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Yoan Garneau

La faute à Napoléon

Le rapport Coulombe 10 ans plus tard

Ramolli sérieux par la Conquête en 1760, le Québec français, on était 60000 – la population de Granby aujourd’hui – encore ami avec pas mal d’Indiens, désargenté, s’est réfugié dans l’art de fabriquer de belles turlutes et beaucoup d’enfants par femme, laissant tout le reste de la réalité aux Britanniques. En fin de compte, tout nous a échappé, sauf Hydro-Québec et Bombardier, dont j’ai vu le logo incrusté dans les métros de Barcelone, de Mexico et de Paris. Sauf qu’ici, il n’y a même pas de train...

Notre style de foresterie a commencé avec Napoléon. En 1806, il avait presque conquis l’Europe, mais ne parvenait pas à asphyxier l’Angleterre, sa Royal Navy étant trop supérieure. Bonaparte interdit alors aux ports de la Manche et de la Baltique de commercer avec les Anglais, qui ne pouvaient plus s’approvisionner en bois. Pour maintenir leur flotte militaire en bon état, ils se tournent alors vers la vallée du Saint-Laurent, remon­tent jusqu’en Outaouais et récoltent 20000 grands pins blancs rectilignes, parfaits pour la fabrication des mâts. Les légendaires raftmen et leurs Jos Montferrand de l’époque les draveront jusqu’à Québec.

Après l’exploit, l’exploitation. La technique de récolte par pillage est au point. Le slogan forestier de l’époque, c’est «cut and run». C’est ainsi qu’en l’hiver 1900, cinq mille bûcherons se retrouvent au Témiscamingue à disputer la viande d’orignal aux Algonquins qu’on pousse dans les réserves de Notre-Dame-du-Nord et de Maniwaki, prévues à cet effet. Ils y vivent toujours.

Une fois le pin blanc éradiqué, l’épinette à papier, aux longues fibres doci­les, alimentera la start-up de l’époque: le journal quotidien. Or, nous en avons un océan, de ces arbres, les plus «toffes» du monde. On les retrouve jusqu’en Ungava. Les calligraphes japonais en raffolent. L’International Paper de New York, fraîchement débarquée au Québec, les transforme en pâte et l’achemine en vrac vers les papetières américaines. Le premier ministre du temps, Lomer Gouin, comprenait bien que les droits de coupe quémandés aux compagnies forestières constituaient la seule source de revenus pour construire des écoles, des hôpitaux, des routes, l’impôt ou les taxes n’existant pas.

Il tente néanmoins un bluff et exige que le papier soit fabriqué sur place, au Québec. Il passe une loi dans ce sens et gagne le pari. Ce fut peut-être la meilleure loi de toute notre histoire fores­tière.

On vit la création de la légendaire Cana­dian International Paper. La CIP. Trois-Rivières devint la capitale mondiale du papier. Les règles fores­tières de l’époque avaient un sens, je pense. Chacune des compagnies récoltait sur ses concessions territoriales préci­ses et avait inté­rêt à les entretenir. On ne bûchait que l’hiver sur un sol gelé et enneigé. La régénération se faisait d’elle-même, sans besoin de plantation. Mon père, surintendant fores­tier pour la CIP, a dirigé par trois fois des opérations dans le même petit secteur. Aujour­d’hui un ingénieur forestier ne revient jamais récolter là où il est passé. Tout est coupé à blanc derrière lui.

Puis est arrivée, vers 1970, l’abatteuse à couper jour et nuit, à longueur d’année. Écrasant sur son passage la régénération naturelle. On récolta dans nos forêts jusqu’à 35 millions de mètres cubes, alors que la nature n’en produit que 20 millions par croissance naturelle annuelle. La belle époque! La symbiose entre le gouvernement et l’industrie s’opérait si naturellement qu’un sous-ministre et un ministre devinrent tour à tour patrons de l’Association des compagnies de bois du Québec.

On s’en allait dans le trouble.

L’enquête publique

 

Jamais nous ne nous attendions, Robert Monderie et moi, à ce que notre documentaire L’Erreur boréale (1999) produise un tel effet auprès du grand public. Nous ne nous doutions pas à quel point les Québécois sont attachés à leur forêt. Comme un arbre en guise de colonne vertébrale. Les vacances préférées des gens d’ici: une chaloupe, une canne à pêche, un petit feu le soir, une tite toune.

