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La prise qui a changé sa vie

Le lancer venait de fendre le marbre en deux. Une prise, on ne peut plus parfaite. Pourtant, Tim Raines – qui venait d’effectuer un léger mouvement de recul -, était certain qu’il avait failli être atteint sur le tir. À tel point qu’il n’avait pas hésité à blâmer l’officiel, qui avait eu une réplique cinglante.

«Ouvre tes yeux Tim. Ce tir était en plein cœur du marbre…»

Toujours incrédule, Raines était allé regarder la reprise vidéo dans le vestiaire des Expos. Pour réaliser que l’arbitre avait raison.

C’est à ce moment-là qu’il a réalisé que quelque chose n’allait pas. Avec du recul, Raines pense même que cette présence au bâton a peut-être été le point tournant de sa carrière.

À l’aube de la vingtaine, Tim Raines avait bien failli tout gâcher en cette saison 1982 en raison de ses problèmes de consommation de cocaïne.

Issu d’une famille modeste, il se retrouvait dans un environnement totalement différent avec beaucoup d’argent en poche. Et avec un nouveau cercle d’amis…

Soigneur de l’équipe de 1980 à 2004, Ron McLain se souvient très que l’attitude de Raines avait changé.

«Tim n’était plus ce joueur jovial que nous avions appris à connaître. Son sourire n’était plus quotidien, dit-il. Sans nous douter de ce qui le minait, nous ne le connaissions pas sous ce jour.

«Il arrivait de plus en plus tard au stade. Son grand copain Andre Dawson nous racontait que Raines refusait plus souvent ses invitations pour une sortie après un match, que ce soit pour aller prendre un verre ou un bon repas…»

Même s’il se doutait que quelque chose ne tournait pas rond dans le cas de Raines, McClain n’avait aucune preuve que ce dernier consommait de la drogue.

«À l’occasion, Tim avait les yeux vitreux, se souvient-il. Mais on ne savait pas pourquoi. Nous avons commencé à avoir des doutes quand des employés du vestiaire nous ont raconté qu’il avait pris l’habitude de passer plusieurs minutes dans la salle des toilettes… et qu’ils l’entendaient renifler fort.

«Puis un jour. Tim a téléphoné au stade pour demander qu’on aille le chercher chez lui, car il ne se sentait pas bien. Le Dr Bob Brodrick et le directeur des voyages Peter Durso se sont donc rendus chez lui où ils ont découvert le pot aux roses », de préciser McLain.

Selon McLain, le président des Expos, John McHale, après avoir rencontré Raines, avait décidé de lui permettre de continuer à jouer sans aviser les autorités de la ligue de ses problèmes. En échange, Raines avait promis d’assister régulièrement à des réunions des alcooliques anonymes ou des cocaïnomanes anonymes, autant à domicile qu’à l’étranger.

«Raines a accepté de le faire, mais il l’a fait de façon irrégulière, se rappelle McLain. Une fois la saison terminée, les Expos ont décidé de l’envoyer faire une cure de désintoxication à la maison Betty Ford, à Rancho Mirage, en Californie.

« J’ai donc pris l’avion avec Raines et à notre arrivée, quelle fut notre surprise d’être accueillis par Dock Ellis, l’ancien lanceur des Pirates, qui était un conseiller de l’agent de Raines dans le domaine de la toxicomanie. À ma grande surprise, Ellis a tenté de décourager Raines d’entrer à Betty Ford, insistant plutôt pour qu’il s’inscrive dans une autre maison du genre en Arizona. Il a beaucoup insisté, mais Raines a résisté et il est resté en Californie durant un mois», de dire McLain.

McLain précise que les Expos ont tout payé pour que leur joueur se rétablisse et qu’ils ont aussi été mis à l’amende pour ne pas avoir suivi le protocole et avisé immédiatement par les autorités du baseball majeur des déboires de leur joueur.

En autant que McLain le sache, Raines a vaincu ses démons et il n’a jamais plus consommé de cocaine et jusqu’au moment de son départ pour les White Sox de Chicago, il a assisté régulièrement aux réunions spécialisées pour ce genre de dépendance.

