Le cerveau d'une série de fraudes postales historique est un Québécois
Un Québécois de 57 ans vient d’être reconnu coupable d’avoir été le cerveau de l’une des plus importantes fraudes postales de l’histoire des États-Unis, où il se faisait passer pour des voyantes afin d’escroquer des personnes âgées ou vulnérables.
Avec plus d'un million de victimes qui se sont fait soutirer près de 238M$ en deux décennies, Patrice Runner pourrait maintenant s'imposer comme le plus grand fraudeur issu de la province.
À titre comparatif, la spectaculaire fraude de Vincent Lacroix, avec sa firme de gestion de placement Norbourg, avait floué 9200 investisseurs pour 130M$, en 2005.
Jeudi dernier, Runner a été reconnu coupable d'une quinzaine de chefs d'inculpation pour fraude postale, fraude électronique et complot afin d’effectuer du blanchiment d’argent par un jury de l’État de New York.
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De 1994 à 2014, Runner était à la tête de Infogest Direct Marketing, une entreprise de courrier qui a envoyé des millions de lettres frauduleuses aux États-Unis et au Canada. Son siège social se trouvait à Place Ville Marie, à Montréal.
Les lettres envoyées par des «médiums de renommée mondiale» semblaient à première vue personnalisées, puisqu’elles mentionnaient à plusieurs reprises le nom du destinataire, peut-on lire dans le document de mise en accusation déposé en 2018 et consulté par Le Journal.
En échange d’un montant entre 5 et 50 dollars américains, ces voyants, qui opéraient sous les noms Maria Duval et Patrick Guérin, «offraient d'aider les victimes à obtenir de la chance ou des avantages matériels, ou à éviter la malchance, la maladie ou d'autres résultats négatifs», indique-t-on.
Dans d'autres envois, on demandait aux victimes de renvoyer des photos, une trace de main ou une mèche de cheveux afin que les voyants puissent «conduire des rituels personnalisés et des services d’astrologie», précisent les autorités américaines.
Une fois que la victime avait donné un premier montant au service de voyance, on lui demandait ensuite entre 20 et 50 dollars. Et les fraudeurs étaient insistants: plusieurs victimes ont reçu plus d’une centaine de lettres de leur part.
Listes échangées
Le groupe derrière cette fraude massive a obtenu la majorité des noms et adresses des victimes grâce à des listes d’envoi louées ou échangées avec d’autres publiposteurs, selon les autorités américaines.
«Le simple fait que des services de voyants ou de bonne aventure puissent parfois être offerts et vendus à des fins de divertissement ne veut pas dire [...] que l'intention de M. Runner était de divertir», a indiqué le gouvernement américain dans un mémoire présenté avant le procès.
Cette fraude a cessé de se produire en 2016, lorsque les autorités américaines ont interdit aux sociétés qui se chargeaient d’envoyer les lettres d’utiliser leurs services postaux.
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Sociétés écrans
«Runner a utilisé une série de sociétés écrans enregistrées au Canada et à Hong Kong pour cacher son implication dans le stratagème alors qu'il vivait dans plusieurs pays étrangers, dont la Suisse, la France, les Pays-Bas, le Costa Rica et l'Espagne», a mentionné le ministère de la Justice américain dans un communiqué.
Runner risque jusqu’à 20 ans de prison pour chaque chef d’accusation. Il recevra sa sentence à une date ultérieure. L'homme, qui détenait les citoyennetés canadienne et française, a été arrêté en Espagne en 2018, puis extradé aux États-Unis deux ans plus tard.
Deux de ses complices montréalais, Maria Thanos et Philip Lett, avaient plaidé coupable à des accusations de complot afin de commettre de la fraude postale en 2018.
– Avec Nicolas Brasseur, Bureau d’enquête
SES DÉBUTS À MONTRÉAL
– Déjà en 1990, Runner avait fait parler de lui ici après avoir publié dans les petites annonces de plusieurs médias montréalais les services d’un voyant qui pouvait prédire les numéros gagnants de différentes loteries. Il avait alors écopé de plus de 100 000$ d’amendes.
– Pour effectuer son stratagème frauduleux, il a utilisé une panoplie de compagnies enregistrées au Canada et à Hong Kong, alors qu'il a vécu en Suisse, en France, dans les Pays-Bas, au Costa Rica et en Espagne.
– Plusieurs dizaines de milliers de lettres étaient envoyées hebdomadairement à des victimes potentielles à travers l'Amérique, depuis les bureaux de Place Ville Marie.
– En 20 ans, il aurait fait environ 1,4 M de victimes aux États-Unis seulement, selon la poursuite.
– Si une personne avait le malheur de répondre à l’une des lettres, elle pouvait par la suite recevoir plus d’une soixantaine de missives similaires pour l'appâter.
– Runner a utilisé le nom de voyants français de renom, dont celui de Maria Duval. Celle-ci a vendu les droits d’utilisation de son nom, avant d’en perdre le contrôle.
– En avril 2019, le Québécois a été arrêté à Ibiza, où il habitait désormais, puis a été extradé de l’Espagne en 2020.
– Cette affaire a fait l’objet de multiples reportages, ainsi que d’un livre intitulé: A Deal With the Devil: The Dark and Twisted True Story of One of the Biggest Cons in History.
– Avec Jonathan Tremblay