Mais peut-être sentaient-ils vaguement que quelque chose n’allait pas dans le bois, à voir défiler ces fardiers chargés d’arbres de plus en plus petits. À percevoir à travers la bande boisée de 20 mètres qui borde les routes d’immenses étendues de coupes à blanc. Peut-être avons-nous fait craquer une allumette dans un mélange de gaz d’appréhension déjà constitué dans l’imaginaire collectif.

Le gouvernement et l’industrie dénoncèrent violemment le film, nous accusant même de mentir. La pauvreté de cette réaction entraî­na la création de l’Action boréale, organisme qui regroupe aujourd’hui 2000 membres de partout au Québec, dévoués à l’implantation d’une foresterie raisonnée. En 2002, le bureau du Vérificateur général conforta nos inquiétudes quand il déclara: «Le ministère des Ressources naturelles n’est pas en mesure de déter­miner s’il y a sur-récolte du bois dans les forêts publiques.»

Nous n’étions plus seuls.

Quelques semaines avant les élections de 2003, je prenais tranquillement une bière à l’Hôtel Albert de Rouyn quand un petit groupe de quatre ou cinq hommes s’avança vers moi. Ils portaient tous un trench-coat descendant jusqu’aux genoux. Tiens... des politiciens! C’était Jean Charest et sa garde rapprochée, en pleine campagne électorale. Il prend la peine d’écouter ce que j’avais à dire quant à la nécessité de mettre sur pied une enquête publique sur la gestion de notre forêt.

On se serait attendu

 

Ce rapport Coulombe (2004) était riche de contenu. Il y avait dans cette équipe, entre autres, un ingénieur forestier, un informaticien de la forêt, un biologiste, un sociologue. Ils ont rapidement cerné les problèmes pressants et proposé des solutions parfois radicales, mais néanmoins réalisables. Confronté à la rigueur de l’analyse, le gouvernement n’a pas eu d’autre choix que de l’accepter, du moins en paroles.

C’est sûr qu’il en faut du temps pour passer d’une foresterie qui conçoit le territoire comme un simple réservoir de mètres cubes de bois, à une foresterie qui priorise le maintien de la biodiversité et conditionne la récolte des ressources. Il en faut du temps aussi pour éduquer l’industrie à ce changement de perspective.

«C’est comme un paquebot qui doit virer de cap, ça s’fait pas d’un coup sec», disait-on à l’époque. Sauf que 10 ans plus tard, on a l’impression que le bateau est encore attaché au quai.

À tout le moins, on se serait attendu à ce que cessent le plus rapidement possible les pratiques forestières grossières et dommageables. Comme l’abattage à la machinerie lourde sur les sols fragiles du Nord. Comme la pratique des éclaircies dites «commerciales», qui consiste à couper tout ce qu’il y a autour d’un arbre qu’on aura privilégié, un résineux de préférence. À terre les cèdres, les bouleaux, les nids d’oiseaux, la biodiversité quoi! Cette pratique qui nous a déjà coûté des milliards a été jugée inefficace par la Commission. Ça fait de plus gros arbres, certes, mais sur un hectare de sol forestier, ça ne donne pas plus de bois.

Étant donné qu’on veut favoriser le maintien de la biodiversité, ça n’aurait pas été compliqué de fermer les chemins forestiers une fois la récolte empilée dans la cour de l’usine. Le fractionnement du territoire par les trails de skidoo et de VTT est devenu important. La faune se retrouve perturbée par tous ces courageux prédateurs à deux pattes qui prennent nos forêts pour des théâtres de guerre faunique. Tout en prenant bien soin d’être les seuls à détenir des carabines parmi les ours et les orignaux...

La révélation la plus inattendue, peut-être, du rapport Coulombe portait sur l’état de décrépitude de nos forêts du Sud. La soi-disant coupe «sélective» qu’on y exerçait s’est toujours résumée en fait à sélectionner les plus beaux arbres de sorte que nos ébénistes s’approvisionnent aux États-Unis depuis belle lurette.

