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Le promoteur immobilier Jean-François Malo, accusé de tentative de meurtre, a fait disparaître 3,8 M$ au Cambodge

Malo ainsi qu’un notaire négligent de Laval sont blâmés par un juge de la Cour supérieure

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Jean-François Malo Courtoisie


Un promoteur immobilier de Joliette accusé de tentative de meurtre, Jean-François Malo, a orchestré une vaste fraude qui lui a permis de faire disparaître près de 3,8 M$ au Cambodge, révèle un jugement de la Cour supérieure.

Des menaces, des faux documents, des imposteurs au téléphone, un obscur compte bancaire à l’étranger: les faits relatés par le juge Bernard Synnott, de la Cour supérieure, semblent tout droit tirés d’un scénario de film.

Le magistrat a tranché le 19 mai dernier dans les poursuites civiles de deux firmes qui visaient notamment un notaire de Laval. Ces deux firmes s’étaient entendues avec Malo pour lui confier en 2019 un total de près de 7,2 M$, et ont tenté de ravoir leur dû.

«Il est largement prouvé qu’une fraude de plus de 3 769 276,25$ a été perpétrée et que sans l’intervention d’employés de la Banque TD, un montant supplémentaire de plus de 3 400 000$ se serait envolé vers un compte bancaire obscur, situé au Cambodge», écrit le juge dans sa décision de 32 pages.

«La banque n’a toutefois pu récupérer le premier montant qui y a été transféré frauduleusement et qui demeure en toute probabilité, perdu à jamais», déplore-t-il.

Notre Bureau d’enquête décortique aujourd’hui cette rocambolesque affaire.

1. Comment trouver 3,4 M$?

À l’automne 2019, Jean-François Malo doit trouver 3,4 M$. Il veut éviter la saisie de ses immeubles par des entités du Mouvement Desjardins, qui le poursuivent en alléguant «avoir été victime des multiples fraudes immobilières perpétrées par Malo et son groupe», explique le juge Synnott.

Le controversé promoteur réussit alors à convaincre l’entreprise Crédit Transit de lui fournir presque 3,8 M$ en guise de prêt hypothécaire sur ses immeubles. Au même moment, il obtient 3,4 M$ d’une autre firme, Gestion Groupe Bernard (GGB), comme acompte pour la vente des mêmes immeubles.

«Il faut savoir que Malo négocie avec chacune des deux entreprises à l’insu de l’une et de l’autre», explique le magistrat.

2. Un notaire négligent

Si la fraude a pu avoir lieu, c’est entre autres grâce à un notaire négligent de Laval, Simon Chartrand, qui est maintenant radié du tableau de son ordre professionnel.

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Simon Chartrand a été radié par la Chambre des notaires Photo tirée de la page LinkedIn de Simon Chartrand

Malo confie à Me Chartrand la tâche de recevoir en fidélicommis les 7,2 M$ fournis par Crédit Transit et GGB.

Le 16 novembre, il est dupé au téléphone par des imposteurs qui se font passer pour le président de Crédit Transit et l’avocat de GGB.

«Ils l’informent qu’ils se sont mis d’accord. Les rendements sur les dépôts offerts par les banques canadiennes sont beaucoup trop faibles et il n’est pas question pour eux d’y laisser dormir leur argent. Ils ont trouvé une institution financière cambodgienne qui est prête à accueillir immédiatement leurs dépôts respectifs et à leur fournir des rendements beaucoup plus alléchants.»

«Le notaire Chartrand ne fait aucune vérification supplémentaire et procède au transfert puisque, dit-il, il vit une période trouble, il a subi un dégât d’eau majeur à sa résidence [là où se trouve aussi son cabinet], sa conjointe vient de le laisser pour son meilleur ami, il est déprimé et Malo tient des propos déplacés à son endroit. Bref, il veut se débarrasser de ce dossier et ne se comporte pas comme un professionnel avisé. Au contraire il fait preuve de négligence», écrit le juge.

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On voit ici le message envoyé par les fraudeurs au notaire Chartrand pour demander le transfert des fonds au Cambodge Courtoisie

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On voit ici le message envoyé par les fraudeurs au notaire Chartrand pour demander le transfert des fonds au Cambodge Courtoisie

3. Près de 3,8 M$ transférés au Cambodge 

Le notaire envoie donc des instructions à la Banque TD pour qu’un premier montant de 3,8 M$ soit envoyé dans le compte bancaire d’une firme incorporée quelques semaines plus tôt au Cambodge. Ce compte est enregistré à la Canadia Bank, une des principales institutions financières du Cambodge. La TD s’exécute et transfère les fonds.

