Photo courtoisie, Festival d'été de Québec (Renaud Philippe)
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Le 11 juillet 2015, les Foo Fighters ont marqué l’histoire du Festival d’été d’une bien étrange manière. Chassés de la scène en raison d’un violent orage après seulement quatre chansons, Dave Grohl et ses acolytes ont néanmoins ravi les dizaines de milliers de spectateurs par leur acharnement. Contre vents et pluie diluvienne, les Foo Fighters ont tout tenté pour aller jusqu’au bout. À l’aube de leur retour promis et attendu sur les plaines d’Abraham, le 9 juillet, revivez leur concert mémorable d’il y a trois ans à travers les témoignages de ceux (fans, personnel du FEQ, etc.) qui l’ont vécu de près.
Semaines précédant le show : Le groupe et le Festival d’été discutent des exigences scéniques pour le concert.
Patrick Martin (directeur de production du Festival d’été) : «Techniquement, c’est un des shows les plus complexes au FEQ ever. Les écrans DEL en fond de scène devaient se déplacer dans l’aire scénique. C’était à une époque où on connaissait moins bien la scène et ses capacités. Quand nous avions reçu les plans, nous avions fait des analyses d’ingénierie assez exhaustives pour nous assurer que tout ça tienne dans les airs. Nous avions renforcé la structure, juste pour ce show. C’est incroyable les efforts et les ressources qu’on a mis pour un seul soir. Nous avions vraiment tout fait pour satisfaire leurs exigences.»
10 juillet
9 h 30 : Arrivée des Foo Fighters à Québec. Les musiciens s’installent à l’Auberge Saint-Antoine.
Photo d'archives, Sophie Côté
Photo d'archives, Sophie Côté
Photo d'archives, Sophie Côté
Sophie Côté (journaliste au Journal) : «J’ai fait le pied de grue devant l’auberge à partir de 6h du matin. Nous étions les seuls qui savaient que le groupe allait loger à cet endroit. Finalement, plusieurs autobus sont arrivés. Il y en avait un pour chaque membre du groupe. J’ai demandé dans lequel se trouvait Dave Grohl et je l’ai attendu. Il est sorti en béquilles. Il avait dormi toute la nuit. Quand il m’a vue, il m’a dit : “Oh non, s’il te plaît, pas de photos”. Mais je n’avais pas le choix, j’étais là pour ça. Je lui ai souhaité la bienvenue à Québec.»
En après-midi : Le batteur Taylor Hawkins et le bassiste Nate Mendel se baladent à vélo dans les rues de la ville. On les aperçoit notamment à l’Hôtel Hilton, où logent les techniciens du groupe. «Dave a plus de fun dans cette tournée, je pense, qu’il en a jamais eu avant. Il peut rocker autant qu’il veut, et il peut probablement manger un sandwich en même temps!», blague Hawkins.
Photo d'archives, Sophie Côté
Sophie Côté : «On a placoté plusieurs minutes avec eux. Ils étaient super accessibles et vraiment gentils.»
Vers 18 h : Dave Grohl et le reste du groupe quittent l’Auberge Saint-Antoine pour aller manger au restaurant Chez Boulay.
Photo courtoisie, Catherine Laferrière
Catherine Laferrière (serveuse et fan finie, elle a exigé que ce soit elle, et personne d’autre, qui serve les Foo Fighters s’ils choisissaient cette table du Vieux-Québec) : «Ils étaient tellement fins. À un moment donné, pendant le service, Dave Grohl parlait de quelque chose dont je ne peux parler. Un des membres du band lui a demandé s’il pouvait vraiment parler de ça devant moi. Dave m’a regardé puis il a dit aux autres : oui, je peux en parler. C’est comme s’il me faisait confiance. Et je n’en ai jamais parlé. Je ne peux pas briser la confiance de Dave Grohl. Avant qu’ils partent, le gérant Gus Brandt m’a demandé si j’allais au spectacle et quel billet j’avais. Je lui ai répondu que je serais dans la foule et il m’a dit : Non, non, on va te changer ça, envoie-moi un courriel demain et on va te changer ça. Le lendemain, je me suis présentée à la billetterie où il avait laissé une méga enveloppe avec tous les bracelets nécessaires pour rester à l’arrière-scène.»
11 juillet
Midi : Les premiers bulletins météo inquiétants sont émis.
Patrick Martin : «Depuis 2011, on fait appel à des météorologues qui nous tiennent quotidiennement à jour. Je reçois un rapport à 8h et un autre à midi. À 8h, ça disait : possible ennuagement en fin de journée avec de la pluie, mais rien de majeur. Mais à midi, je vois : orages violents en fin de journée. Oh boy ! Je suis allé voir le directeur de production de la tournée des Foo Fighters pour l’aviser qu’il fallait se tenir prêts. On continue la journée comme si de rien n’était, mais c’est possible qu’on annule et qu’il n’y ait pas de show ce soir.»