On se serait attendu à ce que le gouvernement retire aux compagnies le droit de désigner elles-mêmes quels arbres peuvent être abattus (le martelage). Et aussi qu’il les remplace en plantant des essences appartenant au territoire au lieu de «sapiniser» et d’«épinettiser» tout le Sud sous prétexte que ça coûte moins cher et que ça demande moins de soin.

Et justement, ces ébénistes, luthiers et artisans, véritables multiplicateurs de valeur ajoutée, ne devraient-ils pas bénéficier d’une préséance quand vient le temps d’octroyer le bois disponible? Actuellement les rois du bas de gamme –madrier, plywood et carton – ramassent tous les volumes récoltables et laissent même souvent pourrir par terre les essences non désirables – de leur point de vue – qui se dressent sur le chemin des abatteuses. Comme l’érable piqué du Témiscamingue avec lequel on peut façonner de belles et bonnes guitares.

Mais en tout premier lieu, on se serait attendu à ce que le Québec conçoive un plan général de foresterie aux larges horizons, incluant les générations à venir, et répondant à ces deux questions: Que doit-on leur laisser en termes de ressources? Que pouvons-nous leur emprunter aujourd’hui?

Ce respect envers les autres aurait pu se concrétiser par des accords décents – semblable à l’Entente de la Baie-James – avec les Premières Nations algonquine, atikamekw, innue, qui encore aujourd’hui, n’ont pas d’autre droit que celui d’être consultées. C’est-à-dire rien.

La question des aires protégées

 

Nous, Blancs agriculteurs venus d’Europe, il nous fallait de la place pour cultiver et aussi du bois pour construire des maisons. La forêt nous apparaissait comme une sorte d’ennemie, d’autant plus qu’on pouvait s’y perdre, s’y faire manger tout rond par les bibittes ou simplement tuer par un Iroquois.

Notre histoire forestière nous enseigne aussi que nous avons pu construire nos premières écoles grâce aux droits de coupe arrachés aux compagnies de bois. Nous en sommes venus à croire qu’une forêt n’a de valeur qu’une fois couchée par terre. Nous éprouvons toutes les misères du monde à en préserver ne serait-ce que des parcelles, convaincus que la meilleure chose qui peut arriver à un marais c’est d’être asphalté.

Nous considérons qu’un arbre qui meurt avant d’être coupé est une pure perte. Alors qu’en réalité, il y a plus de vie dans celui-ci que dans un arbre vivant (insectes, oiseaux, ferments). Alors que cet arbre mort maintient l’écosystème en bonne santé. Nous savons maintenant que tout est relié, de la bactérie à l’orignal, du microscopique champignon au grand pin blanc.

Nous savons aussi que nos connaissances à ce sujet sont embryonnaires et que nos dernières forêts naturelles constituent nos ultimes bibliothèques de référence. Ces aires, à protéger, serviront justement de laboratoires pour nous aider à comprendre comment les écosystèmes réagissent aux changements climatiques actuels, comment combattre les épidémies exogènes qui sont en train de tuer certains de nos arbres un à un. Elles pourront nous servir en tout cas à nous orienter dans le choix de nos pratiques forestières.

Oui, mais ça nous rapporte quoi, une forêt naturelle? L’Institut canadien Pembina s’est employé à évaluer en termes de dollars tous les «écoservices» rendus par la forêt boréale: captage de carbone, contrôle des épidémies d’insectes par les oiseaux, filtrage d’eau, production d’oxygène, etc., pour conclure que la valeur de ces écoservices est 2,5 fois plus élevée que la valeur marchande nette des ressources naturelles extraites (bois, métaux, hydro).

D’où l’importance d’en préserver une partie. Une recommandation majeure du rapport Coulombe.

En 1992, le Québec s’est engagé à protéger 12 % de chacun de ses grands écosystèmes (il y en a onze, incluant Anticosti), pourcentage qu’il promettait d’atteindre pour 2010 puis pour 2015, puis on ne sait quand. Le gouvernement n’arrive pas à convaincre l’industrie qu’elle pourrait néanmoins survivre en exploitant quand même 88 % du pays!

