C’est surtout le refus catégorique à la fin du mois de mai dernier du ministre de la Défense nationale Harjit Sajjan de laisser l’armée poursuivre pendant deux mois son intervention dans les centres d’hébergement qui donne à réévaluer ses priorités. « Ç’a été une occasion ratée. On a fait un quelque chose de négatif avec une action positive », regrette le professeur Jean-Christophe Boucher, de l’Université de Calgary, spécialiste des questions militaires. Il ajoute que ça n’a rien fait pour redorer le blason des Forces armées. Plus tôt cette semaine, le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, suggérait de nouveau au gouvernement Trudeau la mise sur pied de cliniques placées sous la responsabilité de l’armée pour accélérer les efforts de vaccination au pays.
Réalisé à la fin de l’été dernier, ce sondage Nanos révèle que les Canadiens estiment que les Forces armées doivent d’abord être à leur service. On a demandé aux répondants quels devaient être les rôles les plus importants joués par nos militaires. Plusieurs choix pouvaient être indiqués. (Source : Le Sondage a été réalisé pour le compte du Réseau canadien sur la défense et la sécurité auprès de 1504 personnes. La marge d’erreur est de plus ou moins 2,5 %, 19 fois sur 20.)
Lorsqu’elles se déploient en missions, les Forces armées sont bien plus présentes à l’étranger qu’ici. Par exemple, elles ont dépensé en 2019-2020 plus de 406,4 M$ pour des missions qui les conduisent aux quatre coins du globe. Nos soldats participent à des missions de paix, forment des forces de sécurités étrangères, luttent contre le terrorisme.
Au Canada, les Forces prêtent main-forte lors de crises comme des inondations à la demande des gouvernements.
Le montant consacré à de telles missions humanitaires au pays était de 4,9 M$ en 2019-2020, selon les données publiques de la Défense nationale dont les dépenses totales dépassent 20 milliards $ par an. Sinon, l’armée se consacre au Canada à des activités régulières, comme la surveillance de l’Arctique ou des côtes.
Mais en 2020, la première vague de la COVID-19 a entraîné une suspension temporaire de certaines missions à l’étranger, en même temps qu’un déploiement exceptionnel des militaires au pays.
Au total, Ottawa a mis 418 M$ à la disposition de l’armée pour répondre à la COVID-19.
Ainsi, elle est intervenue dans les CHSLD du Québec et dans les centres de soins de longue durée de l’Ontario. La mission de deux mois a coûté à elle seule 34,2 M$ et a mobilisé près de 2000 soldats à partir du 18 avril 2020.
Aussi, 207 M$ ont servi à mobiliser près de 10 000 réservistes en cas de besoins, ainsi que pour l’appui aux communautés éloignées.
L’attitude du gouvernement Trudeau est venue assombrir le tableau d’une mission exécutée avec brio par les militaires en CHSLD.
Des responsables politiques libéraux ne voyaient pas d’un bon œil les demandes du Québec de prolonger la mission. Selon ce que rapportait La Presse, certains affirmaient même que le rôle premier des soldats n’était pas de « changer les couches » des aînés.
Le ministre de la Défense Sajjan, lui, n’avait pas hésité à dire à la CBC que les provinces ne « comprennent pas tout à fait comment l’armée fonctionne ».
Pour le colonel à la retraite Michel Drapeau, ces affirmations ne tiennent pas la route.
« Il n’y avait aucune tâche pressante [ailleurs pour les Forces] à ce moment-là. Au niveau politique et médiatique, ça faisait énormément de sens [de poursuivre le travail]. C’était une façon de continuer à montrer leur savoir-faire et à aider les instances », dit-il. « Les provinces [canadiennes] devraient pousser un cri et dire : charité bien ordonnée commence par soi-même », est-il d’avis. À l’époque, exaspéré par le refus d’Ottawa, le premier ministre du Québec, François Legault, avait même rappelé au gouvernement Trudeau que « le Québec paie sa part pour l’armée ».(Photo ci-contre : Le colonel à la retraite Michel Drapeau, Agence QMI)
« En période de crise, avoir autant d’hésitations à mobiliser des gens qui sont équipés et qui sont habitués à se déployer sur différents terrains, il y a là quelque chose de problématique », souligne Philippe Hurteau, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques. Aux yeux du colonel Drapeau, il y a là deux poids, deux mesures. « Le Canada ne s’est jamais gêné, souligne-t-il, pour accepter des missions militaires à l’étranger, soient-elles au Congo, en Bosnie, à Chypre, et à combien d’autres endroits. Ces missions-là – c’est vrai – étaient des missions de paix, mais ça débordait. [Les soldats canadiens] ne faisaient pas seulement que surveiller le trafic. Très souvent […] ils prêtaient main-forte à la population civile. » Lorsqu’on pose la question aux Canadiens, il est clair qu’ils jugent que les missions ici représentent une part essentielle du rôle de l’armée. D’après un sondage Nanos, réalisé en septembre au Canada, 81 % des personnes interrogées croient que l’aide en cas de crise au pays est une tâche dont les soldats doivent s’acquitter en priorité.