Louis Bellavance (directeur de la programmation du Festival d’été) : «Ils ont une équipe gentille, mais exigeante. On avait l’impression de ne pas en avoir assez fait en amont. Au début de la journée, le climat était assez tendu, comme ça arrive souvent avec ces grosses machines. Mais au fil de la journée, on a réussi à remplir nos obligations logistiques. Nous avions un band heureux et confiant.»
18 h : À l’ouverture des portes, les festivaliers font la course pour avoir les meilleures places à l’avant.
Photo d'archives, Daniel Mallard
Photo d'archives, Pascal Huot
Daniel Gélinas (ancien directeur général du Festival d’été) : «Avec Patrick, on a vu une petite tache sur le radar. Mais vraiment petite. C’était un orage qui pouvait durer cinq ou dix minutes. Nous n’étions même pas sûrs qu’il passerait sur Québec parce que la tache était assez loin. Souvent, ça se sépare en deux à la hauteur du fleuve et nous n’avons rien.»
19 h 10 : Une veille d’orage violent est émise par les services météorologiques. Elle est en vigueur jusqu’à 21h41.
Photo d'archives, Pascal Huot
19 h 30 : Le duo britannique Royal Blood réchauffe les plaines d’Abraham pendant que les Foo Fighters se préparent dans les loges. Il fait beau.
Photo d'archives, Daniel Mallard
Photo courtoisie, Geneviève Borne
Photo courtoisie, Geneviève Borne
Photo courtoisie, Geneviève Borne
Geneviève Borne (à l’invitation de Dave Grohl, qu’elle a connu à l’époque de Musique Plus, elle a passé la soirée à l’arrière-scène avec les Foo Fighters) : «Je suis allée saluer Dave avant le show. Quand je suis arrivée, il était en train d’écrire la liste des chansons qu’ils allaient jouer.»
Photo courtoisie, Catherine Laferrière
Catherine Laferrière : «On a jasé un bout de temps avec Pat Smear, qui est très sympathique, avant le show. On voyait que c’était nuageux, mais il disait que les shows sous la pluie sont les meilleurs parce que ça crée une énergie meilleure que par beau temps.»
Luci Tremblay (ancienne directrice des communications du FEQ) : «À un moment donné, un gros nuage noir est arrivé. Comme un train qui nous est passé au-dessus de la tête.»
Louis Bellavance : «On voyait les radars et on s’accrochait à l’espoir que ça allait contourner les Plaines.»
20 h 53 : Le rideau arborant le logo des Foo Fighters se dresse sur la scène des plaines d’Abraham… en même temps que se met à tomber la pluie.
Louis Bellavance : «Dave Grohl a fait une chute en se rendant à son trône parce que c’était glissant.»
Patrick Martin : «Nous n’étions pas certain de commencer le concert, mais il y avait 70 000 personnes devant. Eux comme nous avons décidé de le faire quand même. Ils ont dit : c’est de l’eau, pas de trouble, on y va. Ils voulaient le faire. Et on présumait que la pluie allait arrêter.»
Louis Bellavance : «Nous aurions pu devancer le spectacle, mais il aurait fallu planifier ça la veille parce que tout est prévu à la minute près. (…) Quand ils sont embarqués, nous n’avions pas atteint les seuils où on doit procéder à une interruption.»
Daniel Gélinas : «La pluie venait de l’est. Ça, c’est une catastrophe, parce que la pluie rentre directement sur la scène.»
21 h 02 : Le rideau tombe. Assis sur son trône, sa jambe plâtrée étendue devant lui, Dave Grohl balance furieusement la tête en martelant les accords d’Everlong pendant que le vent et la pluie lui fouettent le visage. C’est l’hystérie. Le batteur Taylor Hawkins sourit à belles dents en regardant la foule en délire.
Geneviève Borne : «J’étais sur la scène, derrière le rideau. Quand ils l’ont levé, ils ont reçu comme une chaudière d’eau dans la face tellement il pleuvait.»
Dustin Rabin (photographe de tournée des Foo Fighters) : «C’était la tempête du siècle.»
Patrick Martin : «La toile, la @#?%$ de toile, je leur avais dit de ne pas la mettre. On le savait que ça allait faire ça. Mais ils voulaient tellement donner le show comme ils font partout ailleurs qu’ils l’ont fait quand même.»
21 h 10 : La pluie s’intensifie à la fin de Monkey Wrench. Dave Grohl crie à la foule : «Je me fous de ceci (il pointe son plâtre), je me fous de ça (il pointe le ciel). Tout ce qui me préoccupe ce soir, c’est vous.»
Photo d'archives, Daniel Mallard
Louis Bellavance : «À ce moment-là, on s’est dit qu’ils allaient faire le show malgré cet enfer. Tout le monde le souhaitait même si nous étions tous trempés jusqu’aux os.»