D’autant plus que les droits détenus par les compagnies sur les zones dédiées à la protection leur ont été accordés pour des pinottes en ce qui regarde les minières et complètement gratos pour les forestières. Pourtant, quand il s’agit de protéger une simple «patch» de territoire, il faut se taper des audiences publiques à n’en plus finir.

Le processus est aussi outrageusement ralenti par le fait que le ministère chargé d’instaurer le réseau d’aires protégées, celui du – tenez-vous bien – Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, n’a même pas d’argent pour envoyer ses spécialistes sur le terrain. Ici, sur place, en Abitibi-Témiscamingue, quatre biologistes y travaillent sur un territoire 178 fois plus grand que l’île de Montréal. Autant dire qu’en forêt, on a quasiment plus de chances de rencontrer un couguar qu’un biologiste.

On se serait attendu à ce que ce ministère soit doté d’un budget aussi impressionnant que son nom (MDDELCCC). Pour l’instant il poireaute à trois millièmes du budget global du gouvernement, en mode «coupures» tout le temps.

En passant, on se serait aussi attendu à ce que l’Université Laval, qui forme nos professionnels forestiers, refuse de nommer son nouveau pavillon de foresterie «Pavillon Kruger», une compagnie forestière familiale opaque, en échange de beaucoup d’argent. On aurait au moins espéré qu’elle utilise ce cash pour insuffler une bonne dose de sciences écoforestières à son cursus scolaire au lieu de continuer à faire de ses étudiants des extracteurs professionnels de mètres cubes de bois.

Malgré tous ces ratés, y a du bon qui a été fait depuis le rapport Coulombe. Vraiment. On en parle demain.

Les bonnes intentions : des oui, des mais

 

Il m’est arrivé une fois de parler avec l’ancien premier ministre Parizeau. Je lui demande s’il trouve normal qu’année après année les redevances forestières que le Trésor public encaisse de la part de l’industrie ne suffisent jamais à compenser pour les travaux de sylviculture que nous assumons. Il me répond:

Non, ce n’est pas normal. La forêt est toujours gérée selon un modèle colonialiste. Lévesque aurait voulu changer tout ça dans les années 60, mais il en avait plein les bras avec la nationalisation de l’électricité. Et rien n’a été fait. Hélas!

Modèle colonialiste. Cela signifie que cette industrie applique une pression impitoyable et constante sur l’État pour obtenir la ressource naturelle avec le moins de contraintes possible. Soyez assurés que si les forestières pouvaient tout récolter avec une seule machine, elles le feraient.

Ce modèle induit également que nous payons entièrement les réparations. Sur la période s’étalant de 2011 à 2017, il nous aura coûté collectivement plus d’un milliard et demi de dollars pour prendre soin de notre forêt même en tenant compte des redevances perçues auprès des forestières. Alors que la moindre trace de profit aboutira dans les poches des actionnaires.

Le maintien de cette économie négative, humiliante, ne peut s’expliquer que par la volonté politique de subventionner des jobs en région, là où les élections provinciales se jouent depuis toujours.

Pourquoi alors ne pas suspendre cette industrie et utiliser ce milliard et demi pour recycler les jobs vers la reconstruction de notre forêt? Elle a besoin d’un long repos. Si cette dernière proposition peut sembler irréaliste à court terme, du moins a-t-elle le mérite de nous éloigner de l’aberration permanente.

Malgré tout, il convient de reconnaître les efforts du gouvernement pour comprendre le rapport Coulombe. Il a même tenté d’appliquer certaines de ses recommandations.

Tout d’abord, on a changé le logiciel Sylva inventoriant les arbres, mais ne pouvant préciser où ils étaient. Le nouveau, du nom de Woodstock –rappelant quelque chose de trippant – est plus efficace à cet égard, semble-t-il.

On a nommé un forestier en chef qui détermine pour chaque région les volumes de bois disponibles à récolter, mais comme son bureau ne sait pas ce que le Québec veut faire de son territoire à long terme, les résultats de ses travaux demeurent aléatoires et alimentent de la chicane un peu partout.