« Les Forces armées canadiennes reçoivent leurs orientations et leurs ordres du gouvernement canadien. Nous sommes prêts à répondre quand on nous en présente la demande et l’ordre », répond le porte-parole, le lieutenant Nicolas Plourde-Fleury.
L’armée peut se permettre d’être plus présente au Canada sans négliger pour autant ses missions à l’international, estime le colonel à la retraite Michel Drapeau.
Bien au contraire, selon lui. Il rappelle que, grâce à ses efforts militaires à l’étranger, le Canada a pu se joindre aux grands.
« On s’est gagné une place à la table des G7 et G10, bien au-delà de la taille de notre population », dit-il.
Première et Seconde Guerres mondiales, guerre de Corée, missions de paix, le Canada a été impliqué activement dans les grands conflits mondiaux depuis le siècle dernier.
« Il ne faut pas oublier qu’on est débarqué en Normandie aux côtés des Américains et des Britanniques, alors que nous étions une petite nation », évoque l’ancien militaire.
L’économie canadienne, explique le colonel Drapeau, en est sortie gagnante.
« Notre succès économique dépend de notre habileté à faire du commerce. On vend principalement des matières premières. Pour y arriver, il faut être assis à la table des grands », dit-il.
Pour lui, une présence plus active des militaires lors des crises humanitaires au pays (voir texte principal) n’implique pas que l’on doive réduire les missions internationales. L’un n’exclut pas l’autre, croit-il.
« Je ne crois pas que nos présences actuelles à l’étranger étouffent et saignent les Forces », dit-il.
Il n’y a pas longtemps encore, rappelle-t-il, le Canada a été très actif sur la scène internationale. Les missions de paix en Bosnie-Herzégovine et en Afghanistan, qui ont mobilisé des dizaines de milliers de soldats canadiens, dont plusieurs sont morts au combat, en sont des exemples éloquents.
À son avis, l’unifolié est en train de perdre son influence, parce qu’il réduit ses interventions militaires à l’étranger. Il blâme les décisions du gouvernement Trudeau à cet égard et le peu d’envergure des ministres actuels de la Défense et des Affaires étrangères.
Le Canada a dépensé 406,4 millions $ pour financer plus de 15 missions à l’étranger et 195,2 millions $ en contributions versées à l’OTAN en 2019-2020, selon notre compilation.
Peu de Canadiens seraient à même de nommer où sont déployées les Forces armées canadiennes dans le monde ni ce qu’elles y font.
Afin de dresser un portrait des activités à l’étranger de nos soldats, nous avons utilisé les données de l’exercice budgétaire 2019-2020 plutôt que celles de 2020-2021 dont les états financiers définitifs ne sont pas disponibles.
N’empêche que la description des missions est toujours valable, étant donné que les missions sont restées essentiellement pour la plupart les mêmes entre les deux périodes budgétaires, à part des baisses d’effectifs temporaires causées par la COVID-19.
La somme de 406,4 M$ pour les missions représente, dans le jargon de l’armée, leurs « coûts différentiels ». Il s’agit des coûts supplémentaires occasionnés par ces opérations. Ainsi, cela veut dire qu’on ne tient pas compte des salaires réguliers des militaires qui y participent.
Notre présentation montre les principales missions, certaines ont été omises parce qu’elles sont trop limitées. Ces Missions étaient actives en 2019-2020. Les coûts annuels indiqués pour les missions représentent uniquement les déboursés supplémentaires en personnel et en équipement qu’elles occasionnent.
(Source : ministère de la Défense nationale)
Formation des Forces de Sécurité en Ukraine.
Maintien de la paix à Chypre, Mission historique depuis 1964.
Marquer la présence de l’OTAN face à la menace russe en Europe centrale et de l’est.
Participation à la force de maintien de la paix au Kosovo, KFOR.
Opérations antidrogues impliquant 15 pays, dont le Canada, dans la mer des Caraïbes et le Pacifique Est.
Transport aérien tactique à partir d'Entebbe, en Ouganda, et évacuation aéromédicale au Mali, pour les missions de l'ONU.
Participation à la surveillance de la trêve existante au Moyen-Orient. Plus ancienne mission internationale des Forces canadiennes, depuis 1954.
Participation à diverses opérations internationales contre le terrorisme au Qatar, Bahreïn et Jordanie.