Heureusement pour lui, et pour nous tous, Tim Raines s’est ressaisi et aujourd’hui, il se retrouve parmi les Grands du baseball, à Cooperstown.

La superstition des athlètes

C’est bien connu, les athlètes, tous sports confondus, sont supertitieux. Qu’il s’agisse de vêtements, de nourriture, de routine… rares sont ceux qui y échappent.

Et, la plupart en conservent certains éléments, une fois leur carrière active terminée.

Dans le cas des amis Andre Dawson et Tim Raines, c’était un coup de fil la veille du dévoilement du résultat du scrutin du Temple de la renommée.

Sauf qu’en janvier dernier, Dawson n’a pas téléphoné à son ami. Craignait-il qu’en le faisant, il aurait pu nuire à son ami?

«Probablement», nous dit Raines en éclatant de rire.

Le jour du dévoilement, Tim avait réuni sa famille et son agent dans la salle familiale.

Lorsque le téléphone a sonné et qu’on lui a annoncé la nouvelle, ce fut un éclat collectif de joie…et de soulagement, car c’était la dernière année d’éligibilité de Raines.

Évidemment, l’appel comportait certaines contraintes. Il lui fallait garder la nouvelle secrète jusqu’à ce que la direction du Temple de la renommée la dévoile aux journalistes et au grand public.

Raines a-t-il obéi à la consigne ?

«Non», précise Raines.

«Il fallait que je l’annonce à mes parents pour qu’ils partagent ma joie et ma fierté.»

Puis, Raines a fait un autre appel.

«J’avais promis à Charles Bronfman, l’ancien propriétaire des Expos, que je l’appellerais si jamais j’étais élu. J’ai toujours eu un énorme respect pour Monsieur Charles, non seulement comme proprio, mais comme homme.

«J’avais eu un accrochage avec les Expos en 1987 lorsque les propriétaires d’équipes avaient comploté pour éviter de faire signer des contrats à plusieurs joueurs autonomes. Le baseball majeur avait été reconnu coupable de collusion.

«S’il y a eu un malaise entre M. Bronfman et moi, il a tôt fait de disparaître. Je comprenais sa situation comme proprio et il comprenait la mienne comme joueur autonome. C’était une situation d’affaires et il n’y avait rien de personnel dans ce conflit. Une fois réglé, tout est revenu au beau fixe.

«La dernière fois que j’ai croisé M. Bronfman, c’était lors d’un des matchs hors concours des Blue Jays au Stade olympique. Je lui avais alors promis de l’appeler dès que je serais élu et il m’a promis d’assister à la cérémonie d’introduction à Cooperstown», raconte Raines.

«M. Bronfman savait très bien que je ne voulais pas quitter Montréal. Quand j’ai pris le chemin de Chicago pour me joindre aux White Sox, il savait très bien que c’était une décision purement financière, car j’allais presque doubler mon salaire. Dans mon cœur j’ai toujours été un Expos et je le serai toujours.»

L’ancien numéro 30 des Expos avait, pratiquement, perdu l’espoir de voir les portes de Cooperstown s’ouvrir à lui.

«En 2015, j’avais recueilli 55% des votes, soit 20% de moins que le nombre requis pour être élu. À ce moment-là. J’avais vraiment perdu l’espoir d’aller rejoindre Andre Dawson et Gary Carter à Cooperstown. Mais quand j’ai obtenu près de 70% des votes l’an dernier, j’ai recommencé à croire que c’était possible», a-t-il conclu.

Et s’il avait opté pour le football…

Tim Raines se débrouillait très bien sur un terrain de football. S’il avait décidé d’y faire carrière, le retrouverait-on aujourd’hui à Canton, Ohio, pour être admis au Temple de la renommée du football plutôt qu’à Cooperstown où s’ouvrent pour lui les portes du panthéon du baseball?

Permettez-moi d’en douter.

Non pas que l’ancien numéro 30 des Expos n’aurait pu faire sa marque dans le football professionnel en profitant de son électrisante vitesse et de la force de ses jambes pour percer la défensive ennemie et déjouer les demis défensifs… mais bien parce qu’à cinq pieds, huit pouces et 160 livres, il n’aurait probablement pas résisté aux empilades de l’ennemi, comme il a pu le faire dans le baseball durant 23 saisons.