La planification forestière, contrôlée par l’industrie, est revenue aux mains de l’État. C’est bien normal, la ressource étant de nature publique. Mais faute de savoir-faire, on appelle à la rescousse des experts venant du privé, compétents dans l’extraction du bois, certes, mais ignorant tout d’une gestion écosystémique. Mot encombrant, pour eux. Une sorte de privatisation insidieuse du ministère.

On a annoncé que beaucoup de la responsabilité forestière serait dévolue aux régions et prise en charge par les Conférences régionales des élus (CRE), ces clubs de maires de la place, implantés à travers le Québec, grassement subventionnés, qui nomment leur chef sans que la population locale ait son mot à dire. La CRE d’Abitibi-Témiscamingue s’était officiellement engagée auprès du gouvernement à tenir des consultations publiques concernant le choix de territoires à préserver. Or, notre «chef» à nous, Jean-Maurice Matte, maire de Senneterre, a décidé, sans même consulter ses collègues, d’annuler ces consultations!

Nous nous réjouissons que le gouvernement veuille abolir ces instances antidémocratiques que sont les CRE, mais qui va se tenir maintenant responsable de la gestion de notre forêt régionale? L’Action boréale? On n’en demande pas tant!

Aussi, il faut saluer la décision du gouvernement de ne plus garantir, année après année, la totalité du bois disponible aux seules mêmes compagnies forestières. Désormais, 30 % de la ressource est mise à l’enchère. Pour le moment, ce sont – à peu de chose près – ces mêmes entreprises qui «bident». On aurait pu en profiter pour octroyer ce bois en priorité à ceux qui le transforment au-delà du madrier et du papier.

La belle loi

 

Notre ministre Laurent Lessard, responsable des forêts, résumait, il n’y a pas longtemps, l’essentiel de ses préoccupations: «Nous sommes tributaires de ce qui se passe aux États-Unis.» Cela veut dire que lorsque la construction va bien là-bas, on fait rouler les usines. Lorsque ça ne va pas, on les ferme. Voilà où nous en sommes rendus après 150 ans de foresterie: une cour à bois américaine.

Et de plus en plus exigeante, par-dessus le marché. En effet, nos clients industriels américains, comme Home Depot, réclament que leur approvisionnement provienne de forêts bien gérées. Comme on dit, «certifiées». Le mot embête tout le monde, car si les critères exigés pour obtenir la certification étaient appliqués intégralement sur le terrain, il n’y aurait plus de foresterie dans ce pays. Comme d’habitude, on a fait appel à des lexicologues pour travestir la réalité. Parce que, franchement, sur le terrain, on ne voit pas de grande différence entre une coupe «certifiée» ou non. Ça demeure toujours une forme de saccage. La petite harde de caribous forestiers de Val-d’Or va s’éteindre dans une forêt «certifiée».

Mais l’annonce la plus porteuse de sens fut sans doute l’adoption de la Loi sur l’aménagement durable des forêts (2010) pilotée par le regretté ministre Claude Béchard. La loi vise à assurer le maintien de la biodiversité et la viabilité des écosystèmes en diminuant les écarts entre la forêt aménagée (comprendre «bûchée») et la forêt naturelle. C’est une belle phrase, ambitieuse, et qui engage beaucoup.

Comme il n’y a pas deux forêts pareilles, on peut s’imaginer qu’on va constituer des équipes d’écoforestiers, les outiller comme il faut, ne serait-ce que pour dresser l’inventaire de ce qu’il y a dans ces forêts.

Dans cette loi, les beaux principes y sont déclinés dans une impressionnante nomenclature d’objectifs, mais on attend depuis cinq ans les règlements visant à codifier le comportement des indus­triels en forêt. Comme un beau dentier étincelant mais dépour­vu de dents. Pour le moment, cette Loi sur l’aménagement durable demeure l’expression d’un grand désir de plaire et de faire rêver. Ce n’est pas à dédaigner par les temps qui courent, me direz-vous, mais cette loi s’incarnera-t-elle sur le terrain avant la fin du monde?