Participation à des missions internationales au Moyen-Orient pour combattre l’État islamique.
Participation à une mission internationale de maintien de la paix dans la péninsule du Sinaï en Égypte.
Formation des forces militaires locales au Niger, en Afrique de l’Ouest.
Participation à la mission de l’ONU de maintien de la paix au Soudan du Sud, en Afrique de l'Est.
Participation à des opérations antiterroristes internationales dans les eaux du Moyen-Orient.
Participation à la mission de l’ONU pour la stabilisation de la République démocratique du Congo.
Formation des Forces de sécurité de l’Autorité palestinienne à Jérusalem.
La crise que traversent actuellement les Forces canadiennes avec la multiplication des affaires de nature sexuelle, particulièrement chez les hauts gradés, n’est pas de bon augure pour l’avenir.
« Un leadership affaibli pourrait coûter cher aux contribuables canadiens », s’inquiète le professeur Jean-Christophe Boucher, de l’Université de Calgary, expert en questions militaires. Les Forces armées sont actuellement dans une phase critique, rappelle-t-il. Il faut procéder à un renouvellement majeur des équipements militaires, aussi bien sur terre, que dans les airs et sur les mers. « On doit revamper l’ensemble des Forces canadiennes. On dépensera des milliards et on n’aura personne pour veiller au grain », explique-t-il. Les chiffres des dépenses envisagées sont impressionnants. Uniquement pour remplacer sa flotte de frégates et de destroyers vieillissants, la marine canadienne pourrait avoir à débourser 76 milliards $, ce qui comprend un dépassement de coûts anticipé de 51 milliards $.(Photo ci-dessus : Jean-Christophe Boucher, Université de Calgary. Courtoisie Université de Calgary)
Acquisition de 15 frégates ultramodernes pour remplacer l’ensemble de la flotte des grands navires de combat à partir de 2031. Il s’agit du programme le plus ambitieux de la marine canadienne depuis la Seconde Guerre mondiale. Le programme avait été évalué à 26,2 milliards $ en 2008. Selon un rapport récent du directeur parlementaire du budget, il faudra plutôt compter sur un budget de 77,3 milliards $ pour le mener à bien.
L’acquisition de ces 28 appareils représente l’aboutissement de l’invraisemblable saga du programme de remplacement des hélicoptères de la Marine royale canadienne. Lancé dans les années 1980 et ponctué de multiples revirements politiques, le programme a vu ses coûts passer de 1,8 G$ à 7,6 G$. Dans l’intervalle, les militaires canadiens ont dû utiliser de véritables antiquités volantes, les hélicoptères Sea King acquis au début des années 1960.
Ce programme a pris un tel retard que la marine a dû louer au chantier Davie de Lévis un navire civil, L’Astérix, converti pour les besoins militaires. Cette mesure a été prise en attendant la livraison de deux nouveaux ravitailleurs, prévue pour 2023 et 2025, construits dans des chantiers de la Colombie- Britannique. Les coûts d’abord évalués à 2,6 G$ ont grimpé à 4,1 G$.
Il faudra aussi acheter de nouveaux chasseurs aériens et, à plus long terme, décider si on renouvelle la flotte des chars d’assaut de l’armée de terre, note le professeur Boucher.
Il rappelle qu’en plus des programmes qu’on connaît, il y a ceux qu’on connaît moins. La modernisation des stations radars du NORAD (le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord) est un de ceux-là et il pourrait coûter au moins 4 milliards $.
Alors qu’un leadership solide serait nécessaire pour mener à bien ces projets, les hauts gradés s’embourbent un à un dans des affaires de comportements inappropriés.
Récemment, en janvier dernier, c’était au tour du numéro un de l’organisation, le chef d’état-major Jonathan Vance, de démissionner pour une affaire d’inconduite sexuelle. Un mois seulement après avoir été nommé, son remplaçant, l’amiral Art McDonald, devait lui aussi quitter son poste pour des raisons similaires.
À moins de donner un « sérieux coup de barre », dit le professeur Boucher, pour mettre un terme à la culture toxique des rapports hommes-femmes existant au sein des Forces canadiennes, on se dirige vers une mauvaise gestion de tous ces programmes de renouvellement.
« On va en échapper et on va se retrouver dans 10 ou 15 ans avec de très gros problèmes », conclut-il.