Alors qu’il grandissait à Sanford, en Floride, Raines était davantage attiré par le football. Malgré le fait que le sport favori de son père Ned et de son frère était le baseball.

En fait, Raines était un sportif dans l’âme. Il adorait le football mais aimait bien le basketball et, éventuellement, le baseball. Mais surtout, il aimait jouer dehors.

Finalement, il a décidé d’y aller à fond dans le baseball et en 1977, les Expos en ont fait leur cinquième choix lors du repêchage des joueurs amateurs. Raines rappelle qu’il s’attendait à ce que les Dodgers de Los Angeles le fassent, car ils avaient toujours aimé les joueurs rapides comme Maury Wills, Willie Davis et Jackie Robinson et qu’ils l’avaient approché.

Mais, c’est avec l’organisation des Expos que Raines a fait ses premiers pas dans les rangs professionnels.

Durant huit saisons, il a roulé sa bosse dans les filiales, d’abord dans une ligue des recrues, puis à West Palm Beach, Memphis et Denver alors qu’en 455 matchs, il s’est bâti la réputation d’être un solide frappeur avec une moyenne offensive de ,306. Raines vait bon œil au bâton avec 284 buts sur balles et seulement 172 retraits sur des prises.

Déjà, il terrorisait l’adversaire avec ses courses autour des sentiers, volant 229 buts et n’étant retiré que 49 fois en tentatives de vol. S’il y avait un point noir au tableau, c’était sa défensive comme joueur de deuxième but : en 432 matchs à ce poste, il avait commis 81 erreurs.

À son arrivée avec les Expos, le gérant Dick Williams l’a d’abord utilisé au deuxième but. Raines n’a participé qu’à six matchs en 1979 et 15 autres en 1980. Puis en 1981, lors de la saison écourtée, il a été muté en permanence au champ extérieur.

C’est à ce moment-là que sa carrière a vraiment pris son envol.

Ce qui a fait de Raines un joueur si remarquable, c’est la facilité avec laquelle il pouvait s’adapter au rôle qu’on lui demandait de jouer.

Comme premier frappeur, il se rendait sur les sentiers avec une régularité déconcertante, volait des buts à profusion et marquait beaucoup de points.

Inséré comme deuxième frappeur de la formation, il savait déposer un amorti, exécuter le court-et-frappe peu importe que le lanceur soit droitier ou gaucher, car il était ambidextre.

Et comme troisième frappeur, il était à son meilleur avec des coureurs en position de marquer.

Trop long, les camps?

Au moment où l'on s’interroge à savoir si les camps d’entraînement sont trop longs, il serait peut-être de mise de poser la question Raines. Il dirait probablement que oui!

Reportons-nous à la saison 1987, la troisième au cours de laquelle les propriétaires d’équipes, à la suite de la suggestion du commissaire Peter Ueberrorth, ont eu recours à des tactiques qui les ont rendus coupables de collusion en refusant systématiquement d’offrir des contrats alléchants et à long terme à leurs joueurs vedettes.

À l’instar de bien d’autres qui avaient connu le succès en 1986, Raines avait remporté le championnat des frappeurs de la Ligue nationale avec une moyenne de ,334. Pour une sixième saison de suite, il avait volé au moins 70 buts.

Pourtant, aucune équipe (y compris les Expos) ne lui avait offert de contrat intéressant au cours de l’hiver. Si bien que, n’ayant pas de contrat en poche, Raines n’avait pu participer à l’entraînement de l’équipe et n’avait pu revenir au jeu avant le mois de mai.

C’est donc le 2 mai que Raines fit son entrée dans le vestiaire des Expos au stade Shea de New York, pour y affronter les Mets dans ce qui devait possiblement être le meilleur match de sa carrière.

Raines a d’abord réussi un triple en première manche contre nul autre que David Cone. Il a ensuite récolté un but sur balles, en troisième manche, avant de voler un but, Il a été retiré sur un roulant au deuxième but en cinquième manche, puis obtenu des simples en sixième et en neuvième manches.

Le clou du match est survenu en dixième manche, Reid Nichols, Casey Candaele et Herm Winningham avaient rempli les buts à l’aide de trois coups sûrs aux dépens de Jesse Orosco avant que Raines ne vide les sentiers d’un seul élan pour un grand chelem.

