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L’Institut national d’excellence en éducation: une réflexion collective est nécessaire

Blur and selective focus of the university student using computer studying in computer room. Group of students in study in computers room. Serious students working on computer at university.
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Promouvoir l'excellence de l'école québécoise est tout à fait louable. Il est ainsi indiqué que dans ses fonctions, l’Institut national d’excellence en éducation (INEE) dressera et maintiendra à jour une synthèse des connaissances scientifiques disponibles concernant la réussite éducative et le bien-être des élèves.  

Il s’agit là d’une visée ambitieuse sachant que la réussite éducative englobe à la fois la réussite scolaire, dont le développement des compétences disciplinaires et l’apprentissage des savoirs dits scolaires, et le développement global de l’élève aux plans social et professionnel. La prise en compte de connaissances scientifiques issues de travaux diversifiés sur la réussite au primaire, au secondaire et à l’éducation aux adultes, selon les différents parcours de formation est alors essentielle.  

Les recherches en éducation ne sont cependant pas un bloc monolithique, nombreux sont les objets de recherche et nombreuses sont les perspectives qui peuvent elles-mêmes étudier un même objet. Chaque perspective contribue ainsi à mieux comprendre les parcours d’expression de la réussite éducative, définir des conditions différenciées de développement de cette réussite en mettant aussi de l’avant l’importance de l’étude des conditions d’exercice de la profession enseignante. Or le risque est fort de ne choisir que quelques types de recherches en donnant l’impression qu’il y a consensus au sein de la diversité des recherches en éducation.  

Les recherches 

Depuis plus de 10 ans, nous avons constaté que les décisions ministérielles de gestion des services pédagogiques s’appuient sur une mince partie des recherches en éducation, ignorant tout le pan des recherches en enseignement-apprentissage des disciplines. Ainsi, les façons de concevoir ce qu’est « apprendre », « enseigner » et « réussir » ne sont ni explicitées, ni discutées. Les observations et analyses de plusieurs membres de la communauté des didacticiens des mathématiques ont d’ailleurs déjà soulevé cette problématique majeure.  

On donne alors l’impression qu’un modèle d’enseignement se fait garant des apprentissages dans quelque discipline que ce soit et qu’il est applicable pour tout savoir, occultant du même souffle, deux aspects importants : la réflexion nécessaire sur les visées de chaque discipline à mettre en relation avec le développement de la personne en devenir dans les classes du Québec et l’évolution nécessaire des attentes due aux transformations mêmes de notre monde. 

Il paraît clair que, chez les chercheurs en éducation, les conceptions qui sont aux fondements de l’enseignement-apprentissage ne font pas consensus en tout et sur tout. Plutôt que de viser un discours dogmatique sur l’éducation, notre communauté privilégie la mise en lumière des zones de dissensus pour aider à cerner les spécificités des apprentissages, notamment sous un regard disciplinaire, et ainsi garder le cap sur les orientations générales de l’école québécoise, lesquelles devraient... faire consensus !  

Il s’agit ici de promouvoir une culture de l’incertitude chez les professionnels du milieu de l’éducation, une culture qui permet de reconnaître ce qui semble porteur et qui nécessite d’être particularisé selon les spécificités de la classe, du milieu, des outils, du temps dont on dispose et des intentions pédagogiques. Des articles et échanges tendus sur l’usage de « données probantes » en éducation, à ne pas confondre avec « résultats issus de recherches », illustrent bien cette importance de faire preuve de nuances et de reconnaître l’ingéniosité dont devrait faire preuve la personne enseignante dans les choix qu’elle fait.  

Les pratiques 

Ainsi, lorsqu’il est mentionné dans le projet de loi que l’INEE identifiera les « meilleures pratiques », nous nous questionnons. Parle-t-on de pratiques d’enseignement? Si oui, comment la spécificité de l’apprentissage et de l’enseignement de chaque discipline sera-t-elle prise en compte? Il est d’autant plus important de répondre à ces questions que les articles suivants du projet de loi semblent découler de l’identification de ces « meilleures pratiques ».  

Il est question de mise en forme de recommandations, d’accompagnement à la mise en œuvre de ces recommandations, de la formation du personnel, de la définition des compétences professionnelles des enseignants et de la reconnaissance du contenu de la formation continue. Ces dimensions contribuent grandement à la définition même de l’école, d’où les impacts majeurs des prises de position de l’INEE sur les élèves, les enseignants, les formateurs d’enseignants, etc. 

