Qui l’intelligence artificielle va-t-elle remplacer au boulot?
L'automatisation concerne les professionnels et plus seulement la fabrication
Coup d'oeil sur cet article
Depuis que ChatGPT est devenu accessible à tous, la crainte de voir l’intelligence artificielle (IA) remplacer nos emplois se manifeste partout. Mais le scénario du grand remplacement n’apparaît plus tellement plausible aux yeux des experts, qui voient cependant l’IA transformer la quasi-totalité des emplois.
«On a eu récemment des études alarmistes qui disaient que 70% des emplois pourraient disparaître. Je suis sceptique, mais il ne faut pas être naïf non plus. Toutes les vagues technologiques entraînent des changements structurels et il y aura des impacts qui vont changer la nature des emplois», analyse le professeur adjoint au département des ressources humaines de HEC, Xavier Parent-Rocheleau.
L’avènement de l’électricité, celui du véhicule à moteur ou de l’Internet ont profondément changé le monde du travail, comme l’IA est appelée à le faire. Mais cette nouvelle vague frappe de front une catégorie de travailleurs différents: les professionnels.
«Dans les vagues précédentes, les gens moins qualifiés étaient plus à risque. L’intelligence artificielle, elle, a un impact très important sur la tâche des médecins et des juristes, par exemple. Et si les outils se perfectionnent, il pourrait y avoir moins de demandes pour certains professionnels», souligne M. Parent-Rocheleau.
- Écoutez l'entrevue avec Valérie Pisano, présidente et chef de la direction de MILA avec Philippe-Vincent Foisy via QUB radio :
Les professionnels happés par la vague
Longtemps, l’automatisation des tâches a été associée au secteur manufacturier, mais elle entre maintenant dans des professions comme la comptabilité, la programmation informatique ou même la gestion des ressources humaines. Elle sert à calculer, synthétiser, ou même à sélectionner des candidats à un emploi, si bien qu’on peut faire le même travail avec moins d’employés. De mars 2022 à mars 2023, le nombre de professionnels sans emploi a augmenté de 150 000 aux États-Unis, selon le groupe de recherche Employ America.
«L’utilisation de l’intelligence artificielle a augmenté de 300% depuis quatre ou cinq ans. C’est l’accélération de l’adoption qui fait un peu peur et qui bouscule», observe le sociologue du travail Mircea Vultur, professeur à l’Institut national de recherche scientifique.
Comme à l’Institut économique de Montréal (IEDM), M. Vultur voit dans la révolution de l’IA une destruction créatrice. Il y aura des disparitions et des créations d’emplois, difficiles à prévoir tant les avancées sont rapides.
«Chaque heure travaillée aura une productivité augmentée et l’impact sera bénéfique pour l’ensemble de la société parce que plus de productivité, c’est plus de produits et possiblement de plus faibles coûts, donc l’ensemble des consommateurs vont en profiter», croit Gabriel Giguère, analyste des politiques publiques à l’IEDM.
Dangers
Il faut toutefois se méfier des intérêts économiques derrière l’IA, estime le professeur Parent-Rocheleau de HEC.
«La conjoncture économique est donnée comme raison d’accélérer l’automatisation, mais dans 10 ans, la pénurie de main-d’œuvre sera derrière et on pourrait avoir beaucoup de chômage. Je crois qu’il faut se méfier de l’automatisation tous azimuts», dit-il.
Les inégalités sociales risquent d’augmenter avec l’IA, qui fera des gagnants et des perdants. S’il demeure possible qu’une technologie crée plus d’emplois qu’elle n’en fait disparaître, il y aura forcément des déqualifications et donc des drames humains.
«Maintenant, le vrai danger avec l’IA n’est pas tant le remplacement des emplois. Il faut s’assurer que les humains restent autonomes et responsables dans l’utilisation de l’outil, donc qu’ils développent la capacité à contester ses recommandations», considère le professeur Parent-Rocheleau.
La compétence la plus importante à développer? Le jugement. Car se fier bêtement à l’outil mènerait au désastre: il n’a pas toujours raison, loin de là!
Des emplois à risque
Tous les experts s’entendent sur l’impossibilité de prévoir précisément les emplois qui vont disparaître et ceux qui pourraient être créés par l’intelligence artificielle. Le développement avance si vite que prédire est probablement se tromper.
Pensez aux chauffeurs de camions et d’autobus qu’on pensait voir disparaître avec les véhicules autonomes.
«On n’en entend plus parler et il y a ralentissement des investissements dans ce secteur», observe Xavier Parent-Rocheleau, professeur adjoint au département des ressources humaines de HEC.
D’autre part, les emplois qui comportent plusieurs tâches automatisables comportent aussi un volet relationnel et des aspects décisionnels qui nécessitent l’intelligence humaine.
Mais voici quelques secteurs où les travailleurs devront de plus en plus travailler en collaboration avec l’intelligence artificielle ou être parfois remplacés partiellement par elle.
- Informatique: codeurs, programmeurs, analystes de données
- Médias: créateurs de contenu, marketing, journalistes, traducteurs
- Juridique: techniciens juridiques, recherchistes
- Commerce de détail: caissiers, service à la clientèle
- Finance et assurance: comptabilité, analyste de données, service à la clientèle
- Ressources humaines: recruteurs
Des professions qui nécessiteront encore beaucoup de capital humain comportent souvent un volet physique:
- Santé : infirmières, inhalothérapeutes, travailleurs sociaux, etc.
- Policiers
- Construction
- Tourisme et loisirs