Programme | Montant |
---|---|
Soutien de l'équipement | 3 566 054 186,79 $ |
Forces terrestres prêtes au combat | 2 248 466 491,71 $ |
Forces aériennes et spatiales prêtes au combat | 1 671 621 155,36 $ |
Gestion de l'Équipe de la Défense | 1 376 684 859,67 $ |
Forces navales prêtes au combat | 1 307 190 917,34 $ |
Acquisition d'équipements maritimes | 1 240 556 818,06 $ |
Infrastructure de la Défense: entretien, soutien et opérations | 1 034 450 378,64 $ |
Acquisition d'équipements terrestres | 979 598 894,15 $ |
Acquisition d'équipements aéronautiques et spatiaux | 808 549 938,87 $ |
Gamme complète des soins de santé | 687 295 133,92 $ |
Infrastructure de la Défense: construction, réfection et investissement | 633 457 459,17 $ |
Bases terrestres | 576 142 363,69 $ |
Instruction individuelle et formation professionnelle militaire | 500 824 048,10 $ |
Escadres aérospatiales | 446 600 214,62 $ |
Sciences, technologie et innovation | 373 859 833,29 $ |
Opérations internationales | 368 561 830,22 $ |
Engagement mondial | 356 436 263,89 $ |
Forces d'opérations spéciales prêtes au combat | 318 641 799,73 $ |
Cadets et Rangers juniors canadiens (Programme jeunesse) | 254 354 088,47 $ |
Bases navales | 253 633 429,76 $ |
Gestion des programmes, systèmes et services d’information de la Défense | 206 540 035,57 $ |
Services de la technologie de l'information - Ministère de la Défense nationale | 203 491 421,51 $ |
Commandement et contrôle stratégiques | 199 252 083,27 $ |
Commandement, contrôle et poursuite prolongée des opérations | 174 697 115,44 $ |
Transition de la vie militaire à la vie civile | 171 741 727,85 $ |
Recrutement | 157 113 417,69 $ |
Soutien fourni au militaire et à sa famille | 156 733 406,59 $ |
Bases interarmées, communes et internationales | 155 691 965,03 $ |
Forces du renseignement prêtes au combat | 154 691 626,10 $ |
Soins de santé, police militaire et forces de soutien prêts à l'action | 150 648 086,15 $ |
Acquisition, conception et livraison de systèmes de technologie de l'information de la Défense | 150 028 829,40 $ |
Services de gestion et de surveillance - Ministère de la Défense nationale | 136 614 768,39 $ |
Forces interarmées et multinationales prêtes au combat | 130 486 557,60 $ |
Services de gestion des ressources humaines - Ministère de la Défense nationale | 127 811 927,99 $ |
Cyberforces et systèmes de communication et d’information (SCI) interarmées prêts au combat | 126 512 230,94 $ |
Gestion du matériel de la Défense | 119 321 079,33 $ |
Opérations institutionnelles de la Police militaire | 118 080 394,16 $ |
Durabilité et protection de l'environnement | 108 068 782,88 $ |
Services de gestion des biens immobiliers - Ministère de la Défense nationale | 106 666 210,90 $ |
Services juridiques - Ministère de la Défense nationale | 104 059 086,48 $ |
Développement de la force terrestre | 91 055 749,80 $ |
Développement de la force aérienne et spatiale | 69 979 215,78 $ |
Cyberopérations | 65 491 669,97 $ |
Développement de la force du renseignement | 63 595 621,51 $ |
Gestion du Programme d'infrastructure de la Défense | 57 488 970,25 $ |
Opérations spéciales | 55 440 351,86 $ |
Développement de la force navale | 52 988 231,00 $ |
Services de gestion financière - Ministère de la Défense nationale | 50 423 376,20 $ |
Logement des familles des militaires | 49 727 860,94 $ |
Développement des forces d'opérations spéciales | 48 252 425,09 $ |
Services de gestion du matériel - Ministère de la Défense nationale | 46 321 076,85 $ |
Services du droit militaire/Exercice de l'autorité de justice militaire | 44 471 151,05 $ |
Développement de l'intégration des différents corps d'armée | 42 018 621,38 $ |
Services de communication - Ministère de la Défense nationale | 30 867 382,48 $ |
Services de gestion de l'information - Ministère de la Défense nationale | 22 511 198,39 $ |
Développement de la cyberforce et de la force du systèmes d'information et communications (SIC) interarmées | 17 017 629,86 $ |
Services de gestion des acquisitions - Ministère de la Défense nationale | 16 638 873,92 $ |
Opérations en Amérique du Nord | 14 472 635,66 $ |
Opérations au Canada | 9 414 905,23 $ |
Histoire et patrimoine militaires | 9 322 828,99 $ |
Ombudsman | 7 286 481,31 $ |
Sécurité | 6 319 581,41 $ |
Affaires autochtones | 5 437 565,29 $ |
Conseil de liaison des Forces canadiennes et appui des employeurs | 1 664 073,91 $ |
Dépenses totales de la Défense en 2019-2020 | 22 839 438 336,85 $ |