Conseil d’administration 

On pourrait penser que la prise en compte des différentes perspectives sera garantie par la variété des profils des membres du conseil d’administration. Néanmoins, le conseil d’administration de l’INEE, responsable de formuler les recommandations qui devront être mises en œuvre (qui ressemblent d’ailleurs plus à des injonctions qu’à des recommandations puisque la nécessité de leur mise en œuvre est tenue pour acquise), sera composé de seulement 9 membres dont un président et un président directeur général pour lesquels il n’y a aucune restriction sur le champ d’expertise. Ces personnes en position d’influence, même si elles sont bien intentionnées, pourraient donc n’avoir que très peu de connaissances sur les visées et les réalités de l’école québécoise et sur les différents domaines de recherche pouvant éclairer les enjeux d’apprentissage et d’enseignement dans le contexte qui lui est propre. Parmi les 7 autres membres, seule une personne professeure universitaire siègera sur le CA. Comment une seule personne ayant une position de chercheur-formateur (du moins on l’imagine puisqu’en fait on parle d’un professeur d’université sans aucune autre précision) pourrait à elle seule être porte-parole de l’ensemble des voix, parfois dissonantes, des chercheurs-formateurs du Québec?  

Nous sommes inquiets, non pas pour la didactique des mathématiques comme domaine de recherche puisque la pertinence et la richesse de nos travaux est reconnue internationalement, mais pour l’école québécoise qui, à travers ce projet d’INEE, risque fortement de ne pas bénéficier de cette richesse.  

Nous percevons des écueils de ce projet qui pourrait devenir une manière d’uniformiser les pratiques en nuisant aux initiatives créatives et innovantes de notre communauté de chercheurs, formateurs et enseignants de mathématiques. Considérant le fort impact qu’aurait l’INEE sur l’éducation au Québec, nous demandons qu’un travail de fond soit d’abord réalisé afin d’y revoir en profondeur le mandat en commençant, de façon urgente, par définir les visées d’« excellence » et ses modalités de fonctionnement.  

Mélanie Tremblay, professeure-chercheure didactique et orthopédagogie des mathématiques UQAR-campus Lévis  

Valériane Passaro, professeure-chercheure didactique des mathématiques UQAM 

Autres signataires 

Geneviève Barabé, professeure, Université de Montréal

Mathieu Thibault, professeur, UQO

Laurie Bergeron, professeure, UQAM

Marie Luquette, chargée de cours, Université de Montréal

Fabienne Venant, professeure, UQAM

Sabrina Héroux, chargée de cours, UQTR & Université de Montréal

Izabella Oliveira, professeure, Université Laval

David Benoit, professeur, Université du Québec en Outaouais

Hassane Squalli, professeur, Université de Sherbrooke

Jean-François Maheux, professeur, UQAM

Laurent Theis, professeur, Université de Sherbrooke

Jean-François Gagné, professeur-invité, UQAM

Annie Savard, professeure, Université McGill

Lacina Dofini, étudiant à la maîtrise, UQAC

Mireille Saboya, professeure, UQAM

Souleymane Barry, UQAC

Frédéric Prud’homme, conseiller pédagogique au secondaire, CSSMB

Caroline Lajoie, professeure, UQAM

Virginie Robert, professeure, Université Laval

Marianne Homier, doctorante, Université de Sherbrooke

Marie-Frédérick St-Cyr, doctorante, Université du Québec à Montréal

Analia Bergé, professeure, Université du Québec à Rimouski

Patricia Marchand, Université de Sherbrooke

Anik Ste-Marie, professeure, Université du Québec à Montréal

Martin Roy, conseiller pédagogique, CSS des Samares

Marilyn Dupuis Brouillette, professeure, Université du Québec à Rimouski

Caroline Damboise, professeure, Université du Québec à Rimouski

Fernando Hitt, professeur, Université du Québec à Montréal.

Patricia Falappa, chargée de cours, Université de Sherbrooke

Elena Polotskaia, professeur, Université du Québec en Outaouais

Jeanne Koudogbo, professeure, Université de Sherbrooke

Marie-Pier Morin, professeure, Université de Sherbrooke

Stéfanie Neyron, conseillère pédagogique au secondaire, CSSMB

Anne Roy, professeure, Université du Québec à Trois-Rivières

Sandrine Michot, étudiante au doctorat, UQAM

Helena Boublil, professeure, ULaval

Nathalie Anwandter Cuellar, professeure, Université du Québec en Outaouais

Eva Knoll, professeure, UQAM

Jeanne Bilodeau, professeure, UQTR

Virginie Houle, professeure, Université du Québec à Montréal

Caroline Bisson, chargée de cours, Université de Sherbrooke

Miranda Rioux, professeure, Université du Québec à Rimouski

Cynthia Potvin, étudiante à la maîtrise, UQAR

Josianne Trudel, chargée de cours, UQAR

Sophie René de Cotret, professeure honoraire, Université de Montréal

Vincent Martin, professeur, Université de Sherbrooke

Virginie Filion, finissante à la maîtrise, UQAR

Thomas Rajotte, professeur, UQAR, campus de Lévis

Philippe R. Richard, professeur, Université de Montréal

Jessica Tremblay-Pelletier, enseignante et étudiante à la maîtrise, UQAR

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