Jusqu’à 300 000$ par année pour des influenceurs
Certains influenceurs québécois arrivent à très bien gagner leur vie sur les réseaux sociaux
Mystérieux pour certains, incompris ou mal perçu par d’autres, le métier d’influenceur peut néanmoins s’avérer très lucratif, quelques-uns gagnant jusqu’à 300 000 $ annuellement grâce aux réseaux sociaux.
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Au cours des dernières semaines, Le Journal est allé à la rencontre de 14 influenceurs québécois afin de démystifier leur travail et d’en apprendre plus sur ce métier souvent malmené au sein de l’opinion publique.
C’est dans le but de «crédibiliser» leur travail que la plupart ont accepté, non sans avoir hésité, de se mettre à nu en nous dévoilant leur salaire annuel et la façon dont ils génèrent des revenus sur les réseaux sociaux.
- Écoutez l'entrevue avec Claudie Mercier, créatrice de contenu à l’émission de Marie Montpetit via QUB radio :
Des créateurs de contenu nous ont ainsi confié qu’ils gagnaient un salaire de près de 50 000 $ par année, alors que d’autres, enregistrés en tant qu’entreprises, ont révélé qu’ils avaient un chiffre d’affaires frisant les 300 000 $.
Travailler sans compter
Ils tiennent ainsi à démontrer qu’il est possible de réussir en tant qu’influenceur au Québec, si on y met constance, sérieux, rigueur et, surtout, beaucoup de temps.
En effet, la plupart d’entre eux ont admis qu’ils travaillaient pratiquement sept jours sur sept. En moyenne, ils ont indiqué qu’ils avaient des semaines de travail de près de 60 h. D’autres n’étaient pas capables de chiffrer leurs heures travaillées, étant continuellement «en mode travail».
C’est le cas, entre autres, de Laurent Dagenais, véritable vedette des réseaux sociaux, qui se fait même reconnaître lorsqu’il va à New York ou à Los Angeles. «On dirait que ma vie, tout ce que je fais, c’est rendu du travail en quelque part», dit le chef âgé de 35 ans.
Métier stressant
«C’est un métier que nous sommes chanceux de faire, mais c’est aussi un métier stressant; il faut travailler vraiment fort pour avoir un revenu correct», soutient la créatrice culinaire Eve Martel, qui gagne sa vie grâce à Instagram, à YouTube et à TikTok depuis 2016, après avoir quitté une carrière de près de 20 ans dans le domaine de la publicité et du marketing.
Aujourd’hui, elle affirme gagner un revenu de près de 100 000 $ par année.
Faire son nom
Plusieurs influenceurs ont aussi raconté qu’ils avaient «bûché dur» dans ce milieu compétitif avant de réussir à en tirer un salaire. D’autres racontent même qu’ils avaient travaillé entre 25 et 30 h par semaine sans aucun revenu, pendant un, deux ou même cinq ans, avant d’obtenir un premier partenariat publicitaire.
C’est le cas de Lucie-Rose Lévesque, âgée de 34 ans, qui a commencé sa carrière en tant que blogueuse beauté, en 2012. Sans revenu pendant plus de deux ans, elle se procurait elle-même les produits nécessaires à ses chroniques, tout en conciliant son rôle de maman de quatre enfants. Aujourd’hui, elle affirme gagner un salaire avoisinant les 100 000$ par année.
Parmi les plus populaires au Québec, l’ancienne candidate d’Occupation Double Claudie Mercier affirme elle aussi avoir mis du temps avant de pouvoir en vivre, après sa sortie de la téléréalité en 2019.
Celle qui forme un couple avec Mathieu Pellerin, rencontré sur le plateau de la populaire émission, gagne aujourd’hui bien sa vie; elle révèle qu’elle fait entre 200 000$ et 300 000$ par année.
Mais, parler d’argent la rend mal à l’aise. «J’ai aucunement connaissance de ma valeur», dit celle qui cumule pourtant plus de 1,7 million d’abonnés sur ses réseaux sociaux.
«Pour moi, l’argent, ce n’est pas important. Qu’on habite ici ou dans un château, je m’en fous», ajoute son copain, qui gagne sa vie en se diffusant en direct presque tous les jours, et ce, durant de longues heures, sur la plateforme Twitch.
Ce réseau social lui rapporte en moyenne un revenu de près de 6000 $ par mois, admet-il. «Pour nous, c’est zéro tabou [l’argent], c’est juste de l’argent», dit-il, avec l’air décontracté qu’on lui connaît.
