada?
Lisez attentivement les textes de Blanchet, c’est toute cette tension humaine qui les sous-tend...
Fascinant.