Luci Tremblay : «Je suis partie vers l’arrière-scène après la deuxième ou la troisième chanson. Dans la roulotte de production, ce n’était pas la panique. On était en mode analyse. Quand on a conclu que ça n’allait pas s’arrêter et qu’il commençait à y avoir des éclairs, c’est là que ça devenait dangereux. On se souvient tous du trône électrique de Dave Grohl. Je me souviens m’être dit que ça ne me tentait pas que Dave Grohl se fasse électrocuter.»
21 h 16 : «Il faut qu’on continue, il faut qu’on continue», hurle Dave Grohl pour introduire Learn To Fly. Pendant la chanson, il se bat plus que jamais contre la pluie et le vent qui se déchaînent. «Jesus fucking Christ», échappe-t-il.
21 h 18 : Le groupe s’interrompt pendant Learn to Fly. Dave Grohl s’adresse de nouveau à la foule : «Je vais vous le dire, quand ce sera le temps d’arrêter. Pas encore. Pas encore. Si vous fucking dansez, on va continuer de fucking jouer.»
Luci Tremblay : «J’avais été frappée par la volonté de Dave Grohl. Bien des artistes ne seraient même pas montés sur la scène et auraient attendu que l’orage passe.»
21 h 24 : Les Foo Fighters abdiquent après Something From Nothing. «Je suis désolé, ce n’est tout simplement pas sécuritaire», dit Dave Grohl à la foule en quittant la scène appuyé sur ses béquilles.
Patrick Martin : «J’étais derrière le gars du band et je lui disais : “Tire sur ton artiste, on le sort, c’est fini”. Mais il était mal à l’aise d’arrêter parce que les gars étaient tellement dans le show. Il attendait la fin de la toune pour aller le chercher.»
21 h 40 : La pluie tombe de plus belle. Mais ça en prend beaucoup plus pour décourager des fans déjà complètement trempés. «Foo Fighters, Foo Fighters», scande la foule, encore pleine d’espoir.
Photo courtoisie, Dustin Rabin (photograph)
Louis Bellavance : «L’équipe de Dave Grohl m’a dit que son plâtre était détrempé. Ils se demandaient même s’il fallait en refaire un autre. Lui ne pouvait pas continuer. C’était le plus désolé de la gang. Il y a eu des échanges d’ordre légal entre nos deux équipes. Dans ces situations, les artistes sont toujours payés, il n’y a pas d’ambiguïté. Leur équipe à Los Angeles était au courant et voulait savoir ce qui se passait. Finalement, ça s’est bien terminé et on a senti un rapprochement avec eux. Le directeur de tournée, qui avait été très strict durant la journée, était désolé et on s’est laissé sur une accolade.»
Daniel Gélinas : «On a bien vu que le danger était trop important. On a regardé ça et il n’y avait rien à faire. L’eau était tellement entrée sur la scène que tout était mouillé. Ça n’avait pas de sens de rembarquer du monde.»
21 h 50 : Après une demi-heure d’attente, Daniel Gélinas se pointe sur la scène pour annoncer la fin du concert.
Daniel Gélinas : «Ce fut une belle démonstration que le public de Québec est vraiment cool. Il aurait pu y avoir du grabuge. Mais les gens sont partis à la maison calmement.»
22 h 13 : Sur son compte Twitter, le groupe publie une photo en noir et blanc prise pendant le concert par Dustin Rabin avec ces mots : «Québec, nous allons revenir… Mère Nature gagne toujours.»
Photo courtoisie, Dustin Rabin (photograph)
Dustin Rabin : «Après l’annulation, je regardais mes photos et une en particulier a attiré mon attention. J’ai fait un zoom sur l’écran de ma caméra et je voyais comment le groupe avait du plaisir à travers le chaos. Tous souriaient, complètement trempés, les cheveux de Dave emportés par le vent. Ils semblaient exaltés et incrédules. Ça résumait parfaitement le moment. Je l’ai tout de suite montrée à Dave et il m’a dit : Dude, envoie-la-moi que je puisse la publier. Je lui ai dit que je devais récupérer mon ordinateur pour la télécharger, mais il était trop excité pour attendre. Il a pris une photo de l’écran de ma caméra avec son téléphone et c’est devenu la photo que tout le monde a vue sur les réseaux sociaux.»
22 h 25 : Quelques employés s’affairent autour de la scène désertée. Tous les spectateurs ont quitté les lieux. Triste fin de soirée pour les fans des Foo Fighters. Mais pour plusieurs, ça restera «le meilleur show de quatre tounes de ma vie».
Photo d'archives, Cédric Bélanger
Daniel Gélinas : «Le lendemain, toutes les boutiques de téléphones cellulaires se sont fait envahir. Beaucoup de gens qui étaient au spectacle ont brisé leur téléphone à cause de la pluie.»
Louis Bellavance : «Un mois après, je suis allé rencontrer l’équipe des Foo Fighters à Los Angeles. J’étais dans le bureau de (leur agent) Don Muller et il m’a dit : “Nous vous devons un show”. C’est rare de se faire dire ça. Ça a finalement pris deux ans pour trouver le bon timing.»