Comme première journée de retour au boulot, Raines avait obtenu quatre coups sûrs, marqué trois points et il en avait produit quatre dans une victoire de 11 à 7 en dix manches.

Ce qui est encore plus remarquable, c’est que Raines avait participé à son premier match des étoiles cette année-là, à Oakland, alors que les as de la Nationale avaient vaincu leurs rivaux de l’Américaine, 2-0, en 13 manches, grâce à ses deux points produits à l’aide d’un triple aux dépens de Jay Howell. Tim avait mérité le titre de Joueur le plus utile avec une performance de trois coups sûrs en autant de visite au marbre.

Comme saison mémorable, c’est dur à battre…

Deux autres matchs mémorables

Outre le match du 2 mai 1987, Raines en a vécu deux autres qu’il n’a jamais oubliés.

Ken Griffey et son fils étaient devenus, en 1990, le premier duo père et fils des ligues majeures à porter le même uniforme dans un même match, celui des Mariners de Seattle. Tim Raines a vécu un moment identique avec son fils, Tim

Junior, lorsque les Expos l’ont échangé aux Orioles de Baltimore en octobre 2001.

«Fiston ignorait tout et il était sur le terrain lorsque je suis sorti du vestiaire des Orioles, portant le même uniforme que lui. Jamais je n’oublierai ce moment-là», se rappelle Raines.

Plus tôt, au cours de cette même saison, Raines avait aussi vécu de fortes émotions. Blessé à l’épaule gauche, il avait dû subir une intervention chirurgicale et par la suite, les Expos l’avaient envoyé à Ottawa pour se remettre en forme. Lors de son séjour avec les Lynx, il avait affronté son fils qui, alors, portait l’uniforme des Red Wings de Rochester, la filiale AAA des Orioles.

Quand la maladie frappe

Au cours de sa carrière de 23 ans dans les majeures, Raines n’a pas été un habitué de la liste de blessés, lui qui a disputé en moyenne près de 110 matchs par saison.

Après avoir participé à deux conquêtes de la Série mondiale avec les Yankees de New York, Raines a pris le chemin d’Oakland. En août 1999, alors qu’il évoluait avec les A’s, il a appris qu’il souffrait du lupus, cette maladie systémique auto-immune chronique, de la famille des connectivites, c'est-à-dire qu’elle s’attaque à plusieurs organes, au tissu conjonctif, et qui se manifeste différemment selon les individus.

Il a été hospitalisé pendant quatre jours à l’hôpital Summitt d’Oakland afin de subir des traitements intensifs. Si les traitements l’ont guéri, le lupus a mis fin à sa saison.

En 2000, Tim n’a joué que sept matchs avec les Patriots de Summerset, de la Ligue atlantique (un circuit indépendant) et l’année suivante, après 10 matchs dans leurs filiales, Raines a effectué un retour avec les Expos.

Il était guéri, mais il n’a jamais été joueur régulier par la suite.

ses Accomplissements
1979
Premier match avec les Expos le 11 septembre à l’âge de 19 ans
1986
la Nationale avec une moyenne de ,334 et aussi premier pour la moyenne de présence sur les buts avec ,413
1987
Joueur le plus utile au match de étoiles à Oakland
1996
emporte la série Mondiale avec les Yankees
2004
Son numéro 30 est retiré par les Expos
2017
Temple de la Renommée après une carrière de 23 saisons (13 avec les Expos)
38e de l’histoire du baseball majeur avec 1 330 buts sur balles.
Premier chez les Expos pour les points comptés (947), le nombre de triples (82), de buts sur balles (793) et, bien sûr, pour les buts volés avec 635.
En carrière avec les Expos, 2e meilleur moyenne au bâton (,301) derrière Vladimir Guerrero (,323).
5e meilleur voleur de buts de l’histoire du baseball majeur avec 808 larcins.
Sept participations au match des Étoiles comme représentant des Expos (1981, 1982, 1983, 1984, 1985, 1986 et 1987)
Meilleur voleur de buts à 4 reprises dans la Nationale (1981, 1982, 1983 et 1984)