Rien n’est moins sûr. Ce même gouvernement qui s’engage à opérer un virage écosystémique majeur dans ses forêts vient d’effectuer un «massacre à la tronçonneuse» dans deux program­mes majeurs de recherche, l’un en sciences forestières, l’autre en compréhension des écosystèmes forestiers. À ce petit drame s’ajoute son incompressible obsession, on dirait, à vouloir réduire à néant les postes de biologistes et ceux liés à la protection de la faune.

Nous entretenons quand même la moindre lueur d’espoir sitôt qu’elle se pointe. Le ministère responsable des ressources naturelles a bien tenté de convaincre l’industrie minière de reconsidérer son historique droit de veto sur des territoires où des projets autres que miniers s’avèrent hautement souhaitables. Comme la protection des sources municipales d’eau potable ou l’instauration d’aires protégées. En vain.

Ce qui intéresse cette industrie, entre autres, c’est que nous assumions collectivement le milliard de dollars que ça coûtera pour nettoyer ses propres sites contaminés! En signe de bonne volonté cependant, elle était prête à ouvrir ses livres de comptabilité, chose taboue depuis toujours. Le gouvernement Couillard a jugé que c’était trop de bonté. Nous paierons pour les dégâts miniers et l’industrie pourra continuer de manipuler ses chiffres en toute clandestinité légale.

Nous verrons demain comment l’Action boréale se bat pour protéger le plus beau joyau de l’Abitibi, Kanasuta, contre les pouvoirs conjugués des industries miniè­res et forestières... et contre l’impéritie du gouvernement.

Kanasuta

 

Par trois fois depuis 2002, l’Action boréale a réussi à convaincre les compagnies forestières de se retirer du territoire Kanasuta, paradis naturel - tout le monde en convient - situé à l’ouest de Rouyn-Noranda et jouxtant la frontière ontarienne. Au boute du boute de la route 117. Des lacs et des rivières à profusion, des montagnes, un lieu mythique habité par les Algonquins depuis plus de 8 000 ans. Les eaux s’y séparent pour aller soit vers le Saint-Laurent soit vers la Baie-James. Leur autoroute 20 de l’époque quoi...C’est là qu’ils reprenaient leur souffle. Tout comme d’Iberville et ses pirates quand ils allaient « bouter » les Anglais de la Baie d’Hudson.

Un trésor archéologique y dort, non perturbé par les charrues agricoles ou par la machinerie lourde. Ce rare massif de vieilles forêts recèle une des dernières bibliothèques biologiques boréales. Le gouvernement a d’ailleurs reconnu la préciosité du lieu puisqu’il a déjà dans ses plans l’intention de protéger des « patches » tout autour et même à l’intérieur du territoire Kanasuta, qui aurait dû normalement constituer un grand parc naturel depuis longtemps.

Mais ce territoire est « claimé » quasi mur à mur, c’est-à-dire que des prospecteurs ou des compagnies y détiennent des droits miniers, excluant de facto toute possibilité d’instaurer une aire protégée.

Ils sont une centaine de lobbyistes miniers à Québec à vouloir perpétuer ce système qui permet à n’importe quel prospecteur australien, par exemple, de « geler » via internet, une surface de 35 hectares dans le Kanasuta – l’équivalent de 70 terrains de football –pour la somme de 25$ ! Click and claim ! Une folie complète, ce stratagème.

Un pur terrain de jeu de gamblers. D’autant plus fou qu’aucune mine n’y a été exploitée depuis cent ans à cet endroit. Abus, abus, abus. (En fait, 40% de l’Abitibi est ainsi devenu une aire protégée minière !).

L’Action boréale s’est néanmoins montrée ouverte à la possibilité d’exploiter une mine dans une aire protégée pourvu qu’elle soit souterraine, que ses résidus soient transportés dans d’autres sites de dépôts déjà existants et que le périmètre occupé soit restreint aux installations de surface.

Le premier avril prochain, la compagnie forestière Tembec entend exercer son droit peut-être légal mais sûrement illégitime, de pénétrer dans le territoire naturel du Kanasuta et d’aller y couper à blanc, tel qu’elle l’a laissé entendre.

L’Action boréale s’y oppose, demande une extension du présent moratoire et prie le gouvernement de fournir au ministère chargé d’établir le réseau d’aires protégées, le budget nécessaire pour qu’il puisse convenablement achever son travail d’analyse.