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On voit ici le siège social de la Canadia Bank, à Phnom Penh au Cambodge. Photo tirée de la page Facebook de la Canadia Tower

4. Un autre transfert de 3,4 M$ évité de justesse

Quelques jours plus tard, le notaire demande que les 3,4 M$ restants soient aussi transférés au Cambodge. Le 22 novembre, Nathalie Dinolfo, chargée de la conformité des transferts à la TD, intervient et fait bloquer la transaction. «La Banque TD gèle le compte du notaire Chartrand et le deuxième transfert n’a jamais lieu, grâce à l’intervention fort à propos de Madame Dinolfo et du service de sécurité de la Banque», écrit le juge.

5. Des menaces

Dans l’intervalle, le notaire Chartrand aurait été victime de menaces. Il raconte aux policiers s’être fait bloquer le chemin par une automobile alors qu’il circulait dans son véhicule. «Un individu louche en serait sorti et lui aurait dit: “tu parles pu à personne, t’appelles pas nulle part, on sait où tu restes, on sait où ton gars reste”», relate le juge Synnott.

6. Stratagème frauduleux

Qui est derrière le stratagème? Le juge Synnott est sans équivoque: 

«Malo et le Groupe Malo sont les auteurs de la fraude: Malo est le seul à savoir qu’il négocie avec les deux parties, à leur insu, et le seul à connaître tous les détails des deux dossiers», conclut-il.

Au procès, Malo s’est défendu en affirmant que c’était plutôt lui qui était victime d’un complot, ce que le juge n’a pas cru.

L’honorable Bernard Synnott qualifie l’une de ses réponses d’«affirmation farfelue», estime qu’une autre de ses justifications est une invention, tandis qu’une troisième affirmation de Malo est considérée «incompréhensible» par la Cour.

Malo avait même demandé au juge de se récuser dans le cadre des procédures judiciaires, mais cette demande a été rejetée.

«Malo est prêt à faire ou à dire n’importe quoi et à mentir, si cela peut le servir», a expliqué le magistrat pour justifier sa décision.

7. Qui devra payer?

Heureusement pour le notaire négligent qui avait pour tâche de veiller sur l’argent, c’est le Fonds d’assurance responsabilité professionnelle de la Chambre des notaires du Québec (FARPCNQ) qui devra indemniser directement les victimes.

Toutefois, le FARPCNQ devra à son tour être indemnisé par Malo et ses entreprises, qui sont «les auteurs de l’acte fautif» ordonne le juge.

Malo et ses entreprises devront aussi verser au Fonds d’assurance plus de 43 000$ en frais d’expertise.

8. Accusé de tentative de meurtre

Même si le juge parle de fraude et de production de faux documents dans son jugement au civil, aucune accusation criminelle n’a été déposée à ce jour dans le dossier des millions détournés au Cambodge.

Par contre, Jean-François Malo doit affronter la justice criminelle dans les prochains mois en lien avec l’agression à l’arme à feu dont a été victime un des avocats du Mouvement Desjardins dans le cadre de la poursuite civile qui le visait. Il est notamment accusé de tentative de meurtre et a plaidé non coupable.

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Le 24 avril 2020, Jean-François Malo et Cheikh Ahmed Tidiane Ndiaye ont été filmés par des caméras de surveillance en train de discuter, moins d'un mois après un attentat contre Me Nicholas Daudelin. Cheikh Ahmed Tidiane Ndiaye a écopé de neuf ans de pénitencier dans cette affaire, tandis que Malo n'a pas encore été jugé. Photo déposée à la cour

La poursuite de Desjardins contre Malo s’est quant à elle réglée hors cour en juin 2020, et les termes de l’entente sont confidentiels.

9. Le juge se trompe, dit Malo

Jean-François Malo, de son côté, estime que «la majorité des paragraphes du jugement en question sont erronés à leur face même» et que «le juge Synnott se trompe en confondant les années», selon une déclaration transmise au Journal par l’un de ses avocats, Me Karl-Emmanuel Harrison.

Malo mentionne par exemple que le juge laisse entendre qu’il a pris une décision à l’automne 2019 à la suite de son arrestation... en juin 2020. 

Les deux procureurs qui représentent Malo et toutes les entités qui lui sont liées dans cette affaire nous ont aussi indiqué par écrit que leurs clients avaient l’intention d’aller en appel et qu’ils étaient «confiants de démontrer à la Cour d’appel» que le jugement du juge Synnott «est mal fondé en fait et en droit».







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