Le scénario est semblable pour Emy Lalune, tiktokeuse suivie par 1,4 million d’abonnés, et pour l’artiste visuelle Marianne Plaisance, photographe et graphiste de formation qui a démarré sa carrière sur sa chaîne YouTube.
Ces dernières affirment avoir travaillé respectivement deux et trois ans et demi sans aucune rentrée d’argent, avant de réussir à obtenir un premier contrat.
Quelques exemples
Conseils pour devenir un influenceur
«Il faut que ça bouillonne d’idées dans ta tête. Il faut être à l’aise dans plusieurs facettes, dans plusieurs types de métiers.»
– Marianne Plaisance, 31 ans
«Il est important de pouvoir pivoter rapidement et toujours s’intéresser à ce qui s’en vient, au nouveau réseau social, le comprendre et l’adopter rapidement. C’est toujours payant d’être dans les premiers sur un réseau.»
– Eve Martel, 52 ans
«Il faut diversifier ses sources de revenus.»
– Laurent Dagenais, 35 ans
«Il faut le faire pour les bonnes raisons, il faut suivre sa passion. Si ton but, c’est de faire de l’argent et d’avoir des produits gratuits, je trouve que tu ne le fais pas pour les bonnes raisons. Quand j’ai commencé [mon blogue], je n’avais aucune idée que je ferais ça et que j’en vivrais 10 ans plus tard!»
– Sarah Couture, 34 ans
«Il faut que tu trouves ce que tu as à apporter aux gens. Ça prend aussi du temps, de la discipline et de la constance dans tes publications, puisque si tu ne publies pas un minimum, tu ne pourras pas générer de revenus avec ça.»
– Maude Michaud, La parfaite maman cinglante, 39 ans
«Aller se chercher des études en quelque chose de connexe, comme le journalisme ou le marketing, par exemple.»
– Lucie-Rose Lévesque, 34 ans
«Fais-toi confiance, suis ton intuition et ne te dénature pas.»
– Marcus Villeneuve, 34 ans
Faire de bonnes affaires sur les réseaux sociaux
Les annonceurs ont assurément flairé les bonnes affaires sur les réseaux sociaux, car ils sont de plus en plus nombreux à acheter des campagnes publicitaires mettant en vedette des influenceurs.
C’est ce qu’affirment des experts issus du monde du «marketing d’influence» et d’agences publicitaires.
Selon eux, les influenceurs permettent de rejoindre facilement les jeunes, qui boudent les médias traditionnels, en plus d’atteindre des publics «très ciblés» et engagés.
«Si par exemple, on a une marque dans la mode, ça peut être bon d’aller vers un influenceur qui se spécialise dans ce domaine, puisque les gens qui le suivent sont attirés par la mode», explique Joannie Fredette, directrice de création de contenu à l’agence de marketing LG2.
L’offre et la demande
L’engouement est si fort que les cachets alloués aux influenceurs lors de campagnes publicitaires connaissent présentement une hausse de 10% à 25%, selon les secteurs d’activités.
Les créateurs de contenu rencontrés par Le Journal ont révélé que leurs cachets pouvaient varier de 500$ à 10 000$, selon le type de campagne et sa durée de vie sur le web, entre autres.
Avantageux pour les annonceurs
Malgré cette hausse, il demeure plus avantageux pour un annonceur d’investir auprès d’influenceurs que d’aller vers les médias traditionnels, si la campagne le permet.
«La publicité ciblée sur Facebook ou Instagram est de plus en plus chère. Le fait que les influenceurs aient des niches, ça permet aux annonceurs de rejoindre la cible, sans toutefois devoir débourser un important budget média», précise Chloé Bergeron, cheffe d’équipe et au contenu chez Léger DGTL, ayant récemment réalisé l’étude Le Canada numérique de 2023. (voir autre texte)
«Les marques qui ne font pas affaire avec les influenceurs aujourd’hui passent à côté du train», illustre Frédéric Gonzalo, spécialiste en marketing numérique. «Il s’agit de canaux complémentaires [les médias traditionnels et les influenceurs] lors d’une campagne», ajoute-t-il.
Les campagnes publicitaires sont d’ailleurs plus efficaces et ont une meilleure longévité lorsqu’elles intègrent des influenceurs, affirment les experts.
TikTok vole la vedette
Au cours des derniers mois, TikTok vole la vedette, nous dit-on, alors que pratiquement toutes les nouvelles campagnes veulent se faire voir sur cette application. Le potentiel de «viralité» y est «immense», notamment en raison de son algorithme.
Les récentes mises en garde du gouvernement Trudeau selon lesquelles le réseau social chinois peut menacer la sécurité des renseignements personnels des Canadiens ne semblent ainsi avoir aucun effet sur son utilisation, confirment plusieurs intervenants.
Photos, vidéos et stories
Tout se monétise sur les réseaux sociaux. Ainsi, les influenceurs «vendent» leurs services, notamment en créant des vidéos, des photos, des stories, des sketches ou des recettes, pour ne nommer que ces exemples, afin de faire passer un message ou de promouvoir un produit.
«Auparavant, on les [les influenceurs] utilisait davantage comme une vitrine et aujourd’hui, ils font partie du processus de création», affirme Mme Fredette.
Couteau à double tranchant
Des experts estiment toutefois que de s’affilier avec un ou des annonceurs pour une campagne peut être «un couteau à double tranchant».
Luc Dupont, professeur au Département de communication de l’Université d’Ottawa, mentionne que les influenceurs doivent aujourd’hui être choisis méticuleusement par les annonceurs, de peur d’être impliqués dans une controverse. «En faisant affaire avec plusieurs influenceurs, c’est sûr qu’on augmente les risques», dit-il, rappelant notamment le scandale entourant le vol de Sunwing vers Tulum.
«L’époque dans laquelle on vit, c’est que peu importe ce que vous dites, il y a 50% des gens qui ne sont pas d’accord, c’est ça qui est assez remarquable. Alors l’influenceur doit réussir à manœuvrer là-dedans», soutient-il.
Par ailleurs, l’annonceur doit faire preuve de «lâcher-prise» avant de s’associer avec un influenceur, prévient la directrice chez LG2. «Si l’objectif est d’avoir un contrôle parfait sur tes messages, alors c’est mieux d’y aller dans une publicité plus traditionnelle», soutient-elle.
Règles et sanctions
Les influenceurs qui font des partenariats rémunérés avec des marques sont régis par les mêmes normes publicitaires que les médias traditionnels, soutient le Bureau de la concurrence du Canada et la Loi sur la protection du consommateur.
Il leur est notamment interdit de faire des représentations fausses ou trompeuses d’un produit. Ils doivent aussi identifier clairement leur contenu publicitaire sur les médias sociaux. «Les divulgations doivent être aussi visibles que possible [...] et ne doivent pas se retrouver dans un amas de mots-clics», soutient le Bureau de la concurrence.
Les deux instances soutiennent par ailleurs qu’elles effectuent occasionnellement de la surveillance sur les réseaux sociaux, dans le but de s’assurer que les normes publicitaires sont respectées par les influenceurs.
«En cas de pratique interdite [...], les consommateurs peuvent exercer des recours civils contre le commerçant, le fabricant ou le publicitaire, selon la situation. De son côté, l’Office peut recommander des poursuites pénales», affirme Charles Tanguay, porte-parole de l’Office de la protection du consommateur.
Ainsi, en cas de faute, les influenceurs s’exposent à des amendes de 600$ à 15 000$, mentionne-t-il.
Rappelons que la France est récemment devenue le premier pays à légiférer sur le métier d’influenceur. La loi qui a pour but de protéger les consommateurs interdit notamment aux influenceurs de promouvoir des médicaments et des chirurgies esthétiques.
Gérés par des agents
Signe que les influenceurs rapportent gros, bon nombre d’entre eux sont maintenant sous contrat avec des agents, dans le but de faire évoluer leur carrière.
Au Québec, on compte près d’une dizaine d’agences spécialisées en marketing d’influence.
C’est le cas, entre autres, d’Anne-Marie Dassylva, avocate de formation, qui a accroché sa toge pour se lancer dans le monde de l’influence.
«On travaille à non seulement gérer les demandes de collaboration qui entrent, mais on réfléchit à des plans de carrière. Est-ce qu’on veut toucher la télé, la radio, sortir un livre, ouvrir un restaurant? Sky is the limit», dit-elle.
L’ancien influenceur Pierre-Olivier Beaudoin est lui aussi devenu agent de créateurs de contenu il y a trois ans, en lançant sa propre agence, Muze Influence. Aujourd’hui, son agence gère la carrière de 12 influenceurs québécois. Son entreprise a le vent dans les voiles, soutient-il, si bien qu’il affirme avoir refusé de représenter une trentaine «d’artistes» supplémentaires dans la dernière année.

En moyenne, les influenceurs sous contrat avec des agences leur versent entre 20 % et 30 